Chapitre 32
Tristan, immobile, la tête posée sur sa main, fixait ses notes sans les lire, tout en jouant avec son stylo entre ses doigts. Régulièrement il se ressaisissait et replongeait dans ses notes, pour repartir de plus belle dans ses songes. À chaque fois, il devait revenir au début du même paragraphe.
— T’as des soucis, Tristan ? s’enquit Pascal.
Le jeune homme sortit pour de bon de sa rêverie et regarda son camarade, qui le fixait d’un air inquiet.
— Ah, non, pas du tout. Tout va bien, en fait. Je repense à l’autre nuit, il m’est arrivé un truc génial.
— « Un truc génial » ? Laisse-moi deviner… T’as consommé ta relation avec Solène !
Tristan, grand sourire aux lèvres, hocha la tête. Il lâcha un rire en voyant la mine abasourdie de son camarade.
— Non, tu déconnes !
— Pas du tout. On est allés au Calanques, puis on est rentrés. Et puis on s’est embrassés, on s’est déshabillés et on a fait… on l’a fait, quoi. Je crois que c’était de loin le meilleur moment de ma vie !
— Bah ça alors… Bravo, mec ! Frédéric va être sur le cul quand tu vas le lui dire. Parce que je suppose que tu vas foncer le voir pour t’en vanter ?
— Bah non… Pourquoi j’aurais besoin d’aller voir Frédéric pour lui dire que j’ai… fait l’amour ? Je pense qu’il s’en tape, hein.
— Fred ? Oh non, crois-moi… Il serait ravi de voir que ses conseils t’ont aidé à conclure.
L’Avignonnais fit une moue et se replongea dans ses notes, qu’il ne parvint toujours pas à imprimer dans son esprit. Ses notes sur lesquelles il voyait systématiquement le corps sublime de Solène s’allonger, et ses seins, véritables merveilles de la nature, qui semblaient quémander ses baisers.
— Je savais qu’elle était belle… reprit-il distraitement. Mais à ce point- là… Quand elle s’est mise nue devant moi, c’était mieux que dans mes rêves. Je soupçonnais déjà qu’elle avait un corps magnifique, mais je l’ai sous-estimé.
— Ouais, bon, c’est des seins, des hanches et des fesses. C’est une femme, quoi.
— Solène, c’est plus que ça. Franchement, Pascal, j’étais dans un autre monde.
— Je crois que t’y es encore, va falloir redescendre. Dis donc, ça devait vraiment être quelque chose. Et ça s’est fini comment ?
— Bah, on a fini et on a dormi. Quoi, ça doit se finir de manière spéciale, ce genre de truc ?
— T’as pas compris…
Pascal se pencha vers lui, l’incitant à faire de même :
— Elle a atteint l’orgasme ?
Tristan se redressa brusquement, un rictus offusqué sur le visage, poussant une exclamation exaspérée.
— Tout de suite ce genre de questions ! s’insurgea-t-il. Tu penses qu’à ça, en fait ! T’es vraiment un gamin !
— Bah…
— Non, c’est bon, je veux rien entendre.
— Bon… Mais, juste une question… Vous vous êtes protégés, au moins ?
— Bien sûr ! Je l’ai fait tout seul. Toute façon, elle veut pas de gosses, elle me l’a dit.
— D’accord. Bon, première fois réussie dans les règles. T’as géré, frérot !
Ils s’échangèrent un tape m’en cinq et Tristan le remercia. Comprenant que sa concentration ne coopérerait pas, il décida d’attendre l’heure du déjeuner.
Le souvenir de cette nuit magique saurait l’occuper jusque-là.
Solène rejoignit Éléonore dans le salon après avoir lancé la machine à laver. Celle-ci l’attendait, assise sur le bord de son lit.
— C’est drôle que tu m’aies invitée chez toi, fit-elle remarquer.
D’habitude, tu adores qu’on fasse une promenade entre copines.
— J’ai pas trop envie de sortir en ce moment.
— Ah. Bon, c’est un choix. Ça va, en ce moment, Solène ? Ça se passe bien avec Tristan ?
— Oui, ça va. Il est mignon avec moi. Bon, ça s’est moyennement bien passé au shopping avec mes copines de la fac, mais je me dis qu’il n’est pas encore habitué.
— Hm… Et ça n’évolue pas, c’est ça ?
— Si…
Éléonore planta son regard sur elle, surprise.
— On l’a fait, si tu veux savoir.
— Non ! Tu veux dire… Vous avez… couché ensemble ?
— Oui, t’as bien compris. Avant-hier, en rentrant des Calanques. Je te cache pas que j’en avais aussi envie, surtout vu la manière dont il me regardait. Je me suis rarement sentie aussi belle dans les yeux de quelqu’un. Et puis je l’ai trouvé craquant avec sa maladresse.
— Et c’était comment ?
La psychologue haussa les épaules en faisant la moue.
— Disons que j’ai connu mieux. Bon, après, c’était sa première fois, donc ça pouvait pas être parfait tout de suite. Pas comme avec… mes ex.
Elle glissa un regard sur le visage d’Éléonore, qui demeurait impassible et continuait de la fixer du regard.
— Par contre… Première fois ou pas, je regrette juste qu’il m’ait pas demandé si ça m’a plu. Lui, il a adoré. Mais moi… je crois qu’il s’en foutait.
— Ou bien il n’y a pas pensé. Dans l’euphorie, c’est possible. Ça nous est arrivé à toutes les deux, hein.
— Oui, mais bon… Avec le comportement de petit ami dévoué et attentionné qu’il se donne… ça m’a un peu déçue. En plus de ça… quand il est rentré… j’ai essayé de lui indiquer comment me faire plaisir, mais il n’a rien écouté. Il était dans son truc, trop content de ken[1].
— La prochaine fois, ce sera mieux.
— Peut-être.
Un ange passa. Solène amorça un mouvement pour se lever et chercher des gourmandises quand Éléonore reprit la parole :
— Vous avez mis la capote ?
— Oui, il l’a mise tout seul ! Sur ce coup, je t’avoue qu’il m’a surprise.
— Bah voilà, tout n’est pas négatif !
— Oui…
Sans rien dire de plus, ne souhaitant pas s’étendre sur le sujet et oublier ce moment, Solène finit par aller chercher ce qu’elle voulait.
Quelque chose lui avait manqué dans son rapport avec Tristan. Elle n’avait pas réussi à s’investir complètement. Le jeune homme lui avait surtout donné l’impression de vouloir consommer… juste pour consommer.
Pour voir le loup.
Le faire avec elle, l’objet de ses désirs et ses fantasmes, avait probablement été la cerise sur le gâteau.
Elle n’avait osé le dire qu’à demi-mot à Éléonore, mais, plus que ces erreurs qu’elle reprochait à Tristan… c’était leur union elle-même qui l’avait déçue.
[1] Avoir un rapport sexuel (verlan de « niquer »)
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