Tout au Nord du pays, une petite main aux tendons rapiécés serre ma manche et l’allée de briques et de trac se dessine jusqu’au lointain - semble mourir au cœur du brouillard. Un marin d’eau douce prend le large quelque part dans les étages et contre ma hanche ballotte le sac de cuir de sa belle aux rides creusées, que je soutiens comme on pourrait imaginer les docks le faire. Les murs bruns-rouges s’élèvent comme autant de Gargantua compressés les uns aux autres au-dessus de nos têtes et masquent jusqu’à la grisaille du ciel.

J’ai de Lille le mal de terre, car tout au Nord du pays, je guide un tricot vert entre les pavés. Les maux abondent, sa discussion est hachée menue par l’inquiétude et la vieillesse du corps. Il fut un temps où les péniches avançaient à pieds de chevaux, et ce jour que je m’avance le pas clapotant contre l’univers, je suis une humaine de trait, un déambulateur pour bateliers. Puis, voilà que mon vieux nous dépasse, longeant les murs en courant, et ne reste de lui que cette silhouette aux bottines délassées qui se fond petit à petit aux cendres de la cour intérieure dépouillée de vie.

Hier, j’ai rejoint le soviet de famille, par câble relayé. Le vent transperce l’os, mais on s’élève comme on peut contre l’hiver. J’étreins les mains, je tiens les miens. On se sent mieux avec quelques feuilles de papier, j’en demande aux petites guêpes qui hantent les couloirs et on me fourre la tête en abondance. Ça apaise le soviet. Mais, tout au Nord du pays, des petits yeux binoclés se plissent, se laissent glisser, et j’aurais grande peine de ne pas écouter une fois encore l’Algérie des vieux bérets s’ils venaient un jour à se fermer.

pour le vieux de mon vieux, qui n'a jamais connu pareille tempête.