Le lendemain matin, avant de partir pour l’école, il avait de nouveau regardé le poster, cette fois plusieurs minutes d’affilée. L’image n’avait pas bougé comme la veille, mais il avait perçu le bruit des vagues dans le lointain, juste avant que maman ne l’appelle.

Ce soir, se dit-il avec jubilation, j’irai sur la plage avec Duke.

À l’école, Tibor eut du mal à se concentrer sur le cours. Il n’arrêtait pas de penser à son exploration à venir. Pendant la récréation du matin, ses camarades avaient déclenché une bataille de boules de neige dans la cour, ou plutôt de « boue » de neige, avec la terre et les restes fondus des flocons tombés plusieurs jours auparavant. Il rêvassait en s’imaginant jouer avec eux dans le sable et pas dans la gadoue. C’est là qu’ils l'attaquèrent à plusieurs et il s’était retrouvé couvert de boue. Maman s’était mise en colère lorsqu’elle était venue le chercher.

– Non mais ! Regarde-moi dans quel état tu es ! s’était-elle écriée. Ton pantalon et ton manteau… Si on n’arrive pas à les ravoir, c’est tant pis pour toi, hein, je ne t’en rachèterai pas !

Maman avait continué à rouspéter tout au long du trajet. Ce n’était visiblement pas une bonne journée. Elle n’avait pas trouvé de nouveau travail. En attendant l’ascenseur dans le hall de leur immeuble, ils avaient croisé le gardien, M. Cazatier. Tibor n’aimait pas cet homme qui était toujours en train de se plaindre ou de parler méchamment aux gens. Cette fois encore, ça n’avait pas loupé. En voyant Tibor tout crotté, il l’avait grondé en râlant « qu’il ne nettoyait pas le sol pour les chiens ». Maman lui avait répondu de se mêler de ses affaires et c’était bien fait pour lui.

– Dès qu’on arrive à la maison, lui dit maman dans l’ascenseur, tu m’enlèves tout ça et tu files tout de suite dans la salle de bain pour te nettoyer, c’est compris, Tibor ? Tu prends ton bain avant d’aller jouer dans ta chambre, d’accord ?

Tibor s’était contenté d’un « Oui, maman », en pensant que cette petite punition tombait très bien.

En arrivant, il se déshabilla dans l’entrée et courut dans sa chambre.

– Qu’est-ce que j’ai dit, Tibor ? s’énerva maman. Tu prends ton bain tout de suite !

– Oui, oui, c’est juste pour mon GI Joe !

Avec sa figurine de Duke dans les mains, Tibor s’enferma dans la salle de bain. Il fit tourner tout doucement le verrou pour que maman ne l’entende pas et ouvrit le robinet de la baignoire. Puis il se retourna vers le poster en souriant.

– Duke, toi et moi on va explorer la plage, dit-il à sa figurine, en fixant le mur.

Pendant un long moment, rien ne se passa. Tibor eut peur que la photo ne « s’ouvre » pas. Puis, comme la veille, il entendit le bruit des vagues dans le lointain. À mesure que les autres sons lui parvenaient, l’image s’anima doucement. Il n’avait pas rêvé ! La plage était là !

Il ferma le robinet.

– Tout va bien, mon chat ? demanda maman en passant dans le couloir.

– Oui, maman, répondit-il, en agitant sa main dans l’eau. J’attends juste un peu avant de rentrer dans le bain parce qu’il est trop chaud.

Tibor se dit que ça lui donnerait un peu de temps avant que maman ne l’appelle à nouveau.

Malgré l’interruption, le poster ne s’était pas « refermé ».

–Allez Duke, on y va ! lança-t-il, avec un mélange d’appréhension et d’excitation.

Vêtu uniquement de son petit slip blanc, Tibor enjamba le seuil du mur avec précaution et posa son pied sur le sable. Il était doux et chaud. Il hésita une seconde. Puis il bascula son corps et passa complètement de l’autre côté.