Chapitre 3
Après tout ce qu’il avait entendu de l’université, Tristan avait eu le temps de s’y préparer. Mais, comme c’est souvent le cas, la réalité se situait bien au- delà. La première semaine de cours était passée, il était lessivé. Retourner à la maison après cette frénésie lui avait paru une bonne idée, mais ce besoin se fera moins ressentir par la suite, c’était évident. Juste le temps de s’y habituer.
— Alors, cette rentrée, Tristan ? C’est plus le lycée, hein !
Aussitôt le vestibule franchi, le jeune homme avait rejoint sa chambre pour se poser et avoir un moment avec lui-même. Cela avait duré environ deux heures, après quoi ses parents l’avaient invité à les rejoindre.
Ils voulaient savoir. Son père, Michaël, qui venait de l’interpeller, le fixait avec un grand sourire.
— Oui, c’est ce que j’ai vu, confirma-t-il. D’ailleurs, les cours sont passionnants, je m’attendais pas à ça. Mais on a déjà une tonne de devoirs à faire, sans parler des révisions.
— Bienvenue dans le monde des études supérieures, fit sa mère. Eh oui, la fac, c’est chargé.
Une remarque qui fit sourire Tristan. Sa mère, Salomé, parlait en connaissance de cause, plus ou moins : pour devenir l’orthoptiste qu’elle était aujourd’hui, elle avait dû passer par des études supérieures, elle aussi.
Même chose pour son père, œnologue de son état. D’où la fierté que Tristan pouvait percevoir dans ses yeux et sa voix : l’idée que son fils avait le niveau requis pour y accéder l’enorgueillissait beaucoup. En sciences physiques de surcroît, une discipline plutôt hermétique à la plupart des gens.
Rien ne le rendait plus fier et heureux que de l’entendre s’épancher sur le tableau de Mendeleïev, la théorie des cordes ou la vie de physiciens comme De Broglie. Et de voir tout le monde le regarder avec des yeux ronds dans ces moments-là.
La conversation se poursuivit. Il leur parla de ses cours, leur intitulé et en quoi ça consistait ; leur évoqua ses camarades de licence, dont Pascal, cet adolescent de 17 ans qui avait passé son code pendant l’été, voulait devenir ingénieur à la police scientifique et rêvait de participer à un congrès Solvay[1] ; les enseignants, qui étaient autant de « vrais cerveaux sur pattes » que de bons vulgarisateurs… Normal, intervinrent ses parents, lui expliquant que les profs de fac étaient généralement des spécialistes de leur discipline qui ont décidé de partager leur expérience aux générations futures.
— C’est vrai. Bon, après, y en a des moins bons.
— Ça, c’est comme partout, fit remarquer Salomé. Il y a des bons et des mauvais profs partout. Mais il faut s’accrocher quand même, d’accord ? T’es à la fac, maintenant, c’est du sérieux !
— Oui, t’inquiète, c’est prévu.
Elle opina du chef, puis un silence s’installa. Tristan passa en revue son compte rendu et estima leur avoir tout dit. Aussi s’apprêta-t-il à leur demander comment s’était passée leur semaine, quand…
— Et les filles ? reprit Michaël. Comment ça se passe ? En plus elles sont très jolies, à la fac.
— Oui, c’est vrai. Bah, pour l’instant, je prends mes marques, on verra ensuite pour le reste.
— T’as raison, trésor, l’appuya Salomé. D’ailleurs, il y a cette fille qui est revenue, non ? Celle que tu as vue cet été, qui est partie en voyage…
— Solène ? Oui, elle est partie en vacances en Allemagne.
— Oui, elle. Tu ne l’as pas revue ?
— Non, pas encore. Elle doit être occupée.
— Elle est mignonne, celle-là, fit remarquer Michaël. Et très gentille. Je l’aime beaucoup. Tu as de l’œil, fiston.
Tristan le remercia avec un sourire timide.
Il ne pouvait s’en empêcher. Tous les sujets étaient possibles avec ses parents, mais les filles, en particulier Solène… non. Cela le gênait toujours. Ils semblaient tenir à ce qu’il trouve une copine bientôt, voire une fille avec qui ça marcherait particulièrement bien, afin de finir par l’épouser et faire un enfant avec elle.
Comment leur vouloir ? Et puis, certes, c’était son but. Mais…
Comment leur dire qu’il n’y arrivait pas ? D’autant que les autres filles ne l’intéressaient pas plus que ça. Néanmoins, son père avait raison : certaines filles de sa fac étaient particulièrement agréables à regarder, et il s’était surpris à en désirer certaines. Il revoyait cette jeune rouquine vêtue d’une charmante robe noire au col claudine qui mettait en valeur tant la courbe de sa poitrine que celle de sa taille et ses hanches, qui ne demandaient qu’à être enlacées. Sans oublier cette jolie Maghrébine – ou Indienne, il l’ignorait – dont le décolleté de sa chemise avait happé son regard, qu’il s’était efforcé sans grand succès de tenir en laisse.
Mais il avait aussitôt réprimé ses pulsions. Pas une fois il n’avait osé les aborder. De toute façon, pour lui, seule comptait sa Solène. Elle était déjà trop bien pour lui, regarder avec appétit la moindre jolie demoiselle qui passait le rendrait encore moins digne d’elle. Et puis, s’il reprochait cela aux autres, ce n’était pas pour reproduire leurs travers.
Par ailleurs, avec les conseils de Patrice, il avait dû bien progresser depuis le lycée. Il n’avait juste pas eu le temps de bien les appliquer pendant qu’il avait essayé de la séduire. Pour l’instant, il avait fait le plus dur : l’aborder et devenir ami avec elle. Ensuite, les choses sérieuses.
— Tu la reverras, c’est sûr, affirma Michaël. Et t’as intérêt à nous la présenter quand tu seras en couple avec ! Je tiens à la connaître.
— Bien évidemment ! répondit aussitôt Tristan, à la fois motivé et gêné.
— Chaque chose en son temps, modéra Salomé. Concentre-toi d’abord sur tes études, tu t’intéresseras aux filles après avoir fini tes devoirs, d’accord ?
— Oui, enfin, si on continue de le traiter comme un enfant, il va avoir du mal à se caser, ton fils, chérie, la recadra Michaël.
— Et alors, où est le problème ? Il a beau être à la fac, il restera mon bébé, même quand il aura 40 ans ! Ta mère, c’était pareil, ça ne m’a pas empêchée de t’épouser, que je sache !
Tristan retint un rire pendant que son père cherchait quelque chose à répliquer. Ces disputes stériles, c’était quelque chose qui l’amusait toujours beaucoup chez ses parents.
Et l’une des choses qui lui manqueraient le plus quand il aura son toit. Son toit, sa femme et son enfant.
[1] Comité organisé par le chimiste belge Ernest Solvay, réunissant les plus grands scientifiques de l’époque, alternativement physiciens et chimistes, par intervalles de trois ans depuis 1911
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