Neige

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C'était un matin tranquille, un de ces matins on en se réveillant, on se dit que la journée ne sera pas mauvaise, mais c'était aussi un matin de vacances, aussi on ne savait pas vraiment si le réveil avait quelque chose de magique ou bien si c'était uniquement la perspective de congés qui mettait du baume au cœur des réveille-tôt.

Ce matin là donc, Margaux n'était pas levée, contrairement aux autres enfants de son âge. Elle aurait sans doute continué sa nuit jusque midi si un bruit semblable à une main toquant à la vitre n'était pas venu la tirer de son sommeil. Elle se réveilla en sursaut, peinant à comprendre ce bruit étrange.

Son premier reflexe fut de regarder vers sa fenêtre, bien sûr, mais elle ne vit rien, personne qui aurait pu frapper le carreau. En même temps, elle dormait au deuxième étage : il aurait fallu de grandes jambes ou de grands bras pour venir marteler la vitre ainsi. Elle se dit alors que ce devait être un oiseau étourdi qui n'avait pas vu l'obstacle, le genre con d'or dont le corps beau s'écrase contre la vitre.

"Pourvu qu'il n'ait pas rejoint mes anges, soupira la jeune fille. Je vais te chercher, et après je t'emmène voir mon père, ok ?" ajouta-t-elle en espérant que l'oiseau l'entende.

Le père de Margaux était vétérinaire, et soigner un petit animal blessé n'aurait rien d'une grande nouveauté pour lui.

Elle descendit les marches quatre à quatre, avala une tranche de quatre-quarts juste à temps pour voir son père partir au volant de son 4x4. Elle pesta. Tant pis, son père ausculterait l'oiseau à midi, pour le déjeuner.

L'oiseau, donc.

Lorsque Margaux sortit dans le jardin, elle ne trouva pas d'oiseau mais à vrai dire, elle n'y pensa plus dès l'instant où elle observa le ciel. Semblant tomber des nuages, une multitude de petits confettis tombaient sur le sol. Plus lents que les gouttes de pluies, ces particules avaient quelque chose de presque féerique. Margaux n'en revenait pas. Elle en avait entendu parler dans de vieux livres, mais elle n'aurait jamais pensé qu'elle en verrait un jour. La texture était si étrange, la sensation si bizarre!

De la neige !

Déjà les autres enfants sortaient dans les jardins alentours, admirant avec émerveillement la couleur pâle des flocons qui tombaient. Les étoiles dans leurs yeux ayant filé, ils ne tardèrent pas à se mettre à jouer avec. Pas Margaux. Sa première pensée fut pour le broyeur de feuille qui trainait dans le jardin. Son père n'avait pas eu le temps de le ranger, et il pouvait sûrement s'abimer avec toute cette neige. Elle décida donc de s'y coller, trainant la machine du bout de ses bras, raclant le sol couvert de flocons. Quand elle l'eut déplacé en lieu sûr, elle remarqua un phénomène étrange : le broyeur avait tracé dans la neige un sillon, et tout comme une cuillère à glace forme une boule de glace, la machine avait formé ce qui ressemblait à une gigantesque boule de neige.

Les gamins autour de Margaux l'avaient déjà compris et s'étaient déjà lancés dans la confection et la bataille de boules de neiges. Ils se les lançaient à la figure, s'en prenaient plein la tête, l'avalaient, la recrachaient parfois, et se vengeaient, ripostant avec deux fois plus de hargne. Margaux voulait éviter de se blesser, elle préférait faire autre chose. Dans les vieux livres qu'elle avait consultés, quand on parlait de neige, on parlait de bonhomme de neige.

Elle se mit alors en tête d'assembler le plus de neige possible en boule compacte, de plus en plus grosse. La base ainsi obtenue, elle réitéra l'opération et créa une seconde boule, légèrement plus petite, qu'elle vint poser sur la première. Elle qui avait entendu parler de bâtons et de carottes pour combler les membres fut agréablement surprise de constater que la neige était assez solide et malléable pour créer les bras et le nez. Après tout, un bonhomme de neige était en neige, on ne disait pas "un bonhomme de neige de bois et de légume". Satisfaite de son œuvre, elle l'acheva en plantant des flocons particulièrement ronds et bleus pour former des yeux, traça un sillon au bâton pour la bouche et recula de trois pas. Il était parfait. Elle allait l'appeler...

-NEIGE ! Je vais t'appeler Neige. Tu es mon premier bonhomme de neige.

-C'est un joli prénom, lui répondit le bonhomme.

Margaux écarquilla les yeux, mais sa surprise fut vite balayée.

-Tu parles ? C'est génial ! Je ne savais pas que la neige était aussi magique. Tu veux être mon ami ?

-C'est quoi, un ami ?

-Et bien... Quand on est amis, on joue ensemble, on fait des blagues et on se raconte tous nos secrets !

-Alors oui je veux bien être ton ami, répondit Neige d'un ton glacial.

Et ils entamèrent une bataille de boules de neige, l'innocence de Margaux la préservant fort heureusement du sous-entendu terrible de ce jeu.

-Pourquoi tu parles bizarrement, Neige ? demanda la jeune fille après s'être mangé un énième projectile.

-Je n'ai pas de cerveau, Margaux. J'ai une tête, une tête pleine, mais pas des bonnes choses. Je ne peux qu'être celui que tu m'apprends à être. Désolé.

-C'est pas grave, je t'aime bien quand même, tu sais !

Et alors qu'elle se penchait pour ramasser de quoi fabriquer une munition, elle aperçut trainer au sol une feuille morte.

-Mince ! Papa va bientôt rentrer, et je lui avais promis que je ferais un tas des feuilles mortes ! Tu pourrais m'aider, Neige ?

-Faire un tas de choses mortes ? C'est barbare, comme pratique, non ?

-Pourquoi tu me regardes comme si je faisais ça souvent ? Allez, viens m'aider, j'ai une idée !

Et Margaux se dirigea de nouveau vers le broyeur à feuilles.

-On va faire une surprise à papa. Il s'attend juste à ce que je rassemble les feuilles, mais comme on est deux, on ira plus vite ! Je fais le tas et tu les mets dans le broyeur, d'accord ?

Après quelques explications, les deux enfants se mirent au travail. Ils avançaient vite et avaient presque terminé lorsqu'ils entendirent la porte d'entrée claquer et des pas se ruer vers le jardin.

-Margaux ! s'écria son père.

-Papa ! S'écria Margaux. Je te présente Neige, un copain. Il m'aide à nettoyer les feuilles et c'est un bonhomme de neige !

Le père restait planté là, sans voix. Sa bouche s'ouvrait et se fermait toute seule, comme si ce qu'il voulait dire ne pouvait sortir du gosier.

-Margaux, reprit-il finalement. C'est incroyable. Comment as-tu pu lui donner la vie ?

Le père de Margaux était un homme de science. Il avait consacré sa jeunesse à l'étude de la biologie et avait obtenu son diplôme de docteur en animalogie, comme il aimait à le dire. Avait-il honte d'être un vétérinaire et non un médecin ? Personne ne pouvait vraiment le savoir. Une chose au moins était sûre : comme tous les scientifiques, il rêvait de pouvoir un jour être le premier qui percerait le secret de la vie.

-Margaux, il faut que tu m'expliques. Ton ami Neige n'était pas vivant ce matin ?

-Non, c'est moi qui l'ai fait ! J'ai ramassé de la neige sur le sol, et je l'ai assemblé, et voilà !

Le père secoua la tête, refusant d'y croire. Sa fille n'était pas maligne, il l'avait bien remarqué. Comment pouvait-on confondre, même en n'en ayant jamais vu, de la neige avec ce qui se trouvait sur le sol en ce moment ? Ce devait avoir la même température, peut-être la même couleur, mais leur jardin n'était pas couvert de flocon nivéaux, mais de flocons corporels.

Des centaines de miliers de petits bouts de peau, de doigts, de muscles, d'articulation, d'organes en tout genre, parsemaient le sol et créaient une couche blanchâtre et terriblement cadavérique. Aussi étonnant que celà puisse paraître, la créature formée par Margaux ressemblait presque en tout point à un être humain, un peu plus petit, plus rondouillard et plus tordu, mais le patchwork de chair s'était fondu comme pour harmoniser son teint, et il aurait pu sans problème passer pour un enfant malformé.

Le père ignorait d'où venaient ces morceaux de corps, mais il s'en fichait. Il avait devant lui un miracle scientifique, un sujet de premier choix ! Les mains de sa fille pouvaient créer la vie. Il fallait la jouer fine, bien sûr. Ne rien lui dire. Il était arrivé second au concours national d'école vétérinaire. Il avait été recalé d'une place après sa première année de médecine. Elle ne devait pas avoir honte de son père, la pauvre enfant.

Plus il observait Neige, plus celui-ci lui paraissait grandir. Allait-il acquérir une nouvelle force ? Une nouvelle intelligence ? Peut-être que sa fille pouvait faire des miracles. En plus de créer la vie, elle offrait un nouveau départ, une possibilité de tout commencer, ou de tout recommencer, en mieux.

-Margaux, papa va te dire quelque chose, écoute bien !

-Oui, papa !

La fillette s'approcha de son père, heureuse à l'idée de jouer avec lui.

-On va faire un cache-cache. Va compter dans ta chambre, et reviens quand tu auras compté jusque 100. Tu devras me trouver dans le jardin, d'accord ?

-Oui papa !

-Et si jamais tu ne me trouves pas, cherche par terre, il y aura peut-être des flocons de neige qui ressembleront au nez de papa, au bras de papa, aux yeux de papa, d'accord ! Si tu les vois, j'aimerai que tu me fasses une belle surprise, et que tu construises un bonhomme de neige qui ressemble à papa, d'accord ?

-Oui, papa !

La fillette sautait de joie. Son père, si distant, prenait enfin le temps de jouer avec elle. Décidément, la neige avait définitivement quelque chose de magique. Elle fit signe à Neige de l'accompagner à l'intérieur et disparut à l'étage.

"Quelle fille adorable, pensa son père. J'ai hâte qu'on se retrouve, elle et moi. Promis Margaux, Papa va devenir meilleur !"

Et il se dirigea vers le broyeur à feuille.

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