Chapitre 16 - 1

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Siège de La Bulle Mécanique, 13h58, 11 danubre de l’an 1900


Jusqu’à ce qu’elle raconte tout à Amerius.

Le silence enveloppa l’appartement.

– Vos propres Poupées vous poursuivent ?

Rosalie faiblement la tête, le regard rivé sur les silhouettes de June et Aliza.

– Cet imposteur qui a pris la place de Noé, il faut qu’on sache qui c’est.

Ses Poupées utilisaient les inventions de Noé, que l’imposteur avait tué et volé. Il était donc leur créateur.

Rosalie se leva et retourna à sa chambre. Elle rangea soigneusement ses amies dans sa sacoche, avant d’y récupérer la boîte contenant la main. La boîte contenant la main ne s’était pas ouverte, mais on entendait les morceaux d'os s’entrechoquer à l’intérieur.

Dans la cuisine, elle prépara une tarte généreusement garnie, Rosalie ayant besoin de force pour le rituel magiterien. Il lui semblait que Léni allait débarquer pour réclamer de l’aider.

Rosalie soupira. L’automate lui manquait.

Dès qu’elle et Amerius eurent mangé, Rosalie s’assit en tailleur sur le sol, avec la boîte et scalpel déniché dans la trousse de soins. Une bassine d'eau saturée de gros sel compléta l’ensemble. Amerius la rejoignit et elle s’empara de la boîte avec précaution – bien qu'il fût déjà un peu tard pour ça.

Elle se rendit enfin compte de ce qu’elle faisait. Elle avait agi par automatisme, rassemblé les ingrédients par habitude, mais les voir prêts à être utilisés fit naître une boule dans son ventre.

Sous le coup de l’adrénaline, elle n’y avait pensé, mais comprenait enfin ce qu’elle avait proposé de faire : user de la magie de Terre, cette même chose qu’elle s’était juré de ne plus toucher. Rosalie resserra le matériel dans ses mains. Il fallait rompre cette promesse. Noé – vrai ou faux – était une menace, il n’avait pas commis des meurtres par plaisir. Il ne poursuivait pas Rosalie par plaisir.

– Rosalie ?

Elle sursauta et releva la tête vers Amerius, assis face à elle.

– Ça ne va pas ?

– C’est de la magie de Terre.

Il n’eut pas besoin d’explications, il savait déjà.

– Vous n’êtes pas obligé de…

– Si, le coupa-t-elle. Si. On ne peut laisser faire cet homme juste pour une petite terreur d’enfance.

Amerius allait protester, mais elle ne lui en laissa pas le temps. Elle ouvrit la boîte.

Une bonne partie de la main avait été réduite en poussière, mais certaines phalanges étaient restées intactes, de même que l'articulation du poignet.

Rosalie disposa la main sur un torchon et à l'aide du scalpel, dessina autant de motifs que le lui permettait l'espace disponible. Des symboles de vie, de mort et d'identité. Elle essaya de ne pas y voir de la magie de Terre, mais de l’industrielle présentée autrement.

Concentrée dans sa tâche, Rosalie ne remarqua que tardivement le regard d'Amerius qui suivait chacun de ses gestes.

– C'est la première fois que j'assiste à un rituel magiterien. J'avoue être très curieux.

– Les familles sont comme Noé : elles ne supportent pas l'idée de partager.

Devant son regard brillant d’impatience, elle lui expliqua la signification des symboles. Elle plongea ensuite la main dans la bassine.

L'eau se mit à bouillir, chargeant l'air d'une odeur de marée. Lorsqu'elle vira au pourpre et dégagea une fumée laiteuse ; Rosalie plaça un bol tête en bas afin de la recueillir.

Des murmures s'élevèrent soudain depuis la bassine, signe que l'âme du défunt avait pu être rappelée.

Rosalie se dépêcha de retrouver dans ses souvenirs les phrases rituelles. Elle inspira pour se calmer. Les formules étaient revenues bien trop vite à son goût.

– Toi qui as disparu, fais que mon appel ne soit pas perdu et murmure ton nom, qu’il fut protecteur ou déchu.

Un gémissement plus important que les autres s'éleva.

– Astrasel... Noé...

– Toi qui as disparu, dis-moi si ta mort fut belle ou imprévue.

– Assassin ! vociféra le mort.

L'eau cessa brusquement de bouillir pour redevenir claire. Rosalie secoua la tête.

– Il est parti.

Elle captura le reste de la fumée dans le bol et le garda en main.

– Nous sommes désormais certains que nous avons affaire à un imposteur, releva Amerius.

Rosalie fixa le bol de fumée tourbillonnante. Ils avaient besoin de plus qu'un nom. Ce qu'elle tenait entre les mains pouvait les aider, et tant pis pour son propre esprit malmené.

– De quoi s'agit-il ? demanda Amerius.

– C'est la dernière fumée. Elle contient les ultimes instants du défunt, bien qu'avec si peu de restes il ne doit pas y avoir plus d'une minute de souvenirs.

Devinant à son expression qu’elle avait quelque chose en tête, Amerius se tendit.

– Je croyais que vous n'aviez pas assez d'expérience. Faites attention à ne pas vous...

– Ce n'est pas dangereux.

Elle ne lui laissa pas le temps de protester. Rosalie porta le bol à ses lèvres et avala la fumée.

Un froid glacial s'empara de son corps alors que son esprit basculait dans le vide. Dans la réalité, elle savait ses pupilles et iris disparus pour ne laisser qu'un blanc vide et mort.

Rosalie était penchée au-dessus d'un bureau, sa main épaisse et calleuse serrée autour d'un stylo à plume. Sa vision était trouble comme si elle regardait à travers de l'eau, conséquences des ossements dégradés. Son autre main tapotait nerveusement contre le meuble.

Ça n'allait pas, rien n'allait, la solution persistait à lui échapper !

Mais Noé aimait les problèmes sans solution apparente. Parce que lui seul était capable de les résoudre, parce que repousser les limites du possible était la seule chose qui comptait, n'en déplaise à Arnan XI !

Il allait devoir lancer d'autres essais sans tarder, en espérant que cette fois-ci son chapeau revienne entier. À l'occasion, il lui faudrait placer des pièges en forêt, afin de voir les résultats sur des êtres vivants.

Noé étancha sa soif avec un peu de café ; en réponse son estomac gargouilla. Depuis combien d’heures n'avait-il pas mangé ? Qu'importe. Plus tard, quand il aurait le temps.

Un claquement sourd lui fit lever les yeux de ses feuilles. Comme il ne se reproduisit pas, Noé se contenta d'un haussement d'épaules. Il manquait de place pour ranger et il arrivait parfois que des documents se tassent d'eux-mêmes.

– Monsieur Noé.

Astrasel sursauta. Il resta figé, abasourdi par cet homme qui se tenait dans l'encadrement de la porte, un revolver braqué sur lui. Noé savait que dehors, la pluie battait son plein, il l'entendait même dans ce sous-sol. Mais les vêtements de l'homme étaient secs.

– Qui... qui êtes-vous ? Vous n'aurez rien de ce qui m'appartient !

Pas ça, la Mort ne pouvait pas le faucher avant qu'il n’ait terminé ! Ça ne pouvait tout simplement pas être pour lui.

– Je suis désolé, s'excusa l'homme. Je vous admire beaucoup, mais ce que j'ai à accomplir vaut davantage que nos vies. Ne vous en faites pas, vos inventions permettront de changer les choses.

Il leva l'arme et tira.

Une brûlure lui déchira la poitrine. Noé porta la main à son cœur et sentit les battements affolés lutter pour ramener le sang dans ses veines, au moment où sa chaise basculait en arrière. Il se retrouva les pieds en l'air contre le bois.

L'homme se pencha au-dessus de lui. Le flou empêchait de voir son expression, mais la main qui tenait le pistolet tremblait.

– Je suis désolé, répéta-t-il. Mais consolez-vous en sachant qu'ailleurs, vous vivez.

Le froid du canon entre ses yeux. Son sang qui se vidait sur sa poitrine. L'inconnu posa son doigt sur la gâchette, mais la vision de Noé était déjà en train de s'assombrir. Il eut un sursaut de conscience en entendant le rythme rapide qui martelait les marches et venait droit sur eux. Quelque chose, quelqu'un venait droit sur eux, une silhouette fine aux longs cheveux blonds.

L'inconnu ne lui laissa pas de temps, il pressa la détente au moment où la femme s’arrêtait pour les regarder.

Noé ne sentit pas la Mort le ravir.

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