Tout le personnel du Quartier Général était en mouvement : la nature exceptionnellement grave de la situation l'exigeait. Ainsi, les défenses du fort avaient été renforcées pour faire face à n'importe quelle menace. Cependant, le danger ne se limitait pas qu'à une possible attaque contre la forteresse. Les armées nationalistes à l'extérieur pouvaient également se retrouver démunies en cas d'attaque ennemie particulièrement efficace, mais le plus dévastateur demeurait encore une vague de panique généralisée qui menacerait alors sérieusement l'intégrité de l'État.

Voilà pourquoi, en plus des nombreux gardes sur le long chemin de ronde, le personnel administratif du Quartier Général n'avait pas connu de répit depuis la prise de fonctions du nouveau chef de l'État par intérim. Pour éviter de subir une déroute fatale, il était impératif de garder le contact avec les armées par n'importe quel moyen : téléphone, télégramme, radio, messager... Le moindre incident devait être résolu dans les minutes qui suivaient.

La salle d'opérations était au sommet de son activité, chacun appliqué à sa tâche et passant le relais comme un mécanisme d'horloge. L'endroit était divisé en deux pour bien distinguer les postes qui recevaient les messages de ceux qui les envoyaient. Entre les deux, l'espace commençait à manquer en raison du nombre de messages échangés qui allaient et venaient de cette salle au reste du Quartier Général.

Au milieu de cette agitation, se trouvait l'imposant Général à la peau sombre entouré de quelques hommes de confiance qui supervisaient de temps en temps les communications. Il avait ainsi décrété que les trois objectifs prioritaires étaient de : retrouver le Généralissime, organiser la défense de l'État et localiser l'Incendiaire. Puisque le contact avec les armées ne montrait pas de défaillance majeure, la défense semblait solide. Cependant, rien ne pouvait garantir la réalité de la chose.

Ce que l'homme auprès du commandant en chef récemment promu ne semblait pas comprendre. Il avait les traits doux d'un félin. Un sourire naturel et des yeux d'enfant ornaient son visage d'une innocente bienveillance. Même le bouc qu'il portait adoucissait son image, sans doute parce qu'il avait la même couleur grisée que ses cheveux. De constitution forte, l'homme l'était moins que son supérieur dont il partageait un teint de la peau semblable. C'était entre eux que la discussion avançait le plus :

« Devrions-nous vraiment avoir aussi peur de lui ?

— Devinez pourquoi son surnom est Incendiaire. Imaginez ce qu'il pourrait faire ici, répondit le commandant en chef.

— Vous pensez qu'il mettra la ville à feu et à sang ?

— Si vous croyez que je surestime ce microbe, vous vous trompez. Cela dit, c'est un homme intelligent. Il sait où sont ses intérêts. »

Sur ces mots, le chef de l'État s'éclipsa de la discussion et se mit à réfléchir à la situation dans cette salle bruyante où le destin du pays se jouait chaque jour depuis la fondation du Quartier Général. Les choses reviendraient certainement à la normale une fois la semaine passée. Mais que le temps semblait soudainement long à cet homme pour qui l'absence du Généralissime était plus un handicap qu'une source de liberté.

Plus tard, un lieutenant lui remit un télégramme avant de disparaître aussitôt. Ses mains se crispèrent et froissèrent le communiqué tandis qu'il contenait sa colère pour pouvoir s'exprimer correctement : « Rassemblez l'État-Major. Ce qu'il en reste, tout du moins... » Puis, repensant au contenu du télégramme : « Retrouvez-moi l'Incendiaire ! Vivant ! »