Chapitre 36
La semaine se terminait, emportant avec elle le mois de février.
Dès qu’il entendit toquer, Tristan lui ouvrit. Le baiser de Solène fut assez froid, réticent… presque machinal. Mais les conseils prodigués par Frédéric le rendaient confiant : cette fois, c’était la bonne. Il ferait un sans-faute et la fille de ses rêves lui appartiendrait.
Comme la dernière fois, il la laissa s’installer sur son lit, puis vint s’asseoir à son côté.
— C’est bien que tu sois venue, dit-il. Je tenais à m’excuser pour mon comportement de la dernière fois. C’est toi qui as raison : j’ai été complètement nul. Et débile, aussi. C’est pas bon d’être jaloux, je le sais. Mais je peux pas m’en empêcher. Du coup, je me suis remis en question depuis ce matin-là et j’ai décidé de faire un effort là-dessus.
— Ah oui ?
L’étudiante tourna la tête vers lui, étonnée. Alors qu’elle cherchait la sincérité sur son visage, ses lèvres finirent par former un sourire.
— Ça fait plaisir que tu comprennes ça, Tristan, vraiment, lui dit-elle. Ta possessivité est parfois très dure à supporter, tu le sais, ça ?
— Oui, je sais ! Mais ça, c’est fini, maintenant ! Je suis un autre homme ! Je ne prendrai plus mal que tu t’éclates avec Patrice !
Le sourire de la blonde s’élargit et elle poussa un profond soupir de soulagement. Tristan l’attira contre lui et lui caressa les cheveux.
— Ça me soulage que tu me dises ça… murmura-t-elle. Parce que j’ai quelque chose à te dire, en plus.
Tristan haussa les sourcils et ne put empêcher l’angoisse de lui secouer les entrailles. Son cœur commença à s’emballer, mais il se contint au prix d’un gros effort.
Il était un autre homme, désormais…
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit-il.
Solène se redressa lentement et le regarda d’un air grave. Tristan fit un énorme effort pour rester impassible.
— Ça ne va sans doute pas te plaire, mais… je revois Nicolas, en ce moment. En amis, bien entendu. On a mis nos différends de côté, et maintenant on s’entend de nouveau bien.
Le souffle coupé, Tristan écarquilla les yeux, bouche bée. Son cœur, déjà frénétique, redoubla de fureur.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? s’exclama-t-il. Pourquoi tu revois ce bouffon ? Après ce qu’il t’a fait, sans déconner !
— Le passé, c’est le passé. Je lui ai pardonné et on est redevenus amis comme au premier jour. On s’est même promené ensemble dans la semaine. On est montés jusqu’à la Bonne Mère et j’ai adoré.
Le physicien ne répondit pas, Muet, renfrogné, il fixa le battant de son armoire. Une chaleur désagréable envahissait son corps, résultat d’un affreux mélange de contrariété et de jalousie. Outre cette question de respect qui lui était chère, la psychologue connaissait son opinion au sujet du slave.
— Ça te gêne ? s’inquiéta-t-elle.
— Un peu, oui. Tu sais ce que je pense de lui, tout le monde sait ce qu’il a fait, tu vois… Et puis j’aimerais bien aussi savoir pourquoi tu m’en parles là, maintenant, comme ça. C’est pas le meilleur sujet pour une soirée en amoureux, tu sais.
— Oui, je sais. Je suis désolée, mais je pensais seulement que tu avais le droit de savoir, d’autant que je n’ai rien à te cacher. Nicolas et moi, c’est fini. Je suis avec toi, maintenant. Tu n’as plus à t’en faire pour lui.
— Oui, j’espère bien. Mais c’est pas le souci.
Son cœur tambourinait dans sa poitrine et son visage ne parvenait pas à se détendre. Solène devait sûrement le percevoir, mais il ne réussissait pas à se dominer.
— J’ai juste du mal à comprendre comment tu peux continuer de le voir, même en toute amitié, après la dégueulasserie qu’il t’a faite. C’est ça qui me gêne, tu vois.
— Ça ne devrait pas, pourtant. C’est ma vie, je fais encore ce que je veux. Et, comme je te l’ai déjà dit, tu n’as pas de souci à te faire pour lui : on est amis, maintenant.
— Même pas en ami ! fit-il, exaspéré. Tu ne devrais même plus le voir, Solène !
Elle se figea et le regarda avec des yeux ronds. Passée la stupeur, ses sourcils se haussèrent et un rire lui échappa.
— Tristan… je fréquente qui je veux, jusqu’à preuve du contraire. Tu n’as pas à décider de qui je dois m’approcher et vice versa.
— Ouais, t’as raison. Je suis né à la mauvaise époque. J’aurais peut-être pris mon pied 50 ans plus tôt, ça aurait été différent.
— Je ne te suis plus, là…
— Fred a raison : depuis votre émancipation, vous, les femmes, vous vous croyez tout permis. Tu peux pas l’encadrer, mais tu confirmes tout ce qu’il me dit. Et après, tu veux que j’arrête de le voir ?
Solène le fixa d’un regard qui passa par toutes les nuances. Stupéfaction. Colère. Dépit.
— C’est pas vrai, avoua-t-elle. J’ai pas revu Nicolas, en fait.
Le jeune homme fit volte-face vers elle, bouche bée, les yeux écarquillés.
— Je voulais te tester. Parce qu’entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, il y a souvent un gouffre. Merci pour ta participation, Tristan. Maintenant, je vais m’en aller.
Elle se leva pour regagner la porte, mais le physicien bondit à sa suite.
— Attends ! Si c’est comme ça, moi aussi j’ai à te parler !
Solène s’immobilisa et se tourna vers lui, figée par la surprise. La voix du physicien était soudainement plus péremptoire. Et son regard plus dur, autoritaire.
Quelque chose changeait en lui. En mal ou en bien, elle ne le saurait dire.
— J’ai pas oublié ton coup d’éclat l’autre jour, au bar, avec Fred. Pile quand il a évoqué Nico. Va pas me faire croire que t’aimes jeter des verres à la figure des gens comme ça, Solène. Visiblement, t’as un problème.
Comme la dernière fois, il vit le regard de Solène se transformer. Il se réjouit qu’elle ne fût pas armée.
— Qu’est-ce que t’en sais ? siffla-t-elle. Tu crois que tu me connais déjà par cœur ? Tu te crois meilleur psy que moi ? Toi qui bites que dalle aux gens et encore moins aux femmes ! Tu prétends savoir ce que je ressens, ce que je vis ? Va te faire foutre !
— C’est pas une réponse, ça ! Tu vas pas t’en tirer comme ça !
Solène s’éloigna sans répondre. Elle prit ses affaires, ouvrit la porte à la volée et fila sans la fermer.
Tristan aurait juré l’avoir vu pleurer.
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