08. Dur dur d'être solo

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Livia

Je réceptionne avec un sourire jusqu’aux oreilles la petite tornade qui sort en trombe et me saute dessus à l’appel de son nom. Je le serre contre moi. en récupérant son cartable et souhaite une bonne fin de journée à la maîtresse avant de sortir de la cour.

— Tu veux aller au parc avant de rentrer ?

— Non, je veux goûter.

— Bien mon petit monsieur, alors on rentre à la maison ! lui dis-je en le posant au sol.

Je lui prends la main et l’entraîne avec moi sur le trottoir. Qu’est-ce que j’adore aller le chercher à l’école. Il est trop mignon avec son petit short en jean et son tee-shirt marin. Je suis une maman totalement gaga.

— Est-ce que je pourrai aller jouer avec Marianne, Tiphaine et Cécile ?

— Pas ce soir, non. Marianne et Tiphaine ont leur cours de danse, elles n’auront pas le temps.

— Mais je veux jouer avec elles, bougonne-t-il en tentant de me lâcher la main. Et je veux pas marcher, Maman.

Je jette un regard au petit monstre qui semble à la fois fatigué et en forme, si j’en crois son humeur, et me demande si le fait de ne pas être là aussi souvent à la maison que lorsque je travaillais à l’agence est une bonne idée. Au shop, je bosse soit le matin et, dans ce cas, je peux aller le chercher à l’école, soit l’après-midi, ce qui me permet de l’emmener. Mon ancien boulot me permettait d’être présente à chacun de ses réveils, et je le récupérais chez ma mère ou mon frère après le goûter. J’ai l’impression d’être une mauvaise mère, surtout qu’il me dit souvent que je lui ai manqué, qu’il me demande davantage quand est-ce qu’il me voit… C’est nul, surtout que je ne suis qu’à quelques mètres de lui, mais je n’ai jamais le temps de passer le voir…

— Tu es grand, Mathis, tu peux marcher.

— Mais je suis fatigué, et je veux un câlin !

Je soupire et le récupère dans mes bras en me disant que la soirée risque d’être compliquée. Le trajet jusqu’à la maison est rapide, mais avec un gosse dans les bras, j’ai l’impression de faire mon sport de la semaine. Quand nous arrivons dans la cour intérieure de l’immeuble, mon frangin et ma belle-sœur sont installés sur le salon de jardin avec les petits pour le goûter. Je laisse donc mon petit kangourou les rejoindre et monte rapidement lui chercher de quoi manger.

Mon téléphone sonne lorsque je dépose son verre de jus de fruits devant lui.

— Doucement, mon Cœur, sinon tu vas t’en mettre partout.

— Je sais, Maman, je suis un grand, moi.

Je lève les yeux au ciel en me demandant si j’ai hâte qu’il soit vraiment grand ou si je veux qu’il reste tout petit, et m’éloigne pour décrocher.

— Allo ?

— Bonjour, Livia.

Oh… Je n’ai apparemment pas été assez rapide au goût de Monsieur, et je ne peux m’empêcher de sourire en constatant qu’il semble vraiment avoir envie de ce verre.

— Bonjour… A qui ai-je l’honneur ?

— Ah, c’est bien vous, ma chère Livia ! Il semblerait que vous ayez égaré ma carte, je me suis donc permis de partir à votre recherche, répond-il, un sourire dans sa voix. J’espère que vous vous souvenez de moi et que vous êtes toujours partante pour prendre un verre avec un propriétaire d’une galerie d’art dont il manque la plus belle pièce quand vous n’y êtes pas.

Je me tourne vers la table où Mathis semble contrarié et chouine. Magnifique, vraiment, cette soirée va être magique. Ma belle-sœur me lance un regard contrit et se lève pour s’occuper de lui, me laissant un peu de temps pour répondre.

— Eh bien, quelle surprise de vous entendre, Sébastien. Je dois avouer que j’ai été très occupée ces derniers jours, et que vous ne semblez pas très patient, dis-je dans un sourire. Je… je suis toujours partante pour un verre, oui.

— Ah oui, mais quand on vous a rencontrée, comment être patient ! J’espère que vous excuserez mon côté un peu cavalier, mais j’aime bien aller rapidement au fond des choses. Et pour le verre, je peux passer vous chercher à dix-huit heures trente, si c’est possible pour vous.

— Ce soir ? Heu… Je…

Je bafouille sans lâcher mon fils du regard. Il a du jus de fruits sur le tee-shirt et réclame son doudou comme s’il avait le plus gros chagrin du monde. Véronique le prend dans ses bras alors qu’il se met à pleurer à chaudes larmes. Sortir ce soir ? Ça me ferait tellement de bien…

— Est-ce que je vous ai dit que j’avais un petit garçon, Sébastien ? continué-je alors qu’il attendait patiemment à l’autre bout du fil.

— Ah non, je ne savais pas, Livia. Cela risque donc d’être compliqué pour vous ce soir, si j’en crois les bruits que j’entends derrière vous, non ?

— Effectivement… Disons qu’il me faut prévoir une sortie quelques jours à l’avance pour pouvoir m’organiser. Mais… si ce verre vous tente encore malgré tout, on peut faire ça vendredi soir, éventuellement.

— Cela ne me dérange pas du tout. Il est tout le temps avec vous, ce petit, ou bien le papa le prend de temps en temps et vous libère ? Et je regarde tout de suite pour vendredi soir à quelle heure je peux me libérer.

— Disons que je ne peux pas compter sur le papa pour quoi que ce soit, soupiré-je. Ne quittez pas, je vous reprends tout de suite mais j’ai une explosion nucléaire à éviter, là.

Je dépose le téléphone sur le rebord d’un pot de fleurs et rejoins rapidement la table pour prendre mon fils dans mes bras. Bye bye beau chemisier blanc, je me retrouve tachée de jus de fruits, sans parler du chocolat que Mathis avait autour de la bouche. Magnifique.

— Calme-toi, petit kangourou, tout va bien, soufflé-je à son oreille en tentant de l’apaiser.

Oui, ce n’est assurément pas ce soir que je pourrai le confier à quelqu’un, il va être ingérable, ne pas vouloir se coucher alors qu’il est crevé, et chouiner jusqu’à s’endormir. Les enfants fatigués, c’est l’horreur, non ?

Mathis hoquette pendant un petit moment son doudou serré contre lui et son petit nez dans mon cou, si bien que j’en ai presque oublié mon téléphone, que je récupère finalement.

— Sébastien ? Vous êtes encore là, grimacé-je en voyant qu’il n’a pas raccroché. Je suis désolée, vraiment.

— Oui, oui, je suis là. Je ne vais nulle part tant que je n’ai pas une date où je vais pouvoir vous voir. Vendredi soir, je peux, mais seulement à partir de vingt heures. Un petit restau, ça vous irait ? Dites-moi si je demande trop, je m’adapterai.

— On dit vendredi soir et un dîner. Ce sera avec plaisir. Je vous reconfirme au plus vite, dès que j’ai trouvé une pauvre nounou pour le petit monstre.

— Parfait. A vendredi alors. J’ai vraiment hâte de passer un peu de temps avec vous. Et au pire, vous savez que vous pouvez emmener votre fils. On n’ira juste pas dans le même genre d’établissement. Bon courage !

— Merci, ris-je, je crois que je vais en avoir besoin. Bonne fin de journée à vous, Sébastien. A vendredi.

Je raccroche en me demandant si abandonner mon fils une soirée pour aller à un rencard est vraiment une bonne idée. Où pourrais-je trouver le temps d’entretenir une potentielle relation avec un homme alors que j’ai à peine celui de m’occuper de mon bébé comme je le voudrais ?

Au moins, Mathis s’est calmé et je regagne la table sans le lâcher.

— Merci d’avoir géré, Véro, et désolée, il est fatigué.

— Oh, ne t’inquiète pas, c’est normal. C’est bien de voir que tu prends un peu de temps pour toi.

— Du temps, elle aurait pu en avoir plein si elle n’avait pas perdu bêtement son travail, la coupe Louis, mon frère toujours aussi agréable. Maintenant, il faut assumer.

Je soupire et ne relève pas. Du moins, j’essaie, parce que ça m’agace. J’ai l’impression d’avoir les parents sous le nez alors qu’il sont à côté, au Shop.

— Pardon, Louis, éclaire-moi à propos d’une chose. Est-ce qu’il t'est déjà arrivé une fois de devoir quitter ton travail pour aller chercher l’une de tes filles, malade, à l’école ? Non, bien sûr que non puisque ta femme gère tout ce qui touche aux enfants. Tu vois une Véro à côté de moi ? Je veux dire… hormis la tienne ?

— Non, mais peut-être que tu devrais penser à te caser avec un mec et arrêter de bosser pour bien t’occuper de Mathis. Tu vois comme il est ? Toujours à chouiner. Tu le gâtes trop quand tu as du temps pour lui parce que tu t’en veux de l’abandonner autant. Ce n’est pas bon pour lui, ça.

— Bien sûr, Papa travaille et Maman fait la cuisine ? Pu… Bon sang, vous êtes vraiment nés au mauvais siècle, dans cette famille, bougonné-je en me levant. Je ne t’ai pas demandé de conseils sur la façon d’éduquer mon fils, alors garde tes jugements à la con pour toi, merci. Un enfant de trois ans, ça chouine, mais si t’étais plus souvent à la maison plutôt qu’à ton boulot ou avec tes potes, tu le saurais. Tu vois, moi aussi je pourrais t’en dire, des choses, sur ton rôle de père.

— Tu sais bien qu’en étant policier, je n’ai pas forcément le temps de tout faire à la maison, voyons. J’ai un vrai métier, moi, tu ne peux pas me le reprocher. Pour toi, par contre, on dirait un peu que tu gâches ta vie et que tu veux entrer dans tous les clichés de la mère qui a du mal à assumer seule son enfant.

Je fulmine. Vive le soutien familial, c’est formidable. Dire que je me disais qu’avec trois frères dont deux dans les parages, et mes parents, je ne me sentirais pas seule et j’aurais des épaules sur qui compter. Tu parles…

— Arrête un peu de l’embêter, Louis, elle fait ce qu’elle peut, intervient Véro qui constate que je suis en train de monter dans les tours. Et on va le garder, ton Mathis, vendredi. En espérant que ce rendez-vous soit avec un mec bien qui pourra s’occuper de toi. J’espère qu’il a les moyens et que tu pourras ainsi prendre tout le temps que tu veux avec le petit à la maison. Il en a besoin, tu sais.

Forcément, mariée à mon frère, Véronique ne peut qu’être dans le même état d’esprit que lui. Papa au boulot, Maman à la maison. Je n’ai rien contre les femmes au foyer, j’admire même leur dévotion à leur famille, mais tous les deux sont chiants à croire que leur façon de faire est forcément la bonne.

— Je n’ai pas besoin d’un homme pour m’entretenir. Et je n’ai aucune envie de rester à la maison. Chacun son truc, ce n’est pas le mien. Les enfants n’ont pas besoin d’un parent constamment avec eux, ils ont besoin de parents épanouis pour eux-mêmes pouvoir l’être. J’aime bosser. Je vous remercie pour la proposition pour vendredi, mais je vais me débrouiller autrement. Je ne voudrais surtout pas que vous ayez à pâtir de la mauvaise éducation que je donne à mon fils. Sur ce, bonne soirée.

Je récupère mon barda comme je peux et me dépêche de monter jusqu’au deuxième. Au moins, ici, personne pour m’emmerder ou me juger. C’est mon petit chez-moi et mon frère n’y vient jamais. Pas même pour me filer un coup de main pour un problème de plomberie ou d’électricité. C’est bien ça, être une maman solo, non ? Apprendre à se débrouiller seule et faire avec. Alors, c’est ce que je fais depuis plus de trois ans, et je ne pense pas m’en sortir trop mal. Mathis n’a pas l’air malheureux, non plus. C’est un gamin épanoui, curieux et souriant. C’est tout ce qu’il me faut.

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