Chapitre 50
Palais Royal, 13h34, 18 de jerve l'an 1901
Rosalie ouvrit les yeux sur la pénombre.
Elle les referma et écouta les battements de son cœur. Sa poitrine se leva et s’abaissa, l’air entra et ressortit. Elle respirait. Le sang circulait dans ses veines.
Elle leva un bras engourdi et le porta à son ventre. Sous la chemise de nuit, elle sentit un épais bandage, le tiraillement de points de suture. Une larme de reconnaissance glissa sur sa joue.
Elle était vivante.
L’histoire avait choisi de la laisser en paix encore un peu.
Rosalie tourna la tête sans reconnaître la pièce où elle se trouvait. Les contrevents entrouverts laissaient passer un peu de jour, qui révéla les contours de meubles en bois et de murs blancs. Sa vue ne lui apprenant rien, Rosalie écouta. Par la fenêtre, elle entendait le bruissement des feuilles agitées par le vent.
Elle se redressa, la main sur sa blessure. Puisque celle-ci ne se mit pas à saigner, elle retira le drap. Elle tenta de passer ses jambes par-dessus le matelas, quand la porte de la pièce s’ouvrit.
– Non, non, non ! Restez allongée !
Une femme en uniforme d’infirmière se précipita vers elle, avant de remettre ses jambes en place.
– Je dois d’abord vous examiner.
Rosalie la laissa faire.
– Où sommes-nous ?
– Au palais.
– Alors c’est terminé.
L’infirmière hocha la tête. Elle lui fit monter un plateau-repas et l’autorisa à prendre une douche. Les vêtements de Rosalie l’attendaient sur le lit, propres et rapiécés.
– Est-ce qu’Amerius Karfekov est ici ?
La femme lui sourit.
– Il a dû repartir tôt ce matin. Mais je lui ai déjà envoyé une missive. Il sera peut-être là dans une poignée d’heure, si elle le trouve à temps.
Rosalie lut un peu avant de dormir un peu. La chambre de l’infirmerie était spacieuse et confortable, et le personnel aux petits soins avec elle.
Elle se réveilla en fin d’après-midi, alors que le soleil commençait à disparaître. Elle avait besoin d’air frais. L’infirmière l’autorisa à se rendre dans le jardin.
Loin de la ville, le parc était silencieux. Les personnes que Rosalie croisa la saluèrent d’un hochement de tête, avec un air qu’elle trouva bizarrement reconnaissant. Elle espérait qu’ils ne l’imaginaient pas en sauveuse, car elle n’avait rien fait sinon se faire transpercer.
Le vent soulevait les brins d’herbe et agitait les fleurs. Debout face à l’horizon et la mer, Rosalie contempla le coucher de soleil. Un peu plus loin sur la droite, les côtes Bas-Terriennes étaient toujours inchangées, mais sur les terres, les habitants devaient être en train de vivre leur propre bataille.
Rosalie resserra son manteau sur elle. Le froid lui gelait les os, mais il lui rappelait qu’elle était toujours de ce monde, de même que les petits nuages de vapeurs qui s’échappaient de ses lèvres.
Un appel perturba soudain sa rêverie avant d’être emporté par le vent. Rosalie se retourna pour apercevoir une silhouette venir vers elle. Elle reconnut la haute taille d’Amerius, manteau ouvert malgré la température. Elle combla la distance entre eux et ils purent enfin se prendre dans les bras.
– J’ai cru que tu ne te réveillerais jamais.
Les excuses et les paroles de réconfort passées, ils se mirent à marcher autour de l’étang. Rosalie apprit qu’elle se trouvait ici depuis trois jours.
– Et Maguel ? demanda-t-elle.
Elle était peinée de devoir percer la petite bulle de quiétude qu’ils venaient de se créer, mais elle avait besoin de savoir.
– Galicie lui a fait couper la tête. Je ne pense pas que le corps repousse.
Rosalie laissa échapper un rire.
– Il n’y a plus aucune menace envers les Basses-Terres, ajouta-t-il.
Celles-ci se trouvaient désormais sous la tutelle de l’Union, mais les élites au pouvoir avaient fui ou ouvert le feu. L’Union faisait tout pour contenir les tensions, mais elles auraient forcément des répercussions sur chaque nation.
Mona avait bel et bien péri. Des soldats l’avaient trouvé dans la cellule de Maguel, tombée en poussière. Rosalie laissa ses larmes couler. Elle aurait voulu dire adieu à son amie, et qu’elle lui pardonnait.
– Et si on rentrait ?
– Oui. Tes parents vont finir par devenir fous. Les autres aussi s’inquiètent, et je suis à court d’excuses.
Rosalie fronça les sourcils, ne voyant pas à quoi il faisait allusion.
– Les autres ?
– Oui. Les membres de la Bulle.
Elle eut l’impression de devoir se rappeler une autre vie.
– La… ah oui, la Bulle.
Bon sang, elle en avait presque oublié qu’à l’origine, elle avait un travail. Y retourner pour se contenter de s’asseoir derrière son bureau allait lui faire un drôle d’effet. Elle craignait que sa vision de la fabrique n’ait changé, mais refusa de se faire du mourront avant de le vivre.
Amerius se moqua gentiment d’elle avant de lui rappeler qu’elle avait plusieurs mois de travail en retard. Elle était contente de revenir, mais animer de simples jouets allait sans doute lui paraître fade après tout ce qu’elle avait accompli.
Sauf si l’histoire avait décidé de lui réserver autre chose.
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