Chapitre 8-2

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– Je te tiens !

Il cria de stupeur lorsqu’un bras vigoureux le prit en otage avant d’être menacé par la machette de son agresseur. La surprise fit bondir tous les invités qui n’osèrent pourtant pas faire un pas.

Le nouveau venu traversa le couloir, s’exposant à la vue de tous. Une chemise en mauvaise état, un masque de hockey, la machette… le tout maculé de sang.

– Ah ouais, lâcha Frédéric, Jason Voorhees.

Le tueur libéra l’anglophone avant de dévoiler son visage souriant. Une paire de lunettes rectangulaires, des cheveux noirs coiffés en bataille à la frange anarchique cachant de moitié ses sourcils noirs. Un nez pointu et une mâchoire carrée de jeune adulte modelaient son visage d’adolescent.

Le bilingue fut pris d’un éclat de rire.

– Salut, tout le monde ! lança le nouveau, jovial. Je suis le dernier ?

– Oui, sourit Patrice. Nico, voilà mes potes. Tout le monde, voilà Nico. Mon camarade de filière. Un gars hyper sympa, on ne dirait pas comme ça !

– Je n’en doute pas une seconde… réagit Solène, perplexe.

Poli, Nicolas prit le temps de saluer tout le monde, un par un. Cela lui attira une boutade de Frédéric, amusé par le fort contraste entre sa bonne éducation et son entrée fracassante.

Alors que Patrice annonçait le début de la soirée, Frédéric lui demanda la raison de la présence du navet. Il lui expliqua alors que c’était le symbole de Halloween avant d’être remplacé par la citrouille au temps de la famine irlandaise. Poussé à fuir le pays vers les États-Unis, le peuple celtique n’avait trouvé que ça et s’était adapté.

Après ce cours d’histoire, il démarra la soirée.

Tout le monde se réunit autour des deux plantes illuminées de l’intérieur par leur bougie et se mit à raconter des histoires. Terrifiantes pour certaines, drôles pour d’autres, horribles pour le reste.

Nicolas fut le dernier à proposer une histoire horrifique, mettant en scène un homme assis devant sa télé qui sentait des convulsions dans son abdomen.

– Ça l’intrigue, le dégoûte presque. Il relève son pull pour toucher son ventre, et là…

Le visage grimaçant, il y glissa sa main comme pour l’enfoncer à l’intérieur et courba l’échine pour accentuer l’effet. Son regard se promena sur son auditoire horrifié.

– À l’intérieur, c’est gluant. Il bouge ses doigts, sent comme une substance qui colle à sa peau. Sa gorge se noue. Ses yeux se révulsent presque.

Nicolas retira lentement son bras de son ventre et se tourna vers Frédéric. Sa main, pendante à son poignet, se tendit dans sa direction. L’informaticien bondit en arrière dans un couinement qui provoqua quelques rires.

– Finalement… il s’évanouit… – le conteur se laissa choir sur le dos – Puis, se réveille. Son abdomen est lisse, sa main sèche. Comme s’il ne s’était rien passé.

Le comédien se releva et s’inclina après sa prestation.

– Alors, notre homme se dit qu’il est temps de freiner sur le rosé ! plaisanta-t-il.

– Un César de la meilleure interprétation pour Nico, s’il vous plaît ! lança Patrice.

L’orateur lui répondit par un rire pendant que Frédéric reprenait sa place, encore un peu gêné par sa réaction. Pascal se tourna vers lui avec un grand sourire.

– Dis donc, tu ne te serais pas inspiré du film de Cronenberg ? Videodrome, je crois…

– Je vois qu’il y a des connaisseurs, ici ! se réjouit Nicolas.

Les deux jeunes s’engagèrent dans une analyse du film pendant qu’Éléonore, affamée, se relevait pour gagner le canapé. Elle entama le petit buffet, suivie des autres invités, alors que Patrice levait le store pour sortir sur le balcon.

Tristan fut le dernier à se lever et observa Natasha rejoindre son ami dehors, uniquement affublée d’une écharpe pour se protéger du froid. Attentif, il la vit s’approcher doucement de Patrice alors que leur conversation, à voir leur langage corporel respectif, semblait devenir de plus en plus intime.

– Eh, les deux intellos ! appela Frédéric. Ramenez-vous, sinon il ne restera plus rien.

Pascal et Nicolas se levèrent aussitôt, mais le deuxième s’interrompit en croisant Solène, dont le costume retenait son attention. Sous les yeux affligés de Tristan, ils s’isolèrent au bord du lit de Patrice pour discuter tranquillement. Une conversation visiblement passionnante. Son cœur rata un battement et, la gorge nouée par un alliage de frustration et de déception, le physicien se contint de s’incruster entre eux au prix d’un gros effort, conscient qu’il ne ferait que les gêner et se sentirait ridicule.

Impuissant, il se contenta du minimum et écouta la conversation entre Éléonore, Pascal et Frédéric d’une oreille, sans pouvoir s’empêcher de surveiller les deux autres.

Le simple fait de voir Nicolas gagner si aisément la confiance de Solène et se rapprocher subtilement d’elle lui coupait l’appétit. De toute la soirée, il ne toucha plus rien. Craignant de les voir échanger un baiser, même timide, d’une seconde à l’autre, il les épia sans cesse. Le cœur battant et l’estomac noué jusqu’à l’intestin grêle.

Par ailleurs, cela l’étonnait que Solène fût aussi happée par ce type… Soyons franc, songeait-il, ce mec n’était vraiment pas un éphèbe, au contraire… Alors, pourquoi la jeune blonde lui souriait-elle aussi chaleureusement ? Tandis qu’il ne voyait, pour sa part, que de la gêne ou de la pitié dans les sourires qu’elle lui adressait, si ce n’était les deux ?

Il se força à détacher son attention de cette scène désagréable pour quelques secondes. Son regard tomba alors sur le visage d’Éléonore, figé à la vue d’une scène qui semblait se dérouler à l’extérieur. Assis dos à la baie vitrée, il se retourna discrètement et aperçut du coin de l’œil Natasha collée à Patrice. Leurs têtes à quelques millimètres l’une de l’autre, ils contemplaient la ville sans bouger. En tournant davantage la tête, Tristan vit seulement la main de son ami caresser délicatement la taille de la jeune blonde.

Une de plus, pensa-t-il.

Jaloux, il se retourna et vérifia l’évolution de la conversation des deux autres. Ceux-ci continuaient de parler avec le même enthousiasme. Au bout d’une demi-heure, le bruit de la porte-fenêtre qui s’ouvrait les fit tous se retourner. Patrice et Natasha rentraient à l’intérieur, entre autres, pour se réchauffer. L’hôte leur proposa un jeu de société qui fut accepté avec entrain par les invités. Intéressés, Nicolas et Solène se joignirent immédiatement au groupe, chose qui ne soulagea Tristan qu’à moitié.

Malgré le divertissement, le temps fut long pour lui. Partagé entre le jeu et ses deux perturbateurs, il avait l’impression que son cerveau entrait en surchauffe. Et les signaux que s’envoyaient Patrice et Natasha, qui lui plantèrent une flèche de jalousie dans la poitrine, n’arrangèrent rien. À la fin, rapidement exténué par sa tension, il renonça à jouer les parties suivantes et se contenta de les regarder.

Au bout d’un long moment, Patrice sortit son Trivial Pursuit, qui fut accueilli avec enthousiasme. Deux équipes se formèrent, menées par Patrice et Pascal. Tristan, toujours spectateur, réprima une moue : il savait qui allait gagner. Avec quatre camemberts d’avance et trois quarts des bonnes réponses données par Pascal à la stupéfaction générale, son équipe remporta la partie au bout d’environ une heure. Bon joueur, Patrice rangea le jeu en demandant une revanche à Pascal, qui la lui promit pour une prochaine soirée.

Éléonore les quitta la première. Fatiguée, selon ses dires. Trois quarts d’heure plus tard, Pascal et Frédéric levèrent le camp à leur tour, sans oublier de remercier Patrice pour l’accueil et la soirée en elle-même, qui leur avait beaucoup plu.

Tristan, qui brûlait d’envie de partir pour ruminer dans son lit, attendit pourtant sagement le départ de Nicolas pour rassembler ses affaires. Cependant, Solène lui fit la mauvaise surprise de suivre ce dernier. Silencieux, le jeune homme se sentit vexé, esseulé et terriblement triste.

Déçu. Lui qui avait espéré pouvoir passer du temps avec son élue…

– À plus tard, Tristan, le salua Patrice. Content que tu sois venu, collègue. Rentre bien, surtout. Envoie-moi un message dès que t’es rentré.

– Pas de souci.

Pris d’un coup de barre, il échangea rapidement deux bises avec Patrice et Natasha avant de regagner la porte.

Éternellement soucieux de savoir ce qu’il se passait chez les autres en son absence, il ferma intentionnellement la porte avec lenteur, l’oreille tendue.

Rien. Il acheva finalement son geste à contrecœur.

En descendant les escaliers, l’étreinte brûlante entre son meilleur ami et cette belle blonde apparaissait à son esprit. Fantasme douloureux.

Une fois sorti de la résidence, Tristan reprit le chemin de sa cité étudiante. En cours de route, le souvenir de Solène et Nicolas sortant ensemble de l’appartement, renâclant à le laisser en paix, revint à la charge…

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