Palabres
Mongo retourne rapidement chez lui. Il ordonne à ses épouses de préparer un repas pour l'après-palabre qu'il doit conduire.
Chinaca l'enroule de sa présence insistante et le questionne pour connaître la raison de sa visite chez Toubou qui nécessite à présent un palabre. Elle se doute bien que le petit monstre en est la cause. Comme elle s'inquiète un peu de la froideur relative de son époux, elle se fait aussi douce qu'un ventre de serpent.
« Tu sembles bien contrarié, j'ai fait quelque chose qui te déplaît ?
— Il ne s'agit pas de toi, mais du village…
— Ah ? Que se passe-t-il donc ? Une attaque ? Des maladies ? Les récoltes ?
— Tu es si curieuse, Mongo sourit, non quelque chose d'inattendu qui vient de la magie et de volontés supérieures, tu n'en sauras pas plus ! Habille-moi, c'est un palabre cérémonial. »
Des décisions sont prises, importantes, lorsque le monkozi est habillé.
Dés que son mari est parti, Chinaca fait venir son etumba, Tissina. Il entre comme un guerrier et rapidement se relâche : ils sont seuls. Il regarde sa reine avec concupiscence : il est prêt à la prendre. Il est toujours prêt à la prendre, ce qu'il a parfois du mal à masquer. Chinaca l'invite par une position sans équivoque. Ils ont un rapport rapide et brutal, ceux qu'elle préfère.
Ses propositions sexuelles transforment le guerrier en poupée de paille : elle en fait ce qu'elle veut de Tissina, cette domination la rend euphorique. Et jouer avec le feu de Mongo, ruser, mentir, ajoutent à son plaisir. C'est une victoire secrête, chaque fois qu'elle le trahit.
C'est ainsi, l'amour malsain de Chinaca se nourrit du pouvoir opposé au pouvoir. Elle joue pour se sentir en vie, elle joue quand tous les autres tremblent, elle joue parce qu'elle détesterait perdre le contrôle, même dans l'amour que le chef lui donne sans compter.
Leurs ardeurs calmées, Chinaca passe sa langue sur la bouche de Tissana et chuchote :
« Le Roi est en grand apparat, il va tenir un palabre.
— Oui je sais…
— Bien sûr que tu le sais, tu es un homme. Je veux que tu me racontes ce qui se sera dit. Il faut que je connaisse tout ce qui se dit. Nous devons être prudents, on ne sait pas ce qu'impliquent les décisions du roi, il pourrait décréter une guerre ou vouloir honorer un homme dont nous devons nous méfier. Ce qui ne nous concerne pas, Tissina, nous concerne toujours.
— Tu as l'esprit plus tordu qu'une liane, mais j'admets que tu es plus intelligente que moi, tu sauras tout. »
Sous l'arbre à palabres chaque guerrier proche du roi frappe un lokole. Les sons rapides et vibrants invitent les villageois à regarder du côté du chef assis sur le trône qu'on a installé pour lui. L'habit cérémoniel qu'il porte - pagne blanc, coiffe de plume et ceinture de Cauris -, est sans équivoque, il semond tous les hommes à l'appel des tambours.
Les hommes se placent autour du chef, les plus riches au plus près de lui, en demi-cercle face à la petite foule d'hommes sans titre ou trop jeunes pour compter parmi les influents.
Les lokoles se taisent.
Selon les rites, le plus vieux des griots s'adresse au roi au nom des siens et des villageois.
« Nous nous souviendrons.
— Je vous parle. Je dois déterminer si les faits qui arrivent, liés aux monde-demis, qui sont si dangereux, si étranges, sont le fait de Njambi ou d'esprits malveillants. Dans trois jours, au soir venu, nous célébrerons un rite profond d'Iboga, la sorcière et moi. À l'issue de ce voyage, je prendrai les décisions qui s'imposent. Prochainement mon corps sera vide, je le place sous la responsabilité et la protection de mes deux meilleurs guerriers : Yembé et Masa.
— Quels sont ces évènements si étranges, si dangereux ? Bien sûr le griot sait de quoi il s'agit mais il parle au nom de tous,
— Une créature est venue à nous. Si Njambi impose sa volonté, elle nous sauvera. Si ce sont les molimo que le grand dieu laisse jouer, elle causera notre perte. Je ne le permettrai pas.
— Quelle est cette créature ?
— Vous l'apprendrez lorsque je reviendrai.
— Et si tu ne reviens pas ?
— Yembé la tuera ! Si je ne reviens pas c'est que Njambi ne m'a pas protégé, qu'il a laissé les molimo me tuer.
— Mais si le dessein du chemin de Njambi implique que tu meures… »
Les hommes murmurent, le griot est rusé, il aime soulever tous les problèmes, il le fait pour le prestige qu'il en retire mais aussi par prudence. Le chef des clans réfléchit :
« Si mon voyage est lié à la vie de la créature, Njambi ne permettra pas que je meure pendant que je cherche le Bwiti. Il me frappera après. »
Le palabre commence, les comment, les quand, les où, relatifs à la cérémonie d'Iboga, égrènent le temps des discussions.
Les dignitaires poursuivent leurs commentaires dans la case de Mongo où ils resteront manger jusqu'à la nuit tombée.
Les hommes prennent les mesures habituelles pour les nuits que dureront la transe, une pour partir, une pour revenir. Tout le monde devra rester dans le village, excepté les gardiens de cheptels. Mais les mères leur feront porter la part des plats qui leur revient.
Une chasse commune doit avoir lieu dès le lever du soleil, le lendemain. Elle doit garantir une confortable avance de nourriture pour tous les clans de la tribu. Des sentinelles, issues des familles associées aux différents quartiers, sont prévues pour prévenir les intrusions possibles et veiller à l'ordre relatif qu'une beuverie collective chahute nécessairement.
En quittant le palabre, les hommes mettent les femmes en ordre de marche, récolter les racines et les broyer, préparer du bois pour les feux, filtrer de grandes quantités de lotoko. La boisson fermentée de maïs et de manioc est appréciée de tous, moins à cause de son goût qu'en raison de l'ivresse qu'elle produit.
Les adolescents assez forts qui ne sont pas occupés à garder des cheptels sont chargés de cueillir des fruits, des enfants plus jeunes les accompagnent. Il faut aller assez loin pour ne pas entamer les ressources à proximité immédiate du village.
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