Chapitre 20 - 2

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Rosalie avait laissé échapper un murmure étranglé.

– Ce sont eux ! Eux !

Elle se leva, furieuse. Amerius l'imita, mais pour tenter de la calmer.

– Qui ça, eux ? Rose, expliquez-moi.

– Les magiteriens ! Ces fichus sorciers en mal de gloire !

Elle balaya le verre de la main, qui partit se fracasser contre le sol.

– Ils perdent leur influence et leur importance, alors ils tentent de s'acheter les faveurs d'un autre pays, en leur apportant la solution à leur guerre sur un plateau ! Et quand ce pays aura gagné, lui et eux danseront sur les cendres des autres nations, car seule leur survie compte !

Jamais de sa vie elle n'avait été aussi furieuse, aussi honteuse de ses origines, aussi plongée dans la sensation de perdre le contrôle des choses.

Elle pensa aussitôt à ses parents, à ce qu'ils savaient. Impossible qu'ils fussent au courant, pas après qu'ils l'eurent encouragée, les yeux dans les yeux, à pratiquer la magie en sachant que cela allait lui être retiré.

Si c'était quand même vrai ? S'ils lui avaient menti, s'ils s'avéraient aussi indifférents qu'Astrance, expliquant leur refus à quitter le domaine, en se disant que le moment venu leur fille les rejoindrait de grès ou de force ?

– Rose ! tonna soudain Amerius.

Elle sursauta. Il la regardait, de ses yeux étrécis par la colère. Rosalie se passa une main dans les cheveux, ce qui porta son regard sur les débris de verre à leurs pieds.

Elle déglutit, la gorge nouée par la honte.

– Je suis désolée pour le verre, je...

– Je me fiche du verre. C'est pour vous que je m'inquiète. Vous perdez pied, alors que vous n'êtes pas seule. Je suis là.

Je suis là.

Des mots que ses parents avaient été incapables de prononcer les jours où Astrance l'avait bafouée. À présent, Rosalie leur en voulait.

Curieux que cette phrase vienne de son patron, bien que ce terme n’ait plus le moindre sens. Ils avaient trop vécu, trop partagé pour qu'elle le désigne encore ainsi – du moins pour l'instant. Quand serait-il une fois les choses revenues à la normale ?

Ses collègues, ils étaient importants eux aussi, mais restaient des amis d'un soir, des gens avec qui s'amuser et oublier, il n'était pas question d'aborder des sujets graves avec eux.

Quant à Mona, c'était possible, mais son amie semblait tellement ailleurs que Rosalie n'était pas certaine qu'elle comprenne véritablement ce qu'il se passait autour d'elle.

– Je suis d'accord avec votre raisonnement, mais je me demande comment les magiteriens ont pu avoir en leur possession des morceaux de Lune avant que celle-ci ne soit conquise. Ils n'ont pas pu s'y rendre.

Sauf si c'est elle qui est venue à eux.

– Les magiteriens ont leurs propres histoires qu'ils racontent aux enfants, reprit Rosalie. Dans celles-ci, il est souvent fait mention de la Lune, qui aurait fait cadeau de la magie aux magiteriens pour les remercier de leur dévotion. Mais si la vérité était plus simple que ça ? Si un morceau de Lune était tombé sur Terre ?

– Cela expliquerait pourquoi les familles ne souhaitaient pas que le matériau soit exploité. Quelqu'un aurait fini par comprendre. Comme Noé l'a fait. Il a dû les faire chanter pour obtenir de la roche.

– Les manoirs magiteriens sont tous faits de pierre, une pierre qui ressemble à du matériau lunaire. Ils ont bâti leurs manoirs avec ça, c'est de là que vient la magie, elle rayonne sur ce qui l'entoure, voilà pourquoi la magie marche peu ou pas hors de nos frontières. Et je crois savoir où la Lune serait tombée.

Elle évoqua le cratère soi-disant naturel, en pleine forêt, celle-là même où se déroulent les assemblées. Celle-là même où elle avait failli mourir.

– Nous devons en être certains. Récupérer toutes les informations possibles. Et se préoccuper de vous.

Rosalie soupira.

– Je n'ai rien à voir avec...

– Si. Quand vous étiez sur ce toit, Noé a dit savoir de quoi vous souffriez. Qu'il pouvait vous aider. Il vous a fait quelque chose, et ce quelque chose est en rapport avec la magie.

Elle porta une main à sa poitrine.

– Pourquoi ?

– Parce que vous vous êtes sentie mal dès lors que vous avez été exposée à la pierre de Satel, qui ponctionne la magie. Cela s'est atténué lorsque nous avons changé de bâtiment, puis arrêté à notre retour ici.

Rosalie sentit la panique la gagner à nouveau. Qu'est-ce que sous-entendait Amerius ? Qu'elle était comme les Poupées ? Artificielle et sans conscience propre ? Elle baissa les yeux vers ses mains, les regarda, mais c'était bien du sang qui coulait dans ses veines, elle s'était déjà coupée et n'avait jamais vu de bois ambré. Elle avait son propre caractère, ses propres passions, sa propre psyché. Ses propres sentiments. Ce n'était pas quelque chose que la magie pouvait imiter. Les équations ne seraient jamais assez nombreuses et complexes.

– Rose ?

La voix d'Amerius tremblait. Rosalie s'en voulait, il était là pour elle et elle ne faisait que paniquer et rester silencieuse.

Reprends-toi, agis, va chercher des réponses !

« Est-ce que quelqu'un... t'aurait suivie, dernièrement ? »

Elle ne pouvait plus obtenir de réponse, car elle n’avait pas encore envoyé de lettre.

– Je vais envoyer un courrier en urgence à mes parents. Pour leur dire de nous retrouver.

– La bibliothèque serait une idée. Il est de notoriété que c'est le seul endroit où magiteriens et mages industriels peuvent se croiser. Nous louerons une salle de lecture.

Elle hocha la tête sans lever les yeux. Elle ne sentait plus capable de regarder quelqu'un en face.

– Vous avez du papier ?

– Ne bougez pas.

Il revint l'instant d'après, muni du nécessaire pour écrire.

Rosalie se fit passer pour un client dans l'embarras, une astuce convenue avec ses parents en cas d'urgence.

Astrance détruisant le courrier envoyé par magie industrielle, Rosalie dut se résoudre à dépenser une fortune pour qu'un facteur privé prenne sa lettre dans la demi-heure. Le rendez-vous était fixé au lendemain, dès midi. Jasmine et Pyrius n'auraient qu'à prétexter un restaurant en tête-à-tête.

La lettre envoyée, Rosalie dut se résoudre à une longue attente.

Amerius se racla la gorge.

– Si vous vous sentez seule, je...

– Merci, l'interrompit Rosalie. Mais j'ai besoin d'être un peu... et bien seule, justement.

– Je comprends.

Il lui proposa de lui appeler un fiacre, ce qu’elle refusa. Marcher lui ferait du bien, les soixante-dix minutes de trajets jusqu'à chez elle ne lui faisaient pas peur.

Son appartement n'avait pas bougé. Il y aurait pourtant dû y avoir un bracelet métallique sur le sol, découpé à la pince, et des affaires retournées par des soldats sans doute furieux.

Rosalie hésita à passer le seuil. Était-ce encore tout à fait chez elle ? Ne serait-ce pas plutôt comme un décor reproduit à la perfection ? Mais dans ce cas, que dire du reste ?

Elle referma la porte et Léni accourut aussitôt. Rosalie se pencha et le serra contre sa poitrine.

Le revoir, si innocent et candide, lui fit du bien, quand bien même ne s'était-il écoulé pour lui que quelques heures. Ce qu'ils avaient construit ces dernières semaines s'était envolé, mais Rosalie songea qu'elle aurait pu perdre la relation avec Amerius.

Elle l'avait un peu abandonné, mais ce soir, Rosalie avait besoin d'être égoïste.

Elle se déshabilla et prit une longue douche, comme si la sueur de leur fuite à la prison lui collait encore à la peau.

En sortant, elle s'essuya vaguement avant de se planter face au miroir. Sa main vint toucher la peau entre ses seins, sur son cou. Une peau qui lui paraissait désormais étrangère. Rosalie passa un doigt sur la petite tache de vin sur son nez, puis essaya de toucher celle dans son dos – elle y parvint du bout des ongles, sans résultats.

Elle aurait dû demander à Amerius de regarder. C'était de là que la lumière avait surgi pour la protéger, elle en était sûre.

Rosalie soupira avant de s'allonger sur le lit, enveloppée dans une couverture.

Son corps était en pleine forme, mais son esprit lui hurlait de le laisser partir. Rosalie s'assoupit en peu de temps.

Elle rêva qu'elle était prisonnière d'un corps de Poupée.

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