Amis Ennemis
Pas très loin du village, presque à la vue de tous, l'Ancêtre jouit des sens de Chinaca, il se caresse, se renifle, se pince, se lèche… Il l"'intruse", l'humilie, la viole, il la sent se désespérer, alors il va plus loin pour la souiller. Il râle de plaisir, elle hurle de honte dans la prison de son esprit.
Puis l'univers de ce corps lui devient insuffisant. Il veut la caresse du sucre dans sa bouche, il veut mordre dans la chair. Il veut trembler de froid, se brûler, se baigner de boue, il veut vivre des orgies, subir la violence d'un autre, la rendre…
L'Ancêtre entre dans le village comme un démon dans son église.
*
Toubou souffle sur le visage de Leki pour la réveiller. Il lui semble que la petite fille est léthargique, il fait chaud. Le village dort assez mal.
« Tu es fatiguée ma fille, tu vas rester "à case" pour dormir. Je vais voir le roi. Si, lorsque tu te réveilles, je ne suis pas là, je voudrais que tu observes les simples qui attendent depuis hier que je m'en occupe. Tu les mettras en botte à sécher et tu essayeras de me dire celles que tu reconnais et à quoi elles servent. Je me sauve, reste ici, d'accord ?
— Oui mama. »
Lorsque la chamane franchit le seuil, Leki s'est allongée sur une natte. Elle dort sans doute déjà comme il est possible à cet âge.
*
L'Ancêtre est animé d'un tourbillon de désirs. Il veut tout en même temps, une excitation à sa mesure le soulève. Il doit en apaiser le feu. Lorsqu'il franchit le seuil de la case du roi, les deux coépouses le toisent goguenardes, il leur rend regard pour regard. Son aplomb est tel que les certitudes des deux femmes se fissurent : Chinaca n'est ni blessée, ni amoindrie, elle a juste l'air démoniaque.
Les coépouses ont peur, elles regardent ailleurs, mais l'Ancêtre ne les lâche pas des yeux jusqu'à ce qu'il soit à la hauteur de Mongo. Il le contemple avec gourmandise, le contourne et saisit le pan de bois qui sert à masquer la porte de discrétion.
Ceci fait, il déshabille le corps de Chinaca en marchant sur son époux. Les témoins de la scène sont tout à fait saisis. Un coup d'oeil sinistre de Chinaca vers les femmes les convainc de se soustraire à sa présence, le plus vite possible. L'Ancêtre contrôle la voix de sa prisonnière du mieux qu'il peut :
« Placccez le bâton du tabou à l'entrée ! »
Mongo garde la bouche ouverte, la surprise le pétrifie. La voix rauque et l'attitude de sa femme, l'inquiètent et l’excitent, il se demande s'il doit se lever et l'attraper ou la frapper et partir. Son cœur bat la chamade. Les gestes de l'Ancêtre l'empêchent de réfléchir plus longtemps. Une transe comme un rêve au goût de sang commence pour le roi.
Il croyait connaître les choses du sexe, il n'était qu'un enfant.
Lorsque Toubou arrive au village, elle aperçoit le bâton du tabou devant la case du roi.
Elle diffère l'entretien au lendemain, la nuit tombera sous peu, elle a cependant le temps de trouver des lianes de Totolo.
*
Le feu crépite devant la case de la chamane quand elle rentre. Vuvu l'attend en silence avec Badou. Son coeur se serre.
« Elle a beaucoup de fièvre ! Badou l'a trouvée haletante en rentrant, il ne savait pas quoi faire, il est venu me chercher. Tu dois t'occuper du féfélé.
— Je ne peux pas vraiment agir sur son corps, je dois donner ma vie aux molimo.
— Qu'est-ce que tu dis ? »
L'expression de Badou souligne la même peur soudaine :
« Je n'ai pas le choix, le difficile chemin de Njambi commence ici. Les ancêtres ne peuvent rien, il me faut l'aide des molimo même si je connais le prix. Je vais m'exposer au milulu du Totolo.
— Et Mongo est d'accord ?
— Son avis ne compte pas : qu'il me donne ou pas son accord je le ferai ! Mais je voulais le prévenir aujourd'hui. Je n'ai pas pu lui parler et j'ai peur maintenant d'attendre demain.
— Il faudrait au moins qu'une mère te garde ! Mais aucune ne risquera ta vie sans l'accord du roi !
— Alors on va agir différemment. Badou, ne pleure pas, je suis une vieille femme, même si les molimo me gardent, c'est que Njambi me tend les bras et m'accueille pour que la vie croisse. Mais où que j'aille Badou, je serai avec toi.Tu es mon fils ! Vuvu t'aidera tu ne resteras pas seul. »
Émue aux larmes la jeune femme acquiesce.
Toubou entre dans la case. En passant devant son fils, elle dépose une caresse sur ses cheveux blancs, il retient sa main.
Sur une natte, Leki geint et semble avoir un peu de difficultés à respirer. La paume sur son front brûlant, la chamane sent que le féfélé est puissant. La vie de Leki est en danger. La sorcière ressort immédiatement :
« Badou, tu prends Leki et tu la poses contre l'eau de la rivière, l'eau doit courir sur son corps. Tu restes près d'elle, quand la lune aura tourné sur la montagne de l'est, tu la ramènes ici. Va Badou, je t'aime mon garçon. »
Elle le regarde s'éloigner un instant.
« Vuvu, je vais prendre le Totolo. Tu attendras que Badou soit revenu avec Leki et tu partiras chercher la très vieille mère du bwiti, elle n'est pas peureuse. Tu diras que tu voulais un peu de doundounké pour tes maux de tête et que tu m'as trouvée comme ça. Tu diras que Badou est avec sa sœur près de moi, et que sa sœur a beaucoup de fièvre. Je laisserai en place tous les indices pour que mama Bwiti comprenne ce qu'il se passe.
— Attends un peu, il faut que le contre-poison puisse agir, si mama traîne ou ne réagit pas assez vite, tu vas mourir !
— Si je meurs c'est la volonté de Njambi !
— Si tu meurs alors qu'il ne s'agissait que d'attendre un petit peu, tu ne sers les intérêts de personne ! Pense à tes enfants !
— Je ne veux pas que Badou voit les spasmes de mon corps.
— Je vais rester, surveiller et je le laisserai entrer dès que possible. Attends Toubou ! Attends ! Moi aussi j'ai besoin de toi ! »
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