Chapitre 48
Pour fêter leur réconciliation, Tristan et Patrice avaient décidé de passer la soirée dans un bar après les cours. Le physicien s’était donc apprêté une fois de retour dans sa chambre avant de suivre l’Irlandais jusqu’à l’un de ses établissements favoris, près du Vieux Port.
Sur le trajet, ils parlèrent de divers sujets et Patrice lui prodigua quelques conseils qu’il estimait désormais adaptés à la nouvelle personnalité de Tristan. L’influence de Frédéric et la déception liée à Solène et Pascal l’avaient effectivement rendu moins puritain. Tristan lui-même s’en rendait compte : quelques mois plus tôt, ces conseils l’auraient fait bondir ; ce soir, il les trouvait seulement improbables.
En arrivant, il montra le bar à Tristan.
— C’est ici que tu repères tes proies ? fit ce dernier.
— En partie, oui. Mais te leurre pas : des fois, c’est moi la proie.
— Ah bon ? Je croyais que c’était toujours toi qui partais à la chasse.
— Ah non. Les filles aussi peuvent être entreprenantes, figure-toi.
— Sérieux ?
— Crois-moi, tu serais surpris.
— Wow… Tu aurais dû m’inviter plus souvent.
— Je l’ai déjà fait plusieurs fois, t’as toujours refusé ; j’ai lâché l’affaire.
Tristan dit une moue sans pouvoir répondre, bien forcé d’admettre que son meilleur ami avait raison. D’autant qu’il avait fait la même chose avec Pascal, avant de finalement se faire violence.
— En tout cas, reprit-il, je suis content qu’on se revoie, tu sais.
— Idem, répondit Patrice. Mais je préfère qu’on n’en parle plus, si t’es d’accord.
Tristan opina, puis le duo entra dans le bar et commanda deux bières avant de chercher une table.
Ils finirent par demander l’hospitalité à deux jeunes filles qui, sûrement charmées, la leur offrirent chaleureusement. Chacun en aborda une, et Tristan sut se connecter rapidement avec son interlocutrice, qui s’appelait Célia. Patrice finit par déménager avec la sienne pour permettre aux deux couples d’être tranquilles chacun de leur côté.
La conversation se déroula à merveille. Bon élève de Patrice, le jeune homme suivit l’un de ses premiers conseils : s’intéresser à Célia et la laisser se livrer à lui. Elle lui raconta sa vie au point de devenir elle-même une source d’inspiration pour Tristan, qui pouvait rebondir sur certains détails qui l’interpellaient. Aux conseils de Patrice il osa d’ailleurs mêler l’humour de Frédéric, provoquant la jeune femme qui s’investit davantage dans l’échange.
Finalement, ils décidèrent de finir la soirée chez lui. Tristan prit soin de prévenir Patrice avant de quitter l’établissement, qui le regarda partir d’un air stupéfait.
La jeune femme, Marseillaise, put lui servir de guide pour rentrer, Tristan connaissant assez peu la ville. Bras-dessous-dessous, les passants les regardaient comme un jeune couple, ce qui enorgueillissait Tristan, qui bomba un peu le torse.
Enfin le couple se retrouva dans sa chambre, que la jeune femme trouva charmante. Elle accepta par politesse un jus de fruit, qu’elle but rapidement, puis aperçut son radiomètre. Le séducteur en herbe lui en expliqua le fonctionnement et en profita pour se rapprocher d’elle.
Célia finit par prendre son visage à deux mains pour l’embrasser. Il serra son corps délicieux contre lui, elle enroula ses bras autour de son cou. Tristan la plaqua contre le mur et souleva sa cuisse. Ouvrit ses lèvres pour trouver sa langue, comme le lui avait montré Solène.
Emportés par leur fièvre, ils se déshabillèrent vite et terminèrent leur danse passionnée dans son lit au milieu de la nuit.
Célia repartit le lendemain. Cette expérience lui ayant plu, elle lui proposa de la renouveler bientôt, ce qu’il déclina, se sachant bientôt loin. N’en démordant pas, elle lui offrit ses coordonnées, prête à le rejoindre à Toulouse une fois de temps en temps. Tristan accepta, sidéré, mais content.
***
— Non ! Sérieux ?!
Plus tard dans la journée, Patrice l’avait invité à boire une bière chez lui, afin de pouvoir reprendre leurs conversations « entre mecs », surtout que Tristan ne serait plus là pour longtemps. Ce dernier, pas né de la dernière pluie, avait bien compris que ce qui intéressait son ami, c’était la manière dont s’était terminée sa soirée.
À peine le séducteur en herbe avait conclu son récit que l’Irlandais avait réagi, encore plus foudroyé que lui. Il lui montra le numéro et le visage de Célia pour le lui prouver, laissant Patrice bouche bée.
— Très.
Le traducteur le fixa, encore médusé, avant de finalement applaudir et brandir devant lui ses deux pouces.
— Franchement, respect. T’es devenu un champion. On dit souvent que l’élève dépasse le maître… Je vais finir par ne plus t’inviter, tu vas me faire de l’ombre.
— Pour de bon ? C’était notre première sortie et tu veux déjà arrêter ? Espèce de fragile !
Après un moment d’hilarité, Tristan lui raconta comment il avait mené la conversation, chose qu’il avait grandement occultée de son premier compte rendu. Bien entendu, le Celte ne put s’empêcher de tiquer à la mention des blagues de Frédéric qui avaient énervé Célia, mais le laissa aller jusqu’au bout.
— Si je puis me permettre… évite quand même de surabuser des tirades de Fred. C’est à double tranchant, ça passe ou ça casse. Là, je crois que t’as eu de la chance et que t’es bien tombé. Mais toutes les filles ne réagiront pas pareil. Certaines sont vraiment très susceptibles et pour les plus indulgentes, ce sera un carton jaune pour toi si t’as pris soin d’établir une bonne connexion en amont. Bref, fais gaffe, quoi.
— T’inquiète. Je suis plus mesuré que Fred. J’ai même coupé les ponts avec lui, si tu veux savoir.
— Une bonne nouvelle.
Tristan sourit et but une nouvelle gorgée de bière, particulièrement savoureuse, celle-ci.
— Bon, et toi ? reprit-il. J’imagine que tu as monté la tienne toute la nuit ?
— Ça fait vraiment drôle de t’entendre parler comme ça… dit Patrice en riant. Moi… tu vas être surpris. Je suis rentré bredouille. Oui, t’as très bien compris, ajouta-t-il devant ses yeux ronds. Disons qu’elle a préféré rester fidèle à son copain. Parce qu’elle était casée, figure-toi ! C’te blague. Elle était juste là pour accompagner sa pote, celle avec qui t’as couché.
Tristan le fixa, bouche bée.
— Attends… tu t’es pris un râteau ? Toi ?
— Eh oui, mec, ça m’arrive d’échouer. Je suis pas parfait, c’est un air que je me donne. Je maintiens qu’y arriver du premier coup comme tu l’as fait, c’est un coup de bol, peut-être la chance du débutant. Et si tu veux savoir, ça m’arrive même assez régulièrement, encore aujourd’hui. Et il faut savoir l’encaisser. On dirait pas comme ça, mais la séduction, ça requiert du mental. Tu le comprendras avec la pratique.
— Bah, ça alors, j’aurais pas cru… Et… même pas un bisou ?
— Non. Bon, je vais pas te mentir, c’était perdu d’avance. Quand on s’est fait la bise, j’ai fait une tentative et elle s’est détournée. C’est là qu’elle s’est excusée en me disant qu’elle avait un copain et que, de toute façon, j’étais pas son type. Elle m’a sorti le couplet du mec sympa avec qui y aura rien de plus. Bref, elle a mis les choses au clair. Pour être franc, ça m’a contrarié sur le coup, mais j’ai accepté. On s’est quittés bons amis.
— Ah, la déception… T’as son numéro, au moins ?
— Non. Y a des risques qu’on se revoie jamais. C’est la vie. Toute façon, à quoi ça m’aurait servi ? Je ne veux pas faire semblant qu’elle m’attire pas et on n’a aucune raison de se fréquenter. De base, je voulais la mettre dans mon lit et c’est tout. Elle m’a dit non, fin de l’histoire.
— Ouais, mais bon… Ça va, t’es pas triste ?
— Un peu, mais la vie continue. C’est pas mon premier échec et ce sera pas mon dernier. Y aura d’autres filles, t’inquiète pas pour moi. J’ai fait mon boulot, même si ça n’a pas marché, donc j’ai peu de regrets. Je suis même content, quelque part, car ça m’inspire un autre conseil pour toi : prends garde et te repose pas sur ton succès d’hier. Des échecs comme ça, tu vas en connaître des tonnes, toi aussi, alors prépare-toi.
Encore stupéfait, Tristan, qui en avait oublié sa bière, porta derechef le goulot à sa bouche. Lui qui avait toujours envié, jalousé, idéalisé Patrice, qu’il voyait comme le plus grand séducteur de la ville, voire de la région… voilà que l’idole et son mythe s’effritaient devant ses yeux.
S’il n’avait pas déjà commencé à tourner cette page de sa vie, il ne lui aurait manqué plus que ça pour le faire.
Annotations
Versions