4. Le cinéma nocturne

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La ville, de nuit, est bien moins effrayante qu’il ne l’aurait cru.

Arthur l’imaginait plus imprévisible puisqu’elle plonge les grands axes et les quartiers d’ordinaires bruyants et populaires dans un silence plus mesuré où tout semble s’être réfugié. Ses parents avaient beaucoup alimenté cette peur, en lui promettant dangers et risques en tout genre, s’il venait à sortir à l’heure où la lumière des lampadaires se marie à la clarté blanchâtre de la Lune. Pour autant, cela fait déjà bien longtemps qu’il se balade, à une heure que certains jugeraient indécente, les bras le long du corps et le regard perdu dans les illuminations rurales que lui offre le quartier.

Chaque fois qu’il sortait de nuit, l’un de ses géniteurs le tenait par la main. Et ce encore il y a quelques mois. Ils le bousculaient, l’obligeant à les suivre et il ne parvenait que très peu à contempler ce qui l’entourait, comme une personne de son âge aurait aimé le faire. Cependant les virées à la belle étoile dépassaient rarement la minute et elles étaient l’occasion de retrouver des amis de la famille une ou deux fois par an. Ses parents se garaient souvent le plus près possible de l’immeuble de leurs hôtes et se hâtaient une fois la porte de leur voiture ouverte. L’extérieur, de nuit, avait toujours été une des nombreuses névroses de la famille et elle l’évitait le plus possible. Dans une frise logique, Arthur piétinait donc une autre des règles qu’on avait tenté de lui inculper et par la même occasion, une peur qu’il s’était naïvement forgée.

Et ciel, que l’endroit est beau. Une nouvelle forme de vie règne ici. Les immeubles tristes et les bâtiments de plain-pied aux crépis maussades semblent avoir disparu pour laisser place à des enseignes colorées et clignotantes à tous les coins de rues. Le silence contraste avec l’activité humaine surdimensionnée de la journée. Arthur peut tout de même y entendre quelques voitures et percevoir certaines mélodies aux rythmes redondantes dans les tréfonds de l’agglomération. Quelques sirènes accompagnent cet orchestre unique tandis que le jeune homme franchit un énième carrefour.

Il erre, sans but. Ses jambes l’emmènent où bon leur semblent, lui faisant parcourir des kilomètres.

Pour autant, après une heure de flânerie, un bâtiment retient toute son attention de l’autre côté de la rue. C’est un immeuble de quatre étages semblable, sur ce point, à beaucoup d’autres, avec un toit en terrasse. Sa devanture, unique en son genre, le captive. En effet, un grand arc de plusieurs mètres de haut surplombe l’entrée. Un écran embrasse la longueur de cette originalité architecturale. Une inscription indique que c'est un cinéma. Des centaines d’ampoules éclairent le tout, faisant tout leur possible pour attirer les curieux. Au-dessus, des affiches géantes sont allumées selon le même procédé.

Arthur s’avance en traversant la route goudronnée et s’approche d’une affiche où il voit les horaires des séances des prochains films.

Toutes les réalisations sont projetées à des heures impossibles, ce qui étonne le jeune homme. Le peu qu'il en sait vient des femmes acariâtres que sa mère côtoyait, critiquant chaque détail qu’elles étaient à même de se rappeler. Pour autant, elles prenaient des places toutes les semaines, comme dans l’unique plaisir de critiquer tout ce qu’il y serait raconté.

N’ayant pas l’heure sur lui, il ne sait pas si une séance est sur le point de se dérouler. Mais en pivotant la tête sur sa gauche, il remarque un homme, fin de la vingtaine, avachi derrière un comptoir dans une sorte de mini-kiosque. Ce dernier est situé à quelques mètres de l’entrée principale, composée de plusieurs grandes portes vitrées.

L’hôte d’accueil est sur une petite machine noire sur laquelle il pianote frénétiquement, le regard perdu dans la clarté de l’écran. Il marmonne quelques onomatopées et semble à la fois fasciné et obnubilé dans l’exercice qu’il entreprend. Il remarque à peine l’arrivée d'Arthur, qui doit bien attendre une dizaine de secondes avant que son vis-à-vis daigne le considérer.

Après, semble-t-il, un effort surhumain, l’homme au téléphone le regarde quelques secondes puis lui offre un sourire sympathique, mais empreint de fatigue.

Il a un certain charme malgré les cernes qui lui tombent sur les joues. Son visage est soigné et sa barbe taillée avec minutie. Bien que courbé, il paraît en forme. Son regard est lointain, comme sous l’emprise de quelque chose. Cependant, il s’adresse à Arthur de manière concise, le tout dans une belle élocution.

— Salut à toi. Tu viens pour la séance d’une heure ?

L’hôte a une étiquette multicolore qui porte son nom. Isaac.

On retrouve le même symbole coloré en forme d’arc en ciel au fond du kiosque avec plusieurs initiales.

Dans tout l’habitacle, on peut y voir des dizaines de slogan dont un énorme « BE BRAVE, SOLDIER ». Deux poings levés, l’un noir, l’autre décoré du même graffiti que le badge du caissier, sont disposés à gauche et à droite de la maxime.

— C’est le dernier Mexico, une œuvre d’art, dit-il en montrant l'affiche de la prochaine séance. Maintes fois récompensé aux Oscars. Sur Swiffer, il s’élève déjà comme l’un des plus impactants. Et le gars frappe fort. Nous, on ne peut que s’abaisser face à tant de puissance. ‘Fin, tu vois ce que je veux dire, tu n’es pas là pour rien.

Arthur hausse les épaules avec un petit sourire timide.

— Je ne sais pas trop. Je ne suis pas un fin connaisseur.

Isaac le regarde avec un drôle d’air.

— L’intérêt n’est pas de connaître mais de se soumettre à ceux qui subissent, rétorque-t-il avec un petit rictus. Tu viens d’où ?

Bien que le jeune adolescent ne comprenne pas les paroles de son interlocuteur, une soudaine joie prend part dans ses entrailles. Cet homme lui semble sympathique et peut, visiblement, lui apprendre beaucoup de chose sur ce qu’il s’apprête à découvrir. Mais cette sensation est partiellement, gâchée par cette demande louche.

Il a fugué de chez lui voilà quelques heures et maintenant on lui pose cette question … La ville entière était déjà au courant ? On avait déjà placardé son visage dans toutes les rues.

Non, c’est impossible. Il s’en serait rendu compte avant et ses parents ne se réveillent jamais avant sept heures et demie.

Et puis, sur la route, il avait réfléchi à tout ça. Il savait qu’il faisait le bon coup. Il savait que ses parents ne l’emmerderaient pas outre mesure. Il en était sûr.

Une certaine forme de paranoïa ne peut cependant s’empêcher de s’incruster dans un coin de son cerveau mais il s’efforce de ne pas le faire paraître.

— Pourquoi ? demande-t-il, avec plus de méfiance.

Isaac lève les sourcils au ciel, rigole un petit coup et après un silence gênant écarquille les yeux ou du moins, ce qu’il en reste.

— Ah mais tu ne déconnais pas quand tu disais que tu n’y connaissais rien. Au temps pour moi, j’espère que je ne t’ai pas offensé. Je vois rarement des petits nouveaux/nouvelles. En même temps, je ne t’avais jamais croisé dans le coin. Peu importe, je vais t’initier. Regarde les tarifs et dis-moi ce qui te correspond.

Le caissier lui montre un gros panneau situé à gauche du kiosque.

Au feutre noir, il y est inscrit en titre majuscule « TARIFS FOR MINORITY ».

Il y a plusieurs rangées de tarifs et cinq colonnes distinctes. La première concerne le genre de la personne, la seconde sa race, la troisième ses origines, la quatrième son orientation sexuelle et la dernière, le quartier où elle réside dans la ville. Arthur comprend rapidement que le barème de prix n’est pas le même pour tout le monde et plus le client est considéré comme privilégié et plus le coût de sa place est élevé. Il est interloqué mais ne connaissant pas trop le fonctionnement d’un cinéma et voyant que celui-ci a un côté unique, il accepte de jouer le jeu.

Il explique à Isaac d’où il vient, qu’il est du genre masculin et que ses deux parents n’ont pas d’origines particulières.

— Tu fais partie de la majorité mon pote, tu vas devoir rendre des comptes à tes prochains/prochaines, lui annonce Isaac en mimant une liasse de billets. Et pour ton orientation sexuelle ?

Arthur ne sait quoi dire.

Il avait bien fait sa première fois avec une femme mais il ne s’était jamais vraiment posé la question de savoir ce qui l’attirait le plus. Il pensait le découvrir tôt ou tard mais là, il était encore trop prématuré pour qu’il puisse donner une réponse.

Il en fait part à son vis-à-vis qui le classifie aussitôt dans la case « bi ».

— Je te prie de m’excuser. Tu es un sous minoritaire. Pour toi, ça fera dix euros cinquante.

Le jeune homme tend les billets et au moment où Isaac s’apprête à prendre l’argent, ce dernier lui attrape les mains, le regarde intensément et dans une fausse compassion, lui dit :

— Be brave, soldier.

Il se caresse le poing sur le cœur et se rassoit en reprenant son téléphone.

— Après les portes, c’est juste en face. Bon rétablissement.

Il ouvre soudainement les yeux puis, aussitôt, retourne sur la drogue que constitue son écran.

Arthur trouve qu’Isaac est follement original, mais ça ne le dérange pas. Il en est même drôle. Il s’avance vers les grandes portes du bâtiment, un sourire se formant sur son visage.

Le hall d’entrée est une grande salle noire où se font face deux escaliers en colimaçons de chaque côté. Ils donnent sur une mezzanine, mais l’accès est fermé au public. Une musique très rythmée se répercute dans l’enceinte et c’est sous cette mélodie que le jeune homme se dirige vers les deux battants grands ouverts qui le mènent dans un petit théâtre.

Il y trouve plusieurs rangées de sièges rouges. Il s’installe à la première qu’il croise. Des miettes et des saletés diverses jonchent le sol. Quelques friandises craquent sous ses chaussures.

Il s’assoit en silence, essayant de se mettre autant à l’aise que possible.

L’ambiance est spéciale. Arthur se sent à la fois oppressé et détendu. Le plafond est haut, l’écran blanc est immense et il n’y a pas âme qui vive. Il a l’impression étrange d’être épié. Pour autant, la musique a un effet rassurant sur lui.

Il tourne la tête plusieurs fois de gauche à droite comme s’il s’attendait à ce que l’on attaque violemment de dos. Paradoxalement, le siège est confortable et la pièce semble tout faire pour apporter sérénité aux aventuriers qui osent tenter l’expérience.

Isaac lui avait souhaité un bon rétablissement. S’il fallait le prendre au mot, il le prendrait aux mot. Bien que ce soit étrange.

Il attend là, pendant dix minutes environ. Ses émotions se confondent encore et toujours. Cet endroit joue avec sa naïveté. C’est une découverte sensorielle.

On lui tapote l’épaule.

Il sursaute violemment, ce qui fait éclater de rire le farceur.

Isaac s’assoit à ses côtés en sautant par-dessus la rangée. Il passe son bras derrière l’épaule d’Arthur, encore décontenancé par la frayeur soudaine qu’il vient de subir.

— Tu vas être tout seul. D’habitude, la salle est pleine à cette heure-là.

Il s’allume une cigarette mentholée et regarde le jeune débutant. Il lui tend le paquet sous le nez.

— Je t’en file une ?

Arthur refuse, dégoûté par la soudaine odeur qui se dégage de la fumée.

Les lumières s’éteignent soudainement. L’hôte croise alors ses jambes et lâche un soupir joyeux, comme s’il attendait ça depuis longtemps.

Le théâtre est plongé dans le noir. La mélodie rythmée s'arrête.

Une toute autre prend le dessus, plus douce, et une première image se projette sur la toile blanche.

Isaac se penche vers le jeune homme.

— B.O composée par Pharell O’Black. Un bijou de bonté.

— C’est normal que le cinéma soit ouvert de nuit ?

Isaac ne lui répond pas de suite, comme gêné par la soudaine question.

— Je t’en parlerai plus tard. Profite. Fais le pour les autres au moins.

— Oui. Pardon, c’est juste que … Je ne suis jamais allé au cinéma.

L’hôte lâche un petit son aigu sous l’étonnement de cette découverte et décroise ses membres avec nonchalance.

Un générique débute, le tout sur un paysage aride et désertique.

A chaque nom d’acteur à l’écran, le cinéphile jubile en faisant des gestes extravagants.

Il se penche de nouveau vers le jeune homme. Entre deux émanations de tabac, Arthur arrive à distinguer le musc de vanille sur la chemise de son correspondant.

— Ce plan a été filmé au Mexique. Jusque-là, rien de bien étonnant. Mais si tu te renseignes un minimum, tu apprends que c’est ici-même que, de temps en temps, les immigrés s’organisent pour passer la frontière américaine. Le réalisateur a voulu leur rendre hommage dès les premières minutes de son projet. La première fois que je l’ai su, j’ai versé une larme. Des braves ces types. Des braves.

Il effectue le même geste qu’il a fait plus tôt, lorsque Arthur venait de le payer.

Il est vrai que la scène présente sous les yeux du jeune homme est prenante. Ses poils se hérissent à chaque note et les paysages défilant sur la toile sont tous plus beaux les uns que les autres. Cela est sûrement dû au mélange de tout cela et il commence à se laisser prendre au jeu qu’on lui propose.

Plusieurs minutes passent et les personnages se découvrent au fil du temps. Au fur et à mesure du scénario, la curiosité d’Arthur se décuple. Il n’en perd pas une miette et s’investit comme il ne l’a jamais fait pour quoi que ce soit.

Le récit lui est parfaitement indiqué.

Une jeune femme mexicaine, Léandra, est régulièrement abusée par son mari, Ryan, qui est un américain machiste et violent. Elle vient de fuir de chez lui pour changer de vie et rencontre un jeune noir au cours de son périple, Nelson, qui a lui aussi subi les atrocités d’un homme blanc de l’autre côté de la frontière. Avec ce dernier, elle débute une relation très ambigüe ou il lui demande de prendre le dessus sur elle, sexuellement parlant.

Il apprend aussi, par le biais d’Isaac, tout le côté politique que livre le film, bien qu’il soit très facilement reconnaissable.

— C’est une histoire vraie ? demande Arthur après que le cinéphile lui a, pour la énième fois, expliqué l’intelligence d’une scène.

Cette dernière mettait en avant ledit Ryan qui jurait de s’en prendre « à la bite du black qui assouvit sa pétasse », le tout en faisant tourner un pistolet dans sa main. Le plan était un travelling avant qui s’approchait de plus en plus du visage de l’antagoniste, au point de ne filmer qu’une seule de ses pupilles, rouge de haine.

— Elle est fortement inspirée. Les hommes blancs sont ce qu’ils sont. Cette scène est symbolique, forte et démontre tout l’impact du patriarcat … Une triste réalité qui échappe encore à beaucoup de personne.

— L’impact du patriarcat ?

— Oui. Regarde les yeux du mâle. Ils sont assoiffés de pouvoir. Les minorités sont leurs jouets. C’est un monstre. Un dictateur qui ne compte pas laisser son trône derrière lui. C’est son monde, ses privilèges, sa justice. Ne me dis pas que tu ne t’es jamais rendu compte de ça ? Regarde les blancs hétéros cis genre une seule fois dans les yeux et tu y retrouves exactement la même haine dévorante que sur ces images. Ce film appuie là où ça fait du bien. Les victimes se sentent enfin comprises et écoutées. Merci Mexico. Il me sauve d’une existence affreuse.

Arthur le regarde quelques secondes et reprend son visionnage.

Il réfléchit à ce que vient de lui dévoiler Isaac. Il pense à son père mais ne parvient pas à le rattacher au propos du cinéphile.

— Ils sont vraiment tous comme ça ?

— Oui. C’est en eux. Certains le cachent juste mieux que d’autres.

— Pourtant, ça n’a pas l’air d’être ton cas.

— Je veux, je dois et je vais subir. Voilà ce qu’il faut que je fasse. Il n’y a que comme cela que je pourrais changer les choses. J’accepte que les minorités me passent dessus. C’est un juste retour. Et c’est pourquoi je passe ces films. Eux, soutiennent cette passation de pouvoir. Ils font même plus : ils la racontent. C’est bénéfique. Les femmes, les noirs, les non-blancs et tous les autres ont une pureté inégalée par rapport à la blancheur maladive des mâles occidentaux. De toute façon, quoi qu’il arrive je suis un privilégié. Alors je ferai tout pour m’effacer le plus possible et leur laisser la place nécessaire.

Le jeune homme se tait et entreprend de finir la séance sans lui accorder une quelconque réponse. Tout cela reste encore trop flou. Peut-être a-t-il besoin de prendre plus de recul sur la question. Après tout, il est là pour être initié. Et ça prend du temps une initiation.

C’est après deux heures d’images fortes et de scènes mémorables que le film prend fin. Les lumières se rallument doucement, laissant les deux hommes dans leurs pensées.

Arthur est troublé. L’histoire qu’il vient de voir l’a chamboulé. Non pas tant pour la symbolique évoquée par Isaac, mais pour le récit en lui-même. Il a aimé ces personnages et leurs ambitions. Il a compris leurs peurs et leurs désillusions. La beauté des plans, les émotions retranscrites par les acteurs et l’ambiance générale du produit fini a comme résonné en lui.

Son expérience a été viscérale. Ses entrailles ont réagi à sa place. Sa peau a frémi parfois. Ses sens se sont dévoilés encore un peu plus. C’était comme si toute la pièce l’avait endormi, sondé, le temps d’une séance.

Il avait presque senti la même chose lorsqu’il avait commencé le piano. Mais au vu de la morosité qui l’entourait à ce moment-là, il avait à peine ressenti des petits papillons dans le ventre.

Quand les lumières avaient repris le dessus dans le théâtre, il s’était senti comme nouveau. Différent. Changé.

Il perçoit maintenant une boule d’énergie dans tout son être. C’est une sensation étrange mais si apaisante, qu’il contrôle à peine le sourire qui se forme sur son visage.

Isaac se redresse en s’étirant. Il jette ensuite un coup d’œil à son jeune initié.

— Alors ? Une claque, hein ?

Arthur se lève à son tour, en regardant tous les noms ayant participé au projet. Son hôte s’allume de nouveau une cigarette et se dirige vers la sortie. Le jeune homme le suit, ne sachant pas trop quoi faire, ni quoi dire.

— Je vais déprogrammer le prochain film. Vu la foule qu’il y a, c’est une perte de temps. Qu’est-ce que tu fais, toi ?

Bonne question.

Il pourrait errer encore quelques heures et trouver un endroit où dormir au petit matin. Il est vrai que la faim commence à se frayer un chemin parmi toutes les belles émotions ressenties plus tôt, mais ça peut attendre. La ville de nuit, c’est quelque chose d’unique et tout doit être fermé à cette heure-là. Après ce qu’il vient de vivre, la beauté de la cité endormie lui apparaîtra sous ses meilleurs aspects.

Isaac monte les escaliers, tout en reprenant son petit appareil noir qu'il ne lâche visiblement jamais. De là-haut, il lui lance :

— Je t’aime bien. Tu es attentif. Ça te dirait de passer le reste de la matinée chez moi ? Il y a ma colocataire et une de ses amies, mais elles sont très intéressantes tu verras. Il faudra rester docile par contre. Ce sont des vraies minoritaires. Tu comprends ?

Arthur réfléchit. Et pourquoi pas ? Cet homme, certes bizarre au vocabulaire parfois étonnant, lui a fait découvrir un art surprenant. Et malgré ses quelques allusions décalées, il n'en est pas moins intéressant.

Il allait franchir un nouveau pas. Et s’il fallait se rendre docile le temps de quelques heures, alors il prendrait le risque.

Il attend qu’Isaac descende de son bureau et accepte sa proposition.

— Tu ne m'as pas répondu tout à l'heure. C'est normal que tu sois ouvert de nuit ?

Le cinéphile sort une clé de sa poche et se dirige vers l’entrée du bâtiment. Il jette un coup d’œil à l’extérieur et se dirige droit vers le kiosque. Là, il montre l’emplacement où était située plus tôt la pancarte des tarifs.

— Avant, on proposait ces tarifs de jours. Un jour, un flic blanc nous a demandé de l’enlever parce que c’est, d’après lui, illégal et, tu vas rire, discriminant. On ne s’est pas laissé faire et après plusieurs amendes, un autre blanc de poulet nous a menacés. Mon daron est monté au créneau mais ça n’a pas suffi. Alors, maintenant, on ouvre de jour avec leurs tarifs racistes et la nuit avec les nôtres. Aujourd’hui, tous les minoritaires de la ville viennent voir des films seulement ici et uniquement de nuit. Et comme par hasard, on n’a plus jamais eu de soucis. Les flics ne savent toujours pas ce qu’on mijote dans leur dos. Puis, ils ne passent jamais devant les cinémas la nuit puisqu’ils sont censés être fermés. Le tout c’est d’être discret. Dès que j’aperçois quelqu’un de suspect, je la planque directement. Je t’avoue que j’ai failli le faire en te voyant arriver. Mais j’ai vite senti que tu étais spécial. Je peux te faire confiance ?

— Vous êtes hors-la-loi ?

Isaac esquisse un petit sourire discret.

— Bien sûr que nous le sommes. La loi est ignoble. Mais qu’on soit bien d’accord, tu gardes ça pour toi ?

Les parents d’Arthur ont toujours appliqué la loi à la lettre près.

— Évidemment.

Isaac remercie le jeune garçon tandis que la lune continue à épouser les immeubles de la ville dans son coloriage si unique.

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