La porte basse de vieux chêne clair. Toujours encadrée de l'étroite façade de vitraux abstraits. Je la pousse avec un mélange d'excitation et d'appréhension. Un brouhaha de voix pour la plupart familières m'accueille. Devant moi, le tapis cerise, par endroit percé d'usure, se déroule jusqu'au comptoir, dont l'ébène disparaît sous plusieurs couches d'affiches de spectacles, qui forment un patchwork multicolore. Derrière, mon meilleur ami. Son sourire chaleureux en me voyant. Son clin d'oeil, complice, qui me dit de me faire discret si je ne veux pas que les très nombreux habtués présents m'étouffent de leurs embrassades.
Je prends le temps de le rejoindre, faisant des yeux le tour du lieu. Les manteaux séchan au coin du feu. Les sièges et tables écléctiques. Je note aussi quelques nouvelles rides, des changements de coupes de cheveux...
Mais je n'ai pas le temps d'en voir davantage. Sur ma droite, un cri. Et une tornade me saute dessus, me déséquilibrant. Heureusement pour moi, une deuxième me remet pus qu'instantanément sur mes pieds.
Mes petits-enfants. Je les serre contre moi, respirant à pleins poumons leurs chevelures.
Je n'ai pas le temps de savourer davantage nos retrouvailles. C'est à présent la quasi-totalité des consommateurs qui se dirige vers moi, formant une vague qui menace de m'engloutir.
D'un bond, je me réfugie vers le bar, entraînant ma descendance avec moi.
Ouf, juste à temps ! La vague vient de mourir au pied de nos tabourets hauts.
Sous le plafon, une cloche raisonne. Mon ami barman vient de ramener un calme relatif mamis suffisant pour se faire entendre :
" Laissez-le arriver. Vous savez comme moi qu'une passionante et longue soirée d'histoires se profile."
Ses paroles font refluer la marée, juste assez pour que je puisse aller déposer mes affaires près de la cheminée, où mon manteau trempé appréciera de sécher.
A mon retour, les amis se resserrent autour de moi, venant me saluer en vagues affectueuses. Des anciens, des plus récents. Des tous nouveaux même, qu'on me présente, et dont je ne retiens pas les identités, un peu mystérieuses.
Quand je reviens à mon tabouret, un café fort et épicé m'attend sur le comptoir. Je déguste ma boisson préférée tranquillement, prenant le temps de réfléchir par où commencer.
Puis je me lance dans la narration de mes aventures de ces dernières années...