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Il est tard, très tard, le silence de l’open-space n’est troublé que par les cliquetis rapides des touches d’un clavier.
Angie, c’est la bonne poire du service, celle à qui on dit « tu pourrais m’aider... » ou « tu pourrais terminer... », celle qui a le bureau dans le coin près des toilettes.
Ce soir, elle termine la prochaine présentation que son chef de service doit effectuer devant le conseil d’administration. Ce dossier, qu’elle n’aurait dû simplement avoir à mettre en forme, elle l’avait entièrement monté, constitué, travaillé pour son fainéant de responsable qui tenait son emploi au creux de sa main.
Ce travail, elle y tient, elle s’y accroche, elle y tient, elle, à la timidité maladive, introvertie au possible. C’est tout ce qu’elle a dans cette vie où elle passe plus de temps à regarder ses pieds que tout autre chose. Tout, hors de son minuscule « chez-elle » est une épreuve, une aventure, un test pour ne pas retourner une nouvelle fois en psychiatrie.
Avec sa reconnaissance de handicap, elle sait qu’elle a été embauchée pour répondre au quota. Elle ne vole pourtant pas son travail, mais on la regarde toujours comme…
Avec le point final et la satisfaction du travail accompli, Angie prend conscience de l’heure. La nuit est tombée depuis longtemps, elle vient de laisser passer son dernier bus.
Elle lutte contre la crise de panique qui menace. Elle doit prendre une décision. Traverser le quartier des débauchés comme elle le nomme avec ses sex-shop, bar à hôtesses, club de strip-tease et ses femmes de petite vertu. C’est vingt minutes contre quarante-cinq si elle le contourne.
Les pas du vigile effectuant sa ronde la décide, ce n’est que le début de soirée, elle ne devrait pas avoir de problème. Le gardien la salue d’un grognement, elle lui répond d’un hochement de la tête.
Dans l’ascenseur, elle n’ose se regarder. Qu’y verrait-elle, une fille au visage triste avec les yeux affolés d’un animal pris dans les phares d’une voiture. Elle est habillée de son traditionnel tailleur noir trop grand pour elle, d’un chemisier blanc et de bottines victoriennes à talon bobine. Elle aime bien cette époque et le courant steampunk actuel. Elle coiffe donc ses cheveux dans la tradition gibson girl, une sorte de fouillis organisé selon ses collègues qui le résume en « choucroute ».
Elle sort de l’immeuble de bureau d’un pas rapide tout en se disant qu’on ne fera pas attention à elle, surtout elle rase les murs !
Elle connaît son chemin pour avoir maintes fois traversée ce quartier aussi inanimé qu’une ville fantôme en plein jour. Plus elle s’y enfonce, plus la vie qui l’anime en ce début de soirée l’agresse par les couleurs vives de néons, les hurlements de rabatteurs, les relents d’alcool. Elle accélère encore son pas, rase plus les murs si cela était encore possible, espérant devenir complètement invisible face à tout ce qui l’agresse.
Elle se sent suivie, regardée, espionnée. Que ce test qu’elle s’inflige lui est difficile. Plus qu’une rue à traverser, et il en sera terminé. Elle trépigne au feu piéton qui lui refuse le passage guettant le changement de couleur sur le marquage au sol quand un véhicule s’arrête devant elle. Sa panique augmente au son de la vitre électrique qui s’abaisse.
- Combien il est surprenant de vous croiser dans les bas-fonds Mlle Galonnier, montez, je vais vous raccompagner.
La voix chaude et impérieuse du PDG ne lui laisse aucun choix.
Elle fait un pas, la portière s’ouvre sur le regard intimidant du conducteur, un regard qu’elle ne connaît que trop…
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