La faucheuse doit des explications à son supérieur.
— Dalia Curson, dans mon bureau, immédiatement !
La faucheuse sentit rapidement ses os trembler. Elle savait que ce n'était jamais bon de se faire appeler par le grand patron, et encore moins d'une façon aussi sèche. Se doutant parfaitement que sa place au sein du royaume des morts était en jeu, elle ne mit que quelques secondes pour rejoindre le bureau.
—Je suis là.
— Entre et pose-toi sur le fauteuil.
Elle obéit en silence, intimidée par le démon en face d'elle.
Le regard jaune de son patron la fixait, comme s'il allait aspirer son âme par les yeux. Il se tenait droit comme un piquet,les mains liées, indiquant son degré de sérieux et de colère. Quiconque à la place de Dalia aurait préféré fondre sur place, plutôt que de lui faire face.
— J'attends des explications sur ton comportement irresponsable que tu as eu, plusieurs fois ces derniers temps.
— Je sais que je n'ai pas été à la hauteur de mes responsabilités, mais je vais me rattraper.
—Je crois que tu ne comprends pas l'impact négatif que tes agissements ont eu ! Tu as bouleversé l'équilibre entre le monde des morts et celui des vivants ! Tu es la mort, Dalia, pas la stupide et irréfléchie gamine que tu étais avant de mourir. Si Azazel t'as donné cette chance d'immortalité, ce n'est pas pour que tu abandonnes ton rôle à chaque fois que quelque chose te bouscule.
— Je suis désolée, Lucifer ! Je t'ai dit que j'allais réparer mes bêtises ! Tu veux quoi de plus ?
Lucifer se leva brutalement, faisant trembler sa table et troublant le squelette.
— Respecte-moi, je suis ton supérieur ! Je te préviens, c'est ta dernière chance. Au prochain écart, tu est terminée.
La menace du démon résonna profondément en Dalia, elle ne voulait pas perdre le privilège qu'elle avait. Elle savait parfaitement que si elle ne réglait pas le problème, elle perdrait tout, son travail et sa vie. Car oui, un être immortel pouvait quand même mourir. Et Lucifer étant le plus puissant de tous les êtres surnaturels, il avait tous les droits et tous les pouvoirs, il n'hésiterait pas à lui prendre sa vie.
— Avoir sauvé, puis vengé Roger est une chose. Mais devenir faible à cause du reste de part humaine en toi, je ne suis pas d'accord. Tu es la faucheuse, tu ne peux pas te permettre les inattentions, les sentiments et les pensées sombres. Tu as une chance inouïe d'avoir eu une deuxième vie, aussi importante qui plus est, mais ce n'est pas pour t'amuser ou t'apitoyer, c'est pour débarrasser le monde des pourritures ! Alors, aucune perte de temps n'est admise.
— Je n'ai pas perdu de temps, Lucifer. Même en étant loin du royaume, j'ai continué de faire mon boulot en tuant.
Lucifer garda le silence quelques secondes avant de hausser le ton, au bord de l'explosion.
— Oui bien sûr que tu as tué ! Tu as même tué un innocent ! Tu n'as pas l'air d'être absorbée par ta connerie !
La faucheuse se leva à son tour, outrée par les paroles de son patron.
— Comment ça, j'ai tué un innocent ? !
— Jean-Luc Riboulet, maçon, 45 ans, de nationalité française. Grand, mince, yeux et cheveux bruns. Assassiné par strangulation alors qu'il jouait au tennis avec un ami, parfaitement innocent avec un casier judiciaire vide. Tu t'en souviens ?
Dalia sentit son corps perdre en énergie, elle se laissa tomber sur son fauteuil.
— Mais je ne comprends pas, sur mon carnet c'était bien noté.
— Sur ton carnet c'était écrit Jean-Luc Réboulais ! Homme âgé de 51 ans, même physique, ouvrier en usine, ayant kidnappé un enfant avant de le tuer, avec un casier judiciaire de deux pages. Tu vois la différence ?
Dalia étouffa un cri d'horreur !
— Oh !
— Il va falloir que tu te concentres et que tu apprennes à lire attentivement. Ta vie ne tient plus qu'à un fil. Et pour te punir de cette erreur incorrigible, je t'enlève immédiatement tes pouvoirs. Si tu as besoin de te battre avec quelqu'un, tu as plutôt intérêt d'assurer niveau combat.
— Tu ne peux pas faire ça !
— J'ai tous les droits et pouvoirs. Tu as tué un innocent ! Je ne vais pas te laisser repartir comme si tout était normal ! Et bien sûr, ce lien si particulier avec Roger disparaît aussi, sinon ce n'est pas juste.
La faucheuse était révoltée. Elle avait fauté et devait être punie, mais sans ses pouvoirs, elle n'avait guère d'influence et de moyen de faire son travail correctement.
— Ta décision est disproportionnée Lucifer !
— Sois satisfaite que j'épargne Roger. Parce que ça me démangeait terriblement de le rendre de nouveau mortel, mais il n'a rien fait de mal dans cette histoire. Alors au lieu de te placer en victime, assume tes conneries et fait en sorte de rétablir les mondes.
— Mais..
— Mais rien du tout. Sors de mon bureau et n'y remets pas les pieds tant que tout n'est pas redevenu normal !
Dalia fulminait. Elle sortit du bureau telle une furie. Voulant étriper son patron, il fallait qu'elle aille se défouler, en tuant.
Elle rejoignit Roger.
— Prends tes affaires, on va chez les humains.
— Dalia..
— Discute pas !
Roger s'exécuta en silence, il ne voulait pas plus l'énerver.
Sur le chemin jusqu'au monde des vivants, le primate osa enfin parler.
— Dalia, je voulais juste te dire que j'ai pu suivre une bonne partie de ta discussion avec le grand patron et..
— Ne dis plus rien, s'il te plaît. Aide-moi à réparer mes bêtises et n'en parlons plus.
— Bien.
Les deux amis arrivèrent par un buisson, dans un parc fleuri. Dalia ne pouvant plus se transformer en humain, Roger devait attirer la prochaine victime vers le buisson, pour que la faucheuse fasse ce qu'elle savait le mieux faire. Tuer.
Le primate se dirigea vers un homme debout devant la fontaine.
— Monsieur Jean-Luc Réboulais ?
L'homme se retourna, intrigué, mais pas surpris de voir un singe lui parler.
— Oui, c'est moi. Qui me demande ?
— Une jolie femme plus loin a flashé sur vous, et je vous avoue qu'elle est vraiment appétissante ! Elle est un peu plus loin accompagnée d'un petit garçon.
Le regard du cinquantenaire brilla d'une lueur à l'évocation de l'enfant. Jean-Luc suivit le petit singe, d'un pas pressé.
— Vous aimez les enfants monsieur Jean-Luc ?
— Oh oui ! Je les adore !
Le ouistiti se retint de faire un commentaire sarcastique, se contentant de lui sourire.
À hauteur du buisson, et sans crier gare, la faucheuse tira l'humain jusqu'à elle, à l'intérieur de la broussaille, lui tordit la nuque brutalement et après avoir entendu le craquement significatif de la mort, jeta le corps au sol comme un vulgaire objet.
— Un criminel en moins. Au suivant, j'ai besoin d'évacuer ma colère contre ce salopard de Lucifer !
— Calme-toi, Dalia. Tu sais qu'il peut te voir et t'entendre à tout moment.
Le squelette retint une énième insulte, ne voulant pas aggraver son cas.
Les deux êtres immortels s'éclipsèrent de nouveau par le portail dans le buisson, avant de tuer des humains criminels en grand nombre.
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