Chapitre 44

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Tristan ferma mollement la porte de sa chambre. De la colère, il avait sombré dans la tristesse. Ce fut d’un pas traînant qu’il alla s’asseoir sur son lit. En face, sur le bureau, son nouveau radiomètre n’attendait que ses mains pour faire tourner ses pales. Mais, cette fois, le jeune homme n’avait pas envie de jouer avec son objet fétiche.

Solène l’avait quitté pour un de ces écervelés qu’il abhorrait. Il ne voyait plus Patrice depuis leur dernière altercation en novembre. Pascal l’avait poignardé dans le dos, et, concernant Frédéric… suite à son échec avec Solène, il ne voyait plus l’intérêt de le fréquenter. D’autant que l’idée de subir à nouveau son discours du grand savant en réponse à ses confidences ne lui était guère alléchante. C’était du réconfort qu’il lui fallait, pas des leçons de morale.

Opprimé par l’étau de son chagrin, il en vint même à regretter d’avoir laissé passer sa chance avec Éléonore, deux ans plus tôt. S’il avait joué le jeu quand Solène les avait mis en contact, peut-être sa vie aurait-elle eu une autre saveur aujourd’hui ? Peut-être aurait-il été heureux avec la voyageuse ? Obstiné, focalisé sur la future psychologue, il n’avait pas vu cette éventualité, à l’époque.

Le dépit de Patrice lui revint en mémoire. « Tu le regretteras, un jour », lui avait-il dit. Tristan sourit, les yeux et le philtrum humides. Il avait raison, le bougre…

Ce soir, à l’aube du mois de mars et du printemps, il était seul. Face à la vacuité de son parcours. À 20 ans, sa vie privée était un fiasco. À cause de ses mauvais choix et son incapacité à envisager les choses sur le long terme.

Sa conversation avec Patrice au Fort Saint-Jean en septembre lui revint en mémoire. « Je vais finir tout seul, avec un paquet de chips et un chat ou un chien qui s’appellera Bohr », avait-il dit. « Je vais me contenter d’avoir mon diplôme et c’est tout ce que je réussirai dans ma vie ». Un rire le secoua. À ce moment-là, pour quelqu’un qui ne voyait la vie qu’à court terme, il avait été visionnaire. C’était exactement comme ça que son avenir lui apparaissait, ce soir.

La seule chose qu’il avait réussie, cette année, était ses partiels. Sa relation avec Solène lui avait donné des ailes et ses notes s’étaient envolées. Mais, si l’argent ne faisait pas le bonheur, il en était de même pour les résultats scolaires.

Il se leva, essuya ses yeux et vida son nez dans un mouchoir. Son regard larmoyant tomba sur sa salle de bain, où se trouvaient les médicaments que sa mère lui avait confiés à son retour au bercail lors des fêtes de fin d’année. Dans un élan de désenchantement, il s’en empara et les versa dans un gobelet qu’il remplit d’eau à ras-bord. Il avala tout de go, reposa le verre et s’arc-bouta sur le lavabo pour se mirer dans la glace. La vue de ses yeux bouffis lui en fit détourner le regard.

Tristan regagna son lit et s’allongea. Puis, le souvenir de Patrice le fit bondir sur son téléphone. Il ne pouvait pas partir sans lui dire au revoir. Pas à son meilleur ami.

Pas comme ça.

Après l’avoir trouvé dans son répertoire, il porta l’objet à son oreille et attendit pendant un laps de temps. Mais la ligne demeura occupée.

Soupir. Le « bip » retentit.

– Salut, collègue. J’espère que tu vas bien. Moi, ça va. Je vais bientôt m’en aller. Loin. Donc, je voulais te dire au revoir. J’ai déjà mon billet en poche ; je pars demain. Je m’excuse pour le taquet[1] que je t’ai mis la dernière fois. Tu le méritais pas. À plus.

Il raccrocha. Décidément, les discours oraux lui donnaient toujours autant de mal. Mais c’était au moins une bonne chose de faite.

Serein, il se déchaussa et se glissa sous ses draps en prenant soin d’éteindre la lumière.

Seul, dans la pénombre silencieuse, il ferma les paupières.

La nuit était douce, ce soir.

[1] Argot provençal : coup de poing, gifle

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