Chapitre 8
Soen
[4 Mars 2420 – Quelque part entre les terres du sud et les terres de l’ouest]
Je n’attends pas de vérifier qu’elle me suive bien, je pique un sprint vers l’endroit où j’ai laissé nos compagnons et prie pour avoir tords. Pour que ce pressentiment soit infondé. Je cavale à travers les broussailles, esquive les branches basses ainsi que les troncs, saute par-dessus les racines tortueuses et déboule comme un fou furieux près d’une Lyra en pleine concentration sur sa tablette. J’observe tout autour d’elle. Tout semble calme. Trop calme pour que cela soit rassurant. Et surtout : pas de Zéphir.
Lyra tourne la tête vers moi et fronce les sourcils.
— Qu’est-ce que t’as ?
Je plonge mes billes vertes dans les siennes et essai de détecter la moindre trace de peur ou d’anxiété.
— Lili, où sont les autres ?
Elle ouvre la bouche pour me répondre, lorsque Shalana fait irruption derrière moi, le souffle court et la chevelure ébouriffée. Je passe ma main devant les yeux de Lyra pour la recentrer sur moi et lui repose ma question.
— Tic et Tac ont terminées de leur côté. Comme vous ne reveniez pas et que moi je suis occupée, ils ont dit qu’ils allaient jeter un œil aux alentours.
— Ça fait combien de temps ?
Lyra hausse les épaules et se replonge sur sa tablette.
Je marmonne quelques jurons et m’éloigne un peu. Je ne tirerais rien de plus d’elle pour le moment, elle vient de replonger dans son monde. J’aurais quand même bien aimée qu’elle attende de le faire après m’avoir dit où était passé Zeph. Ça m’étonne fortement d’ailleurs de ne pas le voir. Il ne quitte jamais Lili d’une semelle, tel un chien de garde dévoué. Ce n’est vraiment pas normal !
Que Tic et Tac se barrent, passe encore ! Elles sont deux adultes responsables. Surtout elles sont deux et savent les risques qu’elles encourent à se désolidariser du groupe de la sorte. T’es bien placer pour parler de ce genre de chose, ricane ma conscience. Je serre les poings et m’éloigne un peu. A la recherche d’une quelconque trace de Zeph. Lana esquisse quelques pas dans ma direction, mais je lui intime de rester auprès de Lyra. Ça ne l’enchante pas vraiment, cependant elle stop ses mouvements et croise les bras sur son opulente poitrine.
Forcément, je n’ai qu’une envie, c’est de crier le nom de mon pote pour le localiser. Pourtant, ça serait l’une des pires choses à faire dans un environnement hostile et inconnu. Je m’arrête. Il faut que je réfléchisse à la direction qu’il aurait pu prendre et pour quoi faire. Ça ne sert à rien que je parte vadrouiller à l’aveugle. Plus contreproductif tu meurs. Aller réfléchis ! Quelles sont les raisons qui pourraient avoir poussé Zéphir à laisser Lyra toute seule ? Eloigner un danger immédiat, mais il aurait tout fait pour nous alerter et mettre Lili à l’abri. Partir à la recherche de Tic et Tac ? La bonne blague. Partir au petit coin ? C’est plus probable mais franchement, il serait déjà de retour. Non. Vraiment il y a un truc qui ne va vraiment pas. Je le sens. La désertion du binôme, celle de Zeph et ce calme plat pesant ? A la limite de l’étouffant. Je rebrousse chemin et retourne me poster devant Lyra. Je m’accroupis à sa hauteur et l’oblige doucement mais fermement à me regarder. A se reconnecter.
– Lili. J’ai besoin de savoir dans quelle direction sont partis Tic et Tac mais aussi Zeph.
Elle me fixe un long moment, sous le regard circonspect de Lana, avant de m’indiquer une seule et unique direction.
— Tu es sûr de toi Lili ?
— Evidemment ! D’ailleurs, j’ai terminé figure toi. On va pouvoir les rejoindre, m’annonce-t-elle, plus ou moins reconnectée à la réalité.
— Comment ça les rejoindre ? Zeph est vraiment parti sans toi ?!
Lyra lève les yeux au ciel, ramasse son matériel et se relève. J’en fais de même.
— Malgré ce que vous semblez tous penser je ne suis pas un bébé. Ok, j’ai des absences mais quand même. Il les a entendu crier alors il a voulu aller voir ce qui se passait.
Au moment même où elle prononce cette phrase Lili blêmi a vu d’œil et me jette un regard terrorisé en réalisant la situation. Bordel de merde !
Je ne prends pas le temps de l’interroger sur la durée de son absence, je secoue mes deux acolytes, les briefs rapidement sur ce que j’attends précisément de chacune d’elles et me lance dans une course folle vers la direction indiquée. Putain de merde faite que rien de grave ne soit arriver ! Pas comme ça. Pas maintenant ! Je ne supporterais pas de perdre un seul de mes camarades d’infortunes et encore moins mon meilleur pote ! Alors que je cavalcade comme un possédé à travers la végétation liguée contre moi, j’essaie tant bien que mal de reprendre un minimum de sang-froid. Je sais pertinemment que je ne servirais à rien en cas de crise si je reste dans cet état de panique. Impossible.
D’habitude des exercices de respirations arrivent sans trop de mal à me refroidir les idées, mais dans ma course je ne peux pas trop le faire. Je rationnalise. Enfin je tente. J’imagine un à un les scénarios les plus plausibles et les moins catastrophique et flirte dangereusement avec ceux beaucoup plus horribles et imaginables. Tout va bien. Tout va bien. Bien sûr que tout va bien il ne peut pas en être autrement !
Je ne sais pas quelle distance j’ai pu parcourir, mais j’entends clairement que je m’approche en entendant au loin des cris de terreur purs. Tic. Je puise dans mes réserves pour accélérer la cadence et les rejoindre fissa. Ça commence à brûler, mais qu’importe, l’adrénaline et la peur qui circulent dans mes veines me donnent le boost nécessaire qui m’aident à ignorer la douleur qui s’immisce doucement en moi. Par-dessus les cris déchirants de Tic, j’entends les aboiements inaudibles de Tac suivit par la voix tendue de Zeph. Dieu merci ce con est vivant !
Un poids immense s’échappe de ma poitrine. Je sais, c’est mal de ressentir un tel soulagement alors que Tic et Tac semblent aux prises avec un sérieux danger. Mais putain mon pote, mon frère, c’est tout un pan de ma vie. Je ralenti ma course en débouchant sur une clairière. Retrouver après tout ce temps les rayons du soleil de manière aussi frontal est perturbant et aveuglant. Si la situation n’était pas aussi critique j’en savourerais chaque seconde. Or, devant moi le spectacle que je redoutais à lieu. Je m’immobilise à l’orée, je saisie mon fusil et reste tapi dans l’ombre. Derrière moi j’entends les souffles erratiques de mes deux comparses. Je leur fais signe de s’arrêter et de ne pas faire de bruit. Lorsqu’elles voient la scène elles se figent, bouches bée.
La clairière se compose d’espaces verdoyants, de rochers disposés çà et là comme pour se poser et faire bronzette au soleil, et au milieu la rivière se jetant dans un immense bassin avant de continuer sa route plus loin. A une centaine de mètres devant moi, Tic continue de hurler, d’implorer comme une folle alors que Tac affalée parterre est encerclé par trois énormes fauves qui montrent les crocs. Les deux plus gros doivent mesurer pas loin des trois mètres d’envergures (queues comprises !) pour une bonne centaine de kilos et quelque chose me dit qu’il y a plus de muscles que de graisse sur ces bestiaux. Le troisième est légèrement plus petit et plus fin. Leurs gueules rugissantes et pleines de crocs ne me dit rien qui vaille.
— Où est Zeph ? entends-je Lyra paniquer dans mon dos.
Je fouille la clairière des yeux. Je ne le vois nulle part. Pourtant je suis sûr et certain de l’avoir entendu tout à l’heure ! Impossible qu’il se soit fait bouffer… je ne vois pas de traces de sang. Du mouvement sur notre droite nous fait nous retourner comme un seul Homme. Derrière un buisson surgit une tignasse brune suivit d’un regard marron à la fois soulagé et angoissé. Lili ne perd pas une seconde et se jette dans ses bras, manquant de les faire basculer tous les deux. Il l’étreint fermement et lui chuchote je ne sais quoi au creux de l’oreille avant de nous rejoindre Lana et moi.
Je ne suis pas particulièrement démonstratif mais qu’importe, dès qu’il est assez près je lui saisis la main et lui donne une accolade plus longue qu’à l’accoutumé. J’ai eu si peur pour sa peau putain ! Le serpent perfide de l’angoisse qui sinuait dans mes veines vient s’échouer dans mon ventre. Nous nous lâchons et d’un regard tacite nous passons en mode situation d’urgence. Nous nous positionnons de sorte à avoir une vue d’ensemble sur la clairière et la scène chaotique qui s’y déroule.
— Qu’est-ce qu’on fait ? m’interroge-t-il.
— J’en sais foutre rien… mais on ne peut pas les laisser comme ça !
— Si on tire ça ne leur fera pas peur à ces bestiaux ? tente Shalana.
On lui jette un regard. Dans ses billes noisette brûle la flamme de la détermination. Campée sur ses jambes, son air sûr d’elle et ses douces mèches rousses lui caressant la mâchoire lui donne une allure de princesse guerrière que je ne lui avais encore jamais vu.
— Tirer dans le tas ça marche d’habitude non ?
Je me retiens de sourire, la situation ne s’y prête vraiment pas et je me recentre sur la situation.
— Je n’y connais foutre rien à ces animaux. Ils peuvent soit déguerpir, soit essayer de nous bouffer. Il nous faut un plan en béton avant de pouvoir leur porter secours.
— C’est bien beau ça mais on n’a pas le temps, regarde !
Je reporte mon attention sur la scène.
Les trois animaux forment un cercle autour de Tac et l’un des plus gros se rapproche dangereusement de notre camarade qui n’en mène pas large. Maintenant debout, une grosse branche à la main elle fait des mouvements circulaires afin d’essayer de dissuader le fauve de l’approcher davantage. L’animal semble n’en avoir cure et continue de montrer ses crocs acérés d’une blancheur étincelante. Je déglutis, m’attendant au pire à ton moment.
— Il faut faire vite ! s’étrangle Lyra le visage baigné de larmes.
Et comment, mais là, je ne vois pas de plan utile. Je ne vois pas comment réussir à les sortir de ce guêpier. On a qu’un seul fusil à balle réel. J’ai beau avoir une belle dextérité avec les armes, je ne me sens pas de réussir à faire mouche trois fois d’affilé en aussi peu de temps. Je n’ai aucune idée de la vitesse à laquelle ça va un machin pareil ! Je pourrais également blesser Tic ou Tac dans la foulée. Je ne sais pas non plus à quelle vitesse agissent les fléchettes hypodermiques. C’est une mission suicide.
C’est un pile ou face que je ne suis pas certain de remporter. Bien que je ne veuille aucune perte, je ne suis pas prêt à faire passer en priorité deux quasi inconnues. Je ne veux pas attirer l’attention sur nous au risque de les faire changer de cible. Je suis très certainement un putain de connard égoïste sans cœur mais tant pis. Mes proches sont ma priorité, envers et contre tout. Alors que je m’apprête à faire part de mes réflexions et de ma décision Tic pète littéralement un câble.
Je la vois comme au ralenti, elle sort de son sac le couteau de chasse et se rue vers la meute en poussant un hurlement de guerre à vous glacer le sang. Les fauves, ainsi que Tac, tournent tout aussi lentement la tête vers elle, toutes griffes dehors ils se retournent vers elle en feulant. Pourtant ce n’est pas eux qui vont mettre un terme à sa course. Non. Sorti de je ne sais où, une flèche vient se ficher dans sa poitrine. Tic ralenti sa course jusqu’à s’arrêter tout à fait. De dos, nous la voyons baisser la tête vers le bout de bois fiché dans son torse avant de s’effondrer au sol. Un silence de mort tombe sur la clairière. Nos respirations coupées, je peine à réaliser ce qui vient de se dérouler devant nos yeux.
Tac se laisse tomber à genoux et se met à donner des coups sur le sol en hurlant sa souffrance. Je ne connaissais pas beaucoup Tic. J’étais même prêt à la laisser en pâture à ces monstres sans aucun remord. Mais voir sa mise à mort, comme ça, d’une manière tout à fait inattendue me retourne les tripes. Une boule vient se loger dans ma gorge et un sentiment dérangeant me remonte le long de l’échine. Qu’est-ce qui vient de se passer putain ? D’où vient cette putain de flèche dont la pointe ressort très clairement d’entre ses omoplates ?! Qui peut posséder une telle force ? Elle a forcément été tirée depuis les fourrés en face. A une distance pareille c’est impossible !
Dans un brouillard de confusion aussi épais qu’assourdissant je continu d’observer comme à travers un écran, les fauves tourner la tête vers l’autre côté de la berge. Le plus petit s’avance vers le corps inerte de Tic et se met à le renifler. De sa grosse tête il pousse sur son flan. Rien. Elle ne bouge plus. Il relève la tête et rugit. Les deux autres s’assoient à égal distance de Tac qui continue de déverser son chagrin. Comme si elle était devenue insignifiante. Je n’ai pas le temps de tergiverser sur la marche à suivre. Une forme sombre et indistincte de là où je suis s’avance vers le centre de la clairière depuis l’autre côté de la berge. Au milieu de la rivière, d’énormes rochers fendent l’eau. En quelques bonds la silhouette traverse comme si de rien était. Plus elle s’avance et plus elle se précise. Une forme humaine. Humaine ? Putain oui c’est bien une femme ! Elle s’approche des fauves – et de Tac – d’une démarche assurée… un arc presque aussi grand qu’elle à la main !
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