Chapitre 25
Le jeune couple quitta l’établissement bras-dessus-dessous. Après une heure à contempler des astres dans l’obscurité, c’était agréable de retrouver la lumière du jour.
Tristan avait invité Solène au planétarium de la ville pour lui faire découvrir l’astronomie, une discipline dont il était très friand. Le conseil de Patrice sur les spationautes, quelques semaines plus tôt, l’avait laissé perplexe, et il n’y avait plus songé depuis leur rupture. Puis, en pleine réflexion sur une activité à faire en amoureux, ce conseil lui était revenu en mémoire et il avait finalement décidé de… le prendre au mot. Et l’avait donc tout naturellement proposé à Solène.
Alors qu’il avait craint que cela ne lui plût pas, voilà qu’il voyait ses yeux scintiller d’une myriade d’étoiles.
— Tu viens souvent ici ? lui demanda-t-elle. Moi jamais, ça m’a scotchée ! Merci de m’avoir fait découvrir ça. Peut-être qu’on y retournera avec Éléonore.
— Je vous inviterai toutes les deux, lui assura Tristan.
— Merci, c’est gentil. Je lui en parlerai.
Ils poursuivirent leur route tranquillement, guère pressés de rentrer. On était en plein milieu de l’après-midi, début janvier. La deuxième session des examens les attendait, mais ils avaient encore du temps.
Solène revoyait les planètes qui étaient apparues devant ses yeux et Tristan lui donnait des détails supplémentaires à leur sujet, se révélant capable de s’épancher sur ce sujet pendant de longues minutes. Il lui détailla la distance des planètes, leur découverte, leur ordre, jusqu’à leurs caractéristiques et leur géographie. Il en vint même à évoquer le mur de Planck[1], un sujet qui le passionnait.
La jeune femme l’écoutait avec attention, en silence, le regardant par moments d’un air étonné, les sourcils haussés et les yeux de celle qui semblait redécouvrir son compagnon.
— J’ignorais que tu connaissais tout ça. Tu t’intéresses aussi à l’astronomie, donc ?
— Bien sûr ! C’est de l’astrophysique ; étant physicien, ça me plaît.
La jeune femme était admirative. Tristan en était ravi, mais ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain regret.
C’était donc si facile… Lui qui avait ramé pendant des mois pour trouver quelque chose à dire à Solène, avoir avec elle des conversations intéressantes, suffisamment pour la captiver et lui plaire. Lui parler des astres, si possible après les lui avoir montrés, suffisait.
Ce qu’il avait fait. Ce qu’il aurait fait plus tôt, s’il avait su. Maintenant, le simple fait d’ouvrir la bouche semblait la captiver.
Leur échange finit par s’interrompre alors que Tristan se plongeait dans ses réflexions. Le repas du réveillon avec sa famille lui occupait l’esprit. Hormis le fait de se rapprocher de Solène, aujourd’hui l’un de ses desseins était d’aborder le sujet avec elle. Il lui fallait le faire à un moment ou à un autre, et le plus tôt serait le mieux. Seule la manière d’aborder la question lui faisait défaut.
Finalement…
— Solène, je me demandais…
… le rasoir d’Ockham était peut-être la meilleure solution.
Solène le contempla, attendant la suite.
— J’aimerais qu’on parle d’un truc. Voilà : est-ce que tu veux des enfants ?
Le visage de la psychologue se figea sous la surprise. Visiblement, ce n’était pas la question qu’elle attendait le plus.
— Peut-être, mais pas tout de suite, répondit-elle. Je n’ai pas vraiment pris de décision à ce sujet, encore. Tu en veux, toi ?
— Moi oui, j’aimerais beaucoup en avoir. Surtout si c’est avec la femme que j’aime, tu vois.
— Tu veux qu’on fasse un enfant ?
— Pas tout de suite, précisa-t-il aussitôt. D’abord les études, on est d’accord. Mais après ça, j’aimerais qu’on parle sérieusement de fonder une famille, toi et moi.
La jeune blonde eut un petit rire.
— Ça fait à peine quelques jours qu’on est ensemble et tu me demandes déjà d’être la mère de tes enfants… Tu es trop pressé, Tristan.
— Bah, je me suis dit que le plus tôt était le mieux.
Solène s’arrêta et lui fit face pour poser ses mains sur ses bras. Elle plongea son regard émeraude dans le sien. Tristan sentit ses joues chauffer. Même en couple avec cet ange tombé du ciel, il peinait à soutenir son regard si pur, beaucoup trop intimidant. Peut-être pas autant que celui de Natasha, mais…
— Un jour, pourquoi pas, oui. Mais d’abord il faut penser à nos projets. Après, on pourra en reparler. Et puis… tu sais, on a 20 ans tous les deux, on a la vie devant nous, et un enfant, c’est quand même un investissement important.
— Mais le temps passe vite, tu sais.
— Oui, je sais. On se décidera en temps voulu. Moi, ça ne me déplairait pas.
Le physicien sourit.
— D’accord. Bon, c’est tout ce que je voulais savoir. Je voulais que tu saches que je veux faire des enfants avec toi. Une petite tête blonde qui te ressemblerait, ça ferait le plus bel enfant du monde. Si c’est un garçon, ça irait ; si c’est une fille, il faudrait être vigilant…
Solène lâcha un petit rire en lui tapant le bras.
— Tu te prends trop la tête, lança-t-elle.
Elle prit sa tête entre ses deux mains et déposa un baiser sur ses lèvres. Il ferma les yeux pour le savourer autant que possible. Après tout ce temps à attendre d’embrasser ces lèvres parfaites, il était convaincu de ne jamais pouvoir s’y habituer. Chaque baiser était un cadeau que la vie lui offrait.
Une récompense pour avoir si longtemps patienté.
Leurs regards se croisèrent. De si près, la puissance de ses iris verts était décuplée. Une telle magnificence, c’était humainement impossible.
— Je t’aime…
Les trois mots magiques étaient partis tout seuls. Sans crier gare. Sans contrôle.
Elle sourit, l’embrassa sur le nez, lui répondit « moi aussi ». Son cœur fondit.
Ils s’éloignèrent et, les doigts entrelacés, poursuivirent leur chemin tranquillement. Le pas le plus lent possible.
Lui contemplait le paysage.
Les lèvres souriantes et le cœur léger.
[1] Mur imaginaire représenté par l’impossibilité mathématique de décrire l’ère de Planck, période qui succède directement au Big Bang. La densité de l’univers, alors âgé de moins de 10-43 secondes, était trop élevée pour nos connaissances physiques actuelles.
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