Chapitre 2
Des aboiements impromptus m’assaillirent et semblaient se rapprocher de ma personne à toute vitesse. Je sortis de ma torpeur en sursautant, manquant de me cogner contre la porte encore entre-ouverte. Maugréant quelques jurons, je baissais la tête en cherchant d’où provenaient ces jappements. Je connaissais déjà l’auteur de ce boucan. Devant mes yeux se trémoussait une petite chienne qui ne m’arrivait à peine qu’au niveau des mollets, noire aux poils bouclés, elle m'accueillait chaleureusement. Pendant quelques temps, elle avait prit l’habitude de me voir presque tout les jours entrer dans cette demeure et avait fini par réussir à m’arracher quelques caresses. Louna faisait partit des rares chiens devant lesquels je ne montrais aucun signe de peur.
Jeune, je n’avais aucune peur de ces canidés que l’on retrouve un peu partout en ville, en campagne ou n’importe où que l’on aille, mais depuis quelques années, une phobie commençait peu à peu à se développer en moi et presque tout les chiens réveillaient une peur qui me figeait sur place. Il y a quelque temps, je me rappelle avoir croiser, alors que je me promenais, deux chiens. Ils étaient beau, pas agressifs pour un sous. Mais à leur vue je ne pus m’empêcher de retenir quelques larmes et de marcher à reculons afin de revenir sur mes pas.
Sa petite frimousse, pleine de long poils, était relevée vers moi et me regardait avec des grands yeux. Je ne l'avais plus vue depuis mon départ pour l'hôpital psychiatrique mis à part quelques nouvelles que me transmettait Lucian quand je lui en demandais, et mon retour dans ce logis annonçait un changement radical de mode de vie. Pas un retour au passé, un véritable changement. Elle le sentait.
Alors que nous nous dirigions vers l’étage pour rejoindre sa chambre, elle nous accompagnait, joyeuse en sautant partout. Un véritable désastre ambulant. Je manquais de l’écraser de justesse à force de la voir traîner entre mes jambes. Foutu chien. Cependant je l’en remerciais, elle me permettait de maintenir mon attention présente et d’éviter de sombrer dans les limbes de ma conscience. Revenir dans ce logis réveillaient en moi de nombreux souvenirs qui ne demandaient qu’à accaparer toute mon attention. Derrière moi, j’entends Lucian pouffer de ma maladresse légendaire et il m’ouvrit la porte avant que je ne fasse quelque autre dégât. Génial… Peu importe où je vais, je ne pourrais jamais passer inaperçue.
Il faisait froid. Vêtue comme à mon habitude d’une simple robe légère comme pullulaient ma garde-robe, je me confondais dans le paysage, habillée en blanc avec quelques touches de gris clair sur ma veste. L’air monotone, simple et seule. L’atmosphère qui m’entourait reflétait parfaitement mon état d’esprit. J’allai dans quelques instant quitter ma famille pour je ne sais combien de temps. Peut-être même définitivement. Pas un son à la ronde, mon père marchant devant moi avait l’air grave, la tête baissée il semblait résigner. De devoir me quitter ? Ou avait-il seulement honte que sa fille soit diagnostiquée folle ? Je sais aujourd’hui que c’était la seconde option et même si cela fait mal, il en est sûrement mieux ainsi.
Une grande porte vitrée se dessina devant moi. Mon heure allait sonner et je pensais un instant à tout plaquer pour m’enfuir et ne jamais me retrouver là. Mais comment survivrai-je dans un hiver glacial ? Je pénétrais en grelottant dans le grand bâtiment en face de moi. Le temps ne semblait pas se calmer et une bourrasque à en faire frissonner même les pierres nous secoua. Rien n’échappait à la fureur de l’hiver. Pas même les bâtiments bien qu’ils soient un temps soit peu isolés. À l’intérieur, il faisait encore plus froid, l’air glacé confiné entre quatre murs.
Mon père, pressé, me poussait presque vers l’accueil, comme s’il voulait en finir au plus vite avec cette histoire et que celle-ci ne le regardait en rien. On aurait dit une corvée dont il se serait bien passé, comme s’il aurait préféré que je n’en n’arrive jamais à ce point et que je n’était qu’un élément extérieur à sa vie dont il aurait la charge. Arrivés devant une vieille dame en tailleur gris et aux cheveux coiffés en chignon, qui semblait avoir la cinquantaine, il expliqua la raison de mon arrivée dans l’établissement en n’omettant aucun des propos de mon ancienne psychologue, bien que ceux-ci fussent-ils crûs. Il remplit alors toute la paperasse nécessaire avant de s’en aller sans dire un seul mot ni même se retourner. Ce fut la dernière fois que je le vis.
Retrouvant mes vieilles habitudes, j’entrais dans la chambre située au fond du couloir. Une fois avoir franchis la porte que me tenait allègrement mon compagnon, je fut transportée dans un autre monde. Enfin, le même, mais l’ambiance contrastait tellement avec le reste de la maison que l’on dirait deux logis différents. Comme si cette chambre à elle seule représentait tout un monde et se suffisait à elle-même. Je reconnaissais chacun des mobiliers présents ainsi que chaque détails. Rien n’avait été rajouté ou enlever. Le lit, toujours à l’identique, était pousser contre le mur, l’armoire grande ouverte, Le fauteuil, toujours à sa place, sans compter les meubles portant livres et jeux toujours aux même endroits.
Cependant, l’atmosphère différait. Tout était identique à quand je suis venue la dernière fois, hormis peut-être les mégots qui s’amassaient sur le bureau près de la fenêtre ou la couette qui témoignais de son usage. Mais le reste, de la disposition des affaires éparpillées sur le sol de la chambre au déplacement des draps, trace de mon dernier passage, rien n’avait bouger. Comme si le temps c’était figé depuis mon départ.
Lentement, je parcourais la pièce du regard, me remémorant cet instant. Mon père m’avait appelée, et contrairement à ce qui était prévu, il vint me chercher sans me préciser la raison. Enfin, il m’avait dis de ne pas m’inquiéter et que tout irait mieux avant de démarrer en trombe sur une route que je ne connaissais pas encore.
La tête baissée, je suivis alors les cheveux grisonnants devant moi sans dire un mot. La directrice de l’établissement me guidait à travers un dédale de couloirs, me présentant chaque pièce en m’expliquant les principales règles.
Règle n°1 : Il est strictement interdit pour chacun des résidents de sortir de l’établissement. Si envie de sortir le parc intérieur est prévu à cet effet. Toutefois il sera possible d’obtenir une autorisation spéciale de la part de la directrice si la raison est valable.
Règle n°2 : Interdiction formelle d’entrer en contact avec l’extérieur sauf sous autorisation spéciale de la directrice ou de son adjointe. De ce fait tout appareil électronique seras confisqué jusqu’à une potentielle sortie de l’établissement.
Règle n°3 : Tout appareil électronique concernant les jeux ou autre divertissement seront également confisqué en raison du dérangement que cela pourrait occasionne. Il est également interdit de faire quelconque bruit pouvant nuire au calme de l’établissement entre 20h et 8h.
Règle n°4 : Tout les résidents doivent être présent dans le self entre 12h et 14h ainsi que 18h et 20h afin d’être pris en charge par le personnel. Il en est de même pour les horaire de douche le matin de 8h à 10h.
Règle n°5 : Sont interdites toutes bagarre ou autre altération de ce type entre les résidents entre eux, les résidents et le personnel, ou le personnel lui même. En cas de problème se référer au personnel de l’établissement ou à ses dirigeants.
Règle n°6 :Toute résident ne respectant pas ces règles se verra attribuer soit des avertissements soit une exclusion définitive de l’établissement et sera transférer dans la ville la plus proche avec la même structure mais avec des règles plus strictes.
Elle se retourna vers moi pour me demander si j’avais tout bien compris à l’instant même où j’envoyais un message à Lucian. Devant son regard inquisiteur et sa main tendue, j’hésitais un instant. Finalement je décidais d’obéir à ma supérieur sans faire d’histoire, j’éteins mon téléphone et lui tendis sans avoir pu regarder si j’avais reçu une réponse. Morose je me renfermais encore plus sur moi même, et l’écoutant d’une oreille distraite, je me remis à la suivre.
Je fus conduit dans une chambre qui fut la mienne durant presque tout mon séjour. Petite, simple avec pour seul mobilier un matelas gris a même le sol ainsi qu’un bureau et une chaise. Les douches et la cuisine sont communes pour tous. Lentement, je pénétrais à l’intérieur sans écouter les recommandation de la directrice. J’en fis rapidement le tour, puis la regardai d’un œil morne avant d’écouter ces derniers mots.
« … Et donc ce sera ta chambre jusqu’à ce que tu soit transférée. Bon séjour parmi nous. »
Je la regardais partir. Son charabia ne m’avait pas intéresser pour un sous et j’aurais certainement jamais besoin de m’y référer. Avec un soupir, je fermais la porte avant d’aller m’affaler sur mon lit. Je n’avais encore ni couette ni coussin. On devrait venir me les apporter, à moins qu’il faille que j’aille les chercher, mais qu’importe. Ça ne me dérange pas tant que ça au final, c’est pas comme si ça allait m’empêcher de vire.
Je me remémorais ce qui m’avait emmenée là. Pour comprendre, il faut remonter dans le passé, dans ma jeunesse. Pas l’enfance, ni l’adolescence, mais le passage entre les deux, quand l’on commence à se construire en gardant tout de même une certaine innocence.
Ça a commencer avec mes premières années de collège, habituée à la solitude depuis des années et au petit comité de la primaire, être transféré dans un établissement ou le nombre d’élève était multiplié par dix m’avait profondément marquée. De nature associable, je m’étais naturellement renfermée un peu plus, refusant tout ce qui pouvait provenir de l’extérieur. J’avais pris l’habitude de rester dans mon coin, seule avec mes pensées. Il est vrai que j’aurai aimer avoir quelques amies a qui parler, mais j’en étais tout bonnement incapable.
Je voulais une amie. Ou un ami. Pouvoir discuter avec d’autres gens, être capable de m’ouvrir, d’aller vers eux, mais quelque chose m’en empêchait . Je m’en empêchais. Petit à petit, j’avais pris l’habitude de jouer des rôles avec moi même, de me parler véritablement en abordant plusieurs point de vues et tenant mes personnages. Puis un jour ce fut mon premier trou noir. Je ne me rappelle évidemment de rien, à l’époque je crûs que je m’étais simplement assoupie en cours mais avec le recul, je compris que c’était loin d’être le cas.
Petit à petit ces pertes de consciences se firent de plus en plus régulière et souvent accompagnée d’hallucinations auditives ou visuelles, parfois j’entendais quelqu’un m’appeler, d’autre fois c’était une silhouette qui me faisait signe. Choses que je gardais pour moi le plus longtemps possible, mais je ne les contrôle pas, et d’après les dire de mon entourage je changeais rapidement de comportement, précisément à ces moments là. Cependant, au fil du temps, le pot au roses fut découvert et mes parents me conduisirent chez un psychologue.
Écoutant toute mon histoire avec soin et attention, il su se montrer compréhensif. Les mois se succédèrent, il avait toujours avec lui un psychiatre qui prenait également des notes avec qui il travaillait en duo. Ils m’avaient demander de tenir un carnet où je relatais tout ce qui m’arrivait pour qu’ils puissent le consulter et en tirer partit pour avoir le meilleur diagnostique possible. Enfin, le verdict tomba. Schizophrène. La schizophrénie simple aussi appelée la psychose blanche pour être exacte. Cela expliquait ma prédisposition au renfermement et autres nombreuses petites choses telles que mes comportements étranges ou l’évolution de ma pathologie.
Cependant mes troubles de mémoires ne rentraient pas en compte et il leur fallu chercher une autre explication, et ils finirent par conclure que je couplais à ma schizophrénie un dédoublement de la personnalité. La première qui s’est développée, si l’on en croit les différents témoignages qu’ils ont pu assemblés, serait celui d’une dépressive qui perd tout contact avec l’extérieur conduisant parfois à quelques tentatives de suicide mais rien de très alarmant non plus qui pourrait m’empêcher de garder ma vie quotidienne. Cependant mon cas empirait et je fus finalement contrainte de rejoindre un établissement spécialisé.
« Liz… Parles moi »
J’étais totalement perdue dans mes pensées. Lucian attendait patiemment que j’émerge. Il comprenait que mon retours ici ravivait moult souvenirs et que ma tendance à l’introversion ne m’aidait pas vraiment à garder les pieds sur terre. Je levais les yeux vers lui, reprenant contact avec la réalité et le pris dans mes bras. Il m’avait manqué.
Je repensais à tout les moments qu’on avait vécus ensembles, à tout ces moments merveilleux, sortant de l’ordinaire. Des moments que l’ont pourrait considérer comme tellement clichés qu’ils sont irréalisables. Ces clichés, on en a réalisé instinctivement, sans même y penser une seule seconde. Parfois ont pouvait faire de simple choses banales de la vie de tout les jours, d’autres fois ça relevait presque du surnaturel. Mais pour rien au monde je n’oublierais ces moments magiques.
Je m’écartais lentement, le regardais et lentement une larme de joie coula le long de ma joue. Tout allait enfin redevenir comme avant.
Enfin, c’est ce que je pensais.
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