Si c'était à refaire

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— Si c'était à refaire, que feriez-vous?

Cet idiot de barman se prend pour le directeur de ma conscience? Ça me paraît d'autant plus difficile que je n'en ai pas. Toutes ces conneries qu'on nous fait gober comme autant de leçons de morale pour mieux nous mener à la tondeuse. Faut être con pour y croire. Non, moi je n'ai jamais fait partie de ce troupeau bêlant qui se laisse équarrir par la pensée que les regrets fourmillent dans les âmes à l'abandon. Mon âme ... c'est quoi au juste? encore un truc de curé. Pourtant parfois je glisse sur le chemin trop droit qu'on a balisé pour les aveugles qui, tels les rats de Hamelin, suivent la musique de la mort. Combien de foulures dues à ces "glissades" dans leur bien-pensance?

— Tu ne tiens qu'à un fil, m'avait dit un vieux pote. Ben figure-toi que j'y tiens à ce fil qui me permet de rester droit. Je ne suis pas arrivé à soixante cinq balais sans jouer les acrobates, afin de ne pas tomber dans la crétinerie humiliante distillée chaque jour par une clique de costards friqués à la têtes de holding, aussi importante que leur orgueil. J'ai eu aucun respect pour mon crétin de père qui s'est tué en bossant toute sa vie à l'usine d'amiante sans toucher un centime de compensation pour le vomi qu'il a craché pendant deux ans à l'hosto, avant de clamser d'un putain de cancer. Pas plus pour ma connasse de mère qui s'est usée les mains à la fabrique de carton. Sans doute pour faire comme son âne de mari, elle a chopé un cancer du poumon ; "vous fumez trop" lui avait dit le toubib. Connerie, ma mère n'a jamais fumé que la poussière de leur saloperie de carton.

Lorsqu'elle m'a demandé de servir mon pays... laissez-moi rire, Mon pays... j'ai rien demandé, moi. J'suis né là par pur hasard, alors servir une saloperie de coin perdu quelque part dans un monde d'arriviste, en prenant les armes pour aller tuer d'autres trous duc qui ont aussi le devoir de servir leur pays... ça m'a valu quinze jours de tôle et une sacrée amende que j'ai refusé de raquer. Ce dégénéré d'huissier m'a tout piqué, jusqu'à mon jeu d'échec. Je lui ai mis une mandale salée à la hauteur de sa puanteur. J'me suis barré de ce pays avant que le raquetteur ne porte plainte auprès de ces p'tits copains juges. J'ai trouvé un autre patelin où les gens ne valent pas mieux que ceux que j'ai laissé derrière moi, mais là au moins j'suis peinard : je bois mon soul sans personne pour venir me faire chier. Il a fallu cet allumé de Barman pour se le permettre : pour la première fois depuis cinq ans que le boulot ne me courait pas après, que la société ne m'emmerdait pas plus que ça, que les gens me fichaient une paix royale... j'ai chopé l'énergumène par le colbac et l'ai expédié dans la collection de spiritueux qui garnissait le bar, devant un énorme miroir qui a éclaté de mille feux sous l'impact de ses septante kilos.

Assis sur un semblant de matelas, je dois à ce pitre de vendeur d'alcool, au moins, le seul regret de ma vie, celui de ne pas l'avoir fait plus tôt. Car tant d'années à tenter d'échapper à la société pour finir gâté à ses frais, c'est quand même un sacré pied de nez, que j'aurais pas manqué de faire à

vingt ans ; ça m'aurait évité la compagnie des donneurs de leçons, des coupeurs de cheveux en quatre, des curés moralisateurs, des ensuqués en trois pièces, des mirlitons idéalistes et des boulots de merde.

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