Chapitre -- * (- 2)

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Rosalie s’avança jusqu’au parloir. Elle s’assit devant la vitre percée de trous sans oser regarder l’homme qui se tenait derrière.

– Rose, ma chérie, comment vas-tu ?

Elle releva la tête et affronta son mari du regard. Maguel lui souriait, à croire qu’il s’inquiétait de savoir si elle avait passé une bonne journée au travail et que le repas attendait sur la table. Sauf qu’il n’y aurait plus de dîners en famille.

Depuis la dernière fois, les joues de Maguel s’étaient encore creusées, les cernes sous ses yeux aussi bleus qu’un glacier s’étaient épaissis. La prison allait le tuer avant qu’il n’aille au bout de son jugement. Pour sa propre sécurité, il avait été placé en isolement, un choix qui devait le rendre fou, lui qui aimait la compagnie. Le déni commençait déjà à ronger sa perception de la réalité.

– J’ai subi un nouvel interrogatoire, ce matin.

– Ho. Tu m’en vois désolé. Comment était-ce ?

Rosalie soupira. Maguel était à côté de la plaque. Elle prit cela comme un signe. Toute leur vie, Maguel avait rythmé la leur. Il l’avait demandé en mariage après seulement trois mois de relation. Une durée qui n’avait rien d’extraordinaire, mais à l’époque il passait beaucoup de temps dans une autre ville. Rosalie et Maguel se connaissaient donc assez peu lorsqu’il lui avait offert la bague. Mais elle tenait à lui et avait accepté, heureuse de compter autant pour quelqu’un. Son fiancé avait demandé sa mutation à la capitale et ils avaient emménagé dans la maison qu’il y possédait.

La question des enfants s’était rapidement posé. Rosalie avait freiné les ardeurs de Maguel. Elle n’avait que vingt-trois ans et voulait se consacrer à sa carrière le plus longtemps possible. Diriger La Bulle Mécanique ne se faisait pas sans des sacrifices, et elle comptait bien mener la fabrique au sommet des entreprises de magie industrielle. Mais trois ans après, son ventre s’était arrondi, retardant ses plans de plusieurs années.

Elle n’avait pas compris comment cela avait pu arriver, les potions contraceptives magiteriennes étaient très efficaces. Une petite voix n’avait pu s’empêcher de lui murmurer que Maguel avait trafiqué les breuvages – les dernières ingérées lui avaient semblées plus fades qu’à l’ordinaire.

Rosalie se souvenait de sa contrariété et de l’orage dans son regard, quand elle lui avait dit non. De ses piques régulières, chargées de reproches sous-entendus, ces trois dernières années. Elle avait secoué la tête, devant forcément se tromper, les sorts magiteriens n’étaient pas infaillibles. Et l’arrivée de Mona avait donné un nouveau souffle à leur vie, que Rosalie trouvait déjà trop monotone. Leur fille avait maintenant cinq ans, et n'arrêtait pas de demander quand Papa allait rentrer à la maison.

Rosalie leva sa main gauche devant sa poitrine. Elle chassa la culpabilité qui menaçait de la noyer et fit la meilleure chose à faire pour elle, en mettant fin à ce qui n’avait plus aucun sens. Elle retira son alliance et sa bague de fiançailles avant de les poser devant la vitre.

Maguel les regarda sans comprendre.

– Elles te font mal ? Tu pourrais les faire agrandir.

– Non, Maguel. Je n’en veux plus. Tu es prison pour le reste de ta vie. Être mariés ne veut plus rien dire.

Son sourire vacilla.

– Le reste de ma vie ? Allons, je crois que tu…

– Tu as assassiné un homme ! Tu t’es fait complice de ses crimes !

Il secoua la tête, l’air perdu.

– Ce n’est pas avec toi que je veux continuer ma vie.

Cette phrase sembla rallumer une conscience chez Maguel. Il releva la tête, le glacier devenu un orage.

Rosalie aurait pu tourner sa phrase autrement, mais de manière inconsciente, elle avait peut-être eu besoin de lui avouer la vérité.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle ne répondit pas.

– Il y a quelqu’un d’autre, c’est ça ?

Sa lèvre tremblait. Il frappa la vitre, faisant sursauter Rosalie. Le garde le rappela à l’ordre et Maguel baissa la main.

– Je le savais. Je me doutais bien que tu ne travaillais pas autant. Comment as-tu pu me mentir ?

– Tu es mal placé pour me dire ça, cracha-t-elle.

Il l’ignora.

– C’est ce type, c’est ça ? L’espèce de grand coincé qui te sert d’assi…

– Ne l’insulte pas !

Elle se leva, furieuse. Venir ici était une erreur, elle aurait eu mieux fait de lui renvoyer les bagues par courrier.

– Adieu, Maguel.

Elle s’éloigna, fuyant l’appel désespéré puis rageur de son prénom. Les gardes durent le maîtriser, et lorsque Rosalie quitta la pièce sans se retourner, il lui sembla qu’on plaquait Maguel au sol.

Le soleil s’était couché depuis une heure lorsque Rosalie sonna à la porte. Son amant lui ouvrit aussitôt avant de lui tendre des bras où elle se réfugia.

– C’est terminé, annonça-t-elle. Je l’ai quitté.

– Quand le divorce sera-t-il prononcé ?

– Je suis passée voir un avocat cet après-midi. Maguel étant en prison, je n’ai pas besoin de son consentement pour le divorce. Cela ne devrait pas prendre plus de deux semaines.

Elle voulut ajouter quelque chose, mais ne savait pas comment le faire.

– Qu’y a-t-il ?

Rosalie lui prit la main et la posa sur son ventre, là où il se mettrait bientôt à grossir.

– Je suis enceinte.

Ils se marièrent sitôt le divorce prononcé.

Mona vint vivre avec eux. Les premières semaines, la fillette resta cloîtrée dans sa chambre à réclamer son père. Rosalie tenta de lui expliquer qu’il avait fait une grosse bêtise et serait puni pour le reste de sa vie. Mais Mona refusait de comprendre, elle et Maguel avaient toujours été très proches – Rosalie s’était parfois même sentie étrangère à leur duo, Maguel passait tout à sa fille, ignorant l’avis de sa femme.

Elle s’en voulait de priver Mona de son père. Mais elle était encore très jeune et n’aurait que peu ou pas de souvenirs de lui. C’était la meilleure chose à faire. Rosalie avait même demandé à ce que sa fille porte son nom de naissance, devenant ainsi Mona BasRose.

Après trois mois de patience, la fillette sortit de sa bouderie. Mais elle restait silencieuse la plupart du temps et ne cessait de jeter des regards noirs au ventre de Rosalie, qui avait commencé à s’arrondir.

Mona rejetait son nouveau beau-père. Elle l’ignorait ou changeait de pièce quand il essayait de lui parler. Une fois, il avait tenté de la prendre dans ses bras, pour la consoler de son jouet cassé et elle s’était aussitôt mise à hurler.

Désespérée et épuisée par sa grossesse proche du terme, Rosalie faisait de plus en plus souvent garder sa fille par ses parents, venus habiter en ville peu après la naissance de Mona.

Elle espérait que l’arrivée prochaine de sa demi-sœur permettrait à son ainée de s’épanouir dans son rôle de grande sœur. Ce fut le contraire. Mona s’était calmée, même si elle regardait toujours le bébé avec un air désapprobateur. Rosalie comprit leur erreur le jour où elle la trouva penchée au-dessus du berceau, une paire de ciseaux à la main.

Mona eut droit à un nouveau séjour chez ses grands-parents, tandis que Rosalie demandait conseil à un pédopsychiatre. Son ainée souffrait plus qu’elle ne l’avait imaginé, aussi sa mère l’inscrit-elle dans un internat spécialisé. Elle culpabilisait de se séparer ainsi de sa fille, mais refusait de mettre en danger sa cadette et de mettre davantage l’incroyable patience de son mari à l’épreuve.

Ils eurent droit à plusieurs mois de répit, ponctué par les débuts de leur fillette dans le monde de l’enfance, et les visites hebdomadaires de Rosalie à l’internat. Entre temps, le procès de Maguel eut lieu, le condamnant à la peine maximale.

Rosalie se crut enfin débarrassée de lui.

Mais en nafodard mille-neuf-cent-dix, les Basses-Terres déclarèrent officiellement la guerre à la Cie-Ordalie en bombardant l’une de ses villes.

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