Chapitre 27 - 3

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En se penchant un peu, elle permettait d'accéder à une entrée.

– Tu crois que ça pourrait être ici ?

Elle n'était pas certaine de pouvoir remonter si c'était une fausse piste.

– Je vais y aller.

Rosalie barra le passage à Mona.

– Tu es en bottines à talons de dix centimètres. Laisse-moi faire.

Elle lui confia la lampe et se tassa contre la roche avant de se laisser glisser jusqu'à la marche. Rosalie s'y accrocha à s'en plier les ongles, terrifiée par les vagues qui venaient fouetter la pierre seulement quelques mètres en dessous.

Elle s'accroupit et se glissa dans le creux. Elle avança à quatre pattes sur trois mètres avant que le boyau ne s'élargisse. Rosalie se releva pour faire face au nouvel escalier qui s'enfonçait dans la falaise. Elle envoya Léni informer Mona, qui la rejoignit quelques instants plus tard, l'air peu secouée par l'escalade.

Rosalie ouvrit la marche dans l'escalier tournant. Au bout d'un moment, les deux jeunes femmes se trouvèrent à l'orée d'une caverne.

Un crépitement retentit et une série de lumières prirent vie sur la roche, du sol jusqu'au plafond, entre les stalactites à une dizaine de mètres de haut. Les lumières s'avéraient être de simples plaques de métal gravées d'équations. De quoi fournir un éclairage certes faible, mais sans avoir recours à de l'électricité.

Des établis et bureaux se massaient le long des parois, entre les coffres et les étagères bancales.

Dans un coin, des rideaux avaient été tendus sur des portiques pour ménager un espace de repos.

En s'avançant vers le centre, Rosalie trouva ce qui ressemblait à un morceau de bois articulé.

Elle releva alors la tête, débarrassée du masque, pour se rendre compte qu'il n'y avait pas que des stalactites qui pendaient du plafond. Elle vit des corps, de bois et de tissu, abîmés de taches d'humidité et de trous. Certains membres n'avaient pas été greffés, à moins qu'ils ne fussent arrachés.

Des cordes passées autour de la nuque, les Poupées pendaient misérablement, comme des condamnées à mort.

Rosalie se retint de pleurer. Des dizaines de June et d’Aliza se tenaient là, abandonnées comme des choses inutiles. Les voir ainsi lui brisa le cœur. Elle se détourna, résolue, mais pas vaincue. Elle aurait ses réponses.

De son épaule, Léni sauta à terre pour aller explorer les lieux. Rosalie suivit son exemple et s'approcha d'un établi jonché de taches d'huile séchée. Une épaisse poussière collante recouvrait les outils de mécanique, tandis que les plans de machine laissés dans un coin s’effritaient dans les mains de Rosalie.

Il en allait de même pour les documents entassés dans des cartons. L'humidité de la mer avait gondolé et désagrégé le papier.

Dans la partie repos, les réserves de nourriture avaient moisi, et les draps du lit étaient rigides de sel.

Les lieux semblaient abandonnés depuis des décennies, sinon davantage, ce qui n'était pas impossible si toutefois Noé avait décidé d'établir son refuge dans le passé – un moyen sûr de ne pas se faire attraper.

Rosalie eut un pincement à son cœur mécanique en découvrant des cages remplies de squelettes de rats, dont les auges de nourriture s'étaient depuis longtemps taries. Certains membres et organes des rongeurs ne s'étaient pas décomposés, mais avaient rouillé, comme pour n'importe quel métal.

– Ce type est fou.

Avait-il essayé sur ces animaux les organes qui lui étaient destinés ?

Rosalie s'éloigna des cages et retrouva Mona sur une large plateforme circulaire, située sous les cadavres de Poupées.

– Tu te bases sur peu de choses, fit-elle.

Rosalie la regarda comme si elle était folle.

– Non. Sur mon expérience. Je l'ai vu. Il n'avait pas toute sa tête. Et bien que cela soit dû à la magie, il a au départ choisi cette voie. Qu'il ne s'étonne pas d'être mal vu.

Mona secoua la tête.

– Les fous... il est facile de leur accorder tous les torts qui existent.

Rosalie fit quelques pas vers le fond de la plateforme, agacée.

– Il a massacré toute une famille. Il nous met en danger aussi sûrement que la guerre qui nous menace et qu'il tente paradoxalement d'arrêter.

Mona soupira.

– Je comprends. Mais comme je te l'ai déjà dit, même les monstres cachent des êtres humains en leur sein.

Rosalie hocha la tête, désabusée. Elle se souvenait bien de cette phrase en peu étrange, prononcée par son amie lorsqu'elle était venue la voir quelques jours après le cambriolage à la Bulle.

– C’est comme moi, tu voies, ajouta Mona. Les gens me traitent souvent de folle, ils me reprochent d’en faire trop pour eux.

Du coin de l’œil, Rosalie observa son amie. Elle avait adopté une démarche ample, se laissait porter entre les établis. Le bout de sa langue toucha sa lèvre. Un air agacé déformait son visage, fissurant la couche de fard sur sa peau.

– Sauf que je n’en fais pas trop. C’est de l’amour, tout simplement. Quand on aime quelqu’un, on le lui montre, on n’attend pas que ça soit la fin !

Sa voix était secouée de quelques trémolos. Rosalie ne la quitta pas du regard, sourcils froncés. L’esprit de son amie partait en vrille. La première fois que Rosalie en avait été témoin, elle était restée clouée sur place. À chaque fois, cela produisait une sorte de choc en elle, comme une rencontre avec une autre réalité. Avec une autre Mona.

Dans ces moments-là, Mona lui faisait penser à sa mère, et la solution s’avérait alors la même : se taire et attendre.

Son amie s’empara soudain d’une clé à molette sur une table, un air méprisant sur le visage. Elle laissa retomber l’outil au sol et le regarda, avant de finalement renifler. Un spasme agita sa paupière.

– Et parfois, l’amour, c’est faire des choses qui peuvent sembler étranges.

Elle se tourna vers Rosalie, avec l’air de vouloir lui faire une confidence.

– Comme attendre désespérément son amie sur le palier de sa porte, dans le froid.

Rosalie opina avec un petit sourire triste. Elle s’en voulait encore pour ça. Son geste parut satisfaire Mona, qui secoua soudain la tête.

– Tu as trouvé quelque chose ? demanda-t-elle comme si rien ne c’était passé.

– Non, je…

Rosalie s'arrêta brusquement.

Elle réfléchit à ce qu'elle venait d'apprendre.

Ces retrouvailles sur le palier d’une porte avec Mona avaient eu lieu et jamais eu lieu à la fois. Rosalie l'avait vécu, mais pas ici. Pas dans ce maintenant.

Mona n'aurait pas dû s'en souvenir.

Rosalie se retourna vers elle. Son amie la fixait, une expression nerveuse sur le visage.

Son visage. Ce visage que Rosalie avait déjà vu sans le reconnaître. C’étaient les mêmes cheveux, la même nuance à peine plus claire d'iris, le même menton.

C'était le visage de Noé.

– Rosalie, ce...

– C'était toi, souffla-t-elle.

Ses poumons étaient soudains en mal d'air, sa poitrine trembla quand elle hurla.

– C'était toi ! Toi !

– Rose, s'il... !

Mona leva les mains, tenue en joue par le revolver que Rosalie venait de dégainer.

– Tu es avec lui ! Mes organes, le vol... Tu savais depuis le début ! Tu me surveillais pendant tout ce temps !

– Non ! Je veillais simplement !

– Veiller ?! Tu as tenté de tuer Amerius !

– Pour te protéger ! Pour t'éloigner de lui ! Tu étais encore mêlée à tout ça, et je ne voulais pas que ça arrive !

– Mais qu'est-ce que ça peut te foutre ?! En quoi ça te concerne ?!

Qu'est-ce qu'elle venait faire au milieu de ce schéma embrouillé ?

Mona hurla d'un sanglot déchirant, son visage trempé de larmes.

– Si ça me concerne ? Est-ce que tu as la moindre idée de ce que ça a été de vivre ce cauchemar ?! De grandir sans toi ?!

Rosalie sentit sa prise sur l'arme faiblir.

Grandir sans toi.

Elle regarda à nouveau ce visage. Ce visage si semblable à celui de Noé.

Noé qui avait aimé Rosalie.

Rosalie qui avait sans doute aimé Noé.

Et ce visage si ressemblant.

Grandir sans toi.

Un nœud faillit lui obstruer la gorge.

– Mona... tu es... ma... ma...

Ce coup reçu à l'âme l'empêcha de réagir assez vite. Mona s'était jetée sur elle à une vitesse impossible pour la saisir par la taille. Son autre bras s'enroula autour de son cou, lui coupant la respiration. L'arme de Rosalie lui échappa des mains, tombant sur la pierre dans un bruit de défaite.

– Mona... non...

– Je suis désolée. Mais ça ne peut plus durer.

Une brûlure vint piquer la chair de Rosalie, juste sous la mâchoire.

Elle perdit la force de résister. Elle glissa au sol, les épaules retenues par Mona, en même temps que sa vision se troublait.

Rosalie s'effondra, juste au moment où Léni courait se cacher derrière les vestiges d'un bureau.

Mona se laissa tomber à ses côtés avant de lui passer une main dans les cheveux.

– Je suis désolée. Tellement désolée.

La dernière chose à laquelle pensa Rosalie fut la peine qu'elle allait causer à Amerius.

La dernière qu'elle entendit fut la supplique de Mona.

– Pardonne-moi, maman.

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