Chapitre 22
Des coups lointains la sortirent lentement de sa torpeur. Ses paupières s’ouvrirent sur sa moquette et sa fenêtre donnant sur la nuit impénétrable. Puis, sa main revint à la vie. Après avoir brièvement sondé les alentours, elle saisit son téléphone tombé au sol et le déverrouilla en reniflant.
Un message. Deux. Elle qui demandait à Tristan de venir. Tristan qui avait répondu dans la minute.
– Solène ! C’est moi !
Elle tourna la tête vers la porte et prit soin de reposer son appareil sur son lit avant de se relever avec peine. Les jambes flageolantes, elle dut d’abord s’asseoir pour recouvrer son équilibre. Enfin, elle tituba jusqu’à la porte pour ouvrir à Tristan.
– Oh merde ! laissa-t-il échapper. Qu’est-ce qu’il s’est passé, Solène ?! On t’a agressée ?
La jeune blonde sentit sa peau tirer autour de ses yeux gonflés par ses pleurs. Elle se les essuya par réflexe et laissa Tristan entrer. Celui-ci la prit aussitôt dans ses bras.
Dans l’élan, ses souvenirs lui revinrent : elle avait tout d’abord contacté Éléonore, qui n’avait pas décroché, puis Patrice. Aucune réponse non plus. Ni au téléphone, ni à son message. Dans un égoïsme des plus absolus, elle s’était alors rabattue sur Tristan, dont elle connaissait les sentiments à son égard et était certaine de la réactivité.
Et elle ne s’était pas trompée.
– Tout va bien ! Je suis là, maintenant. Raconte-moi ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Tu… tu veux bien me ramener à mon lit, d’abord… ? lui demanda-t-elle d’une petite voix. On sera mieux…
Le jeune homme s’exécuta aussitôt et s’assit auprès d’elle. Tout en lui frictionnant les bras et lui embrassant le front, il l’incita à parler. Solène s’essuya le nez derechef et renifla une dernière fois avant de pousser un soupir, éreintée.
– C’est Nicolas…
– Quoi, Nicolas ? fit Tristan, le cœur battant.
Égoïstement, ce nom sonna à ses oreilles, sur le coup, comme une douce mélodie. Quelque chose s’était passé entre eux. Quelque chose de grave, pouvait-il supposer… et ce n’était pas pour lui déplaire. Mais il préféra chasser cette pensée pour le moment.
Surtout devant elle.
– Il m’a trompée… s’étrangla-t-elle. Avec Natasha… Éléonore qui me l’a appris… ‘L’ai jeté dehors… ‘Me sens si mal…
Un spasme nerveux agita le nez du jeune scientifique. Nicolas avait été infidèle à Solène, qu’il considérait comme étant la plus belle fille de Marseille ? C’était inadmissible… L’espace d’un instant, il fut pris de la furieuse envie de la laisser ici toute seule pour le noyer dans le Vieux Port après l’avoir défiguré à coups de chandelier.
Savoir qu’il avait commis son forfait avec Natasha, cette généreuse blonde au regard électrique qui, même s’il essayait de le nier, lui plaisait également beaucoup, le rendait d’autant plus furieux. Cela renforcé par son sentiment de jalousie : quand il pensait que cet ahuri ne cessait de réussir là où il échouait sans arrêt, ça le rendait fou.
L’idée qu’il se faisait de cette fille se dégrada d’ailleurs un peu plus, l’aspergeant de souille tout en la rendant paradoxalement plus désirable encore.
Il resserra son étreinte sur Solène, qui se blottit contre lui. Une chaleur se diffusa alors dans son corps, déclenchant un sourire mécanique sur son visage.
– Ne t’inquiète pas, Solène, lui murmura-t-il, je suis là, maintenant. Avec toi. Nicolas a fait une grosse connerie, il ne sait pas ce qu’il a perdu. Ça a toujours été un bouffon, ce mec, de toute façon…
– Non, parle pas de lui comme ça… C’est pas un bouffon…
Tristan la regarda, interloqué, mais sa voix se bloqua. Comment pouvait-elle encore le défendre après ça ? La logique aurait pourtant voulu qu’elle le rejoigne dans ses médisances à son égard… Pourquoi une telle réaction ?
Il préféra ne rien répondre, ne pas chercher à comprendre. Juste continuer à l’étreindre. Lui montrer qu’il était là. Ne prendre aucun risque de briser ce moment intime, si magique, tant attendu. Ça faisait un an et demi qu’ils se connaissaient ; deux ans et demi qu’il la connaissait. Et ce soir, pour la première fois, il était plus proche d’elle que jamais. En outre, cette sensation d’être le héros qui volait au secours de sa damoiselle en détresse était infiniment délicieuse.
Alarmé par son message, il avait tout envoyé valser pour accourir chez elle en cinquième vitesse. Effrayé à l’idée qu’il lui soit arrivé malheur.
Elle l’avait appelé. Lui.
Et, maintenant, il était là. Avec elle.
Pour rien au monde il n’aurait gâché ça.
– Tristan…
Il s’écarta pour la regarder, tout à elle.
Ses yeux rouges et son visage déconfit lui donnaient un charme d’un tout autre genre. Le désespoir semblait exercer un étrange effet sur la beauté des femmes. Pendant un instant, il se sentit prêt à aller jusqu’au bout du monde pour elle.
– Ça te gêne si… je te demande de rester dormir ici, avec moi… ? ‘Veux pas être toute seule…
Son cœur s’arrêta.
– Oui, bien sûr ! bredouilla-t-il, au comble de la surprise. Évidemment que non, ça me gêne pas. Aussi longtemps que tu veux !
– Merci… T’es un amour…
Sourire niais aux lèvres, il la garda contre lui jusqu’à ce qu’elle lui demandât de la laisser se mettre sous ses draps. Le scientifique la laissa faire et s’apprêta à improviser le dépliage du canapé pour y sommeiller quand Solène l’invita à le rejoindre dans son lit. Avec le sentiment d’en avoir vu pour toute sa vie en une seule nuit, Tristan s’y précipita d’une joie juvénile qu’il s’efforça toutefois de modérer. Il la laissa rassurer Éléonore par téléphone avant de l’accueillir chaleureusement contre lui.
Nicolas avait trompé Solène. Celle-ci l’avait quitté. Autrement dit, la voie était libre. Et maintenant il dormait avec elle… dans son lit.
Dans ses bras.
Ça lui semblait trop beau pour être vrai, mais il comptait bien profiter de cette aubaine inopinée.
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