23. L’ami du petit déjeuner
Sacha
Je sors de la douche dans le même état que j’y suis entré : excité et un peu gêné de l’être alors que je suis invité à passer la nuit chez une femme magnifique. J’enfile à nouveau mon boxer et ramasse mes affaires avant de sortir dans le salon où je tombe nez à nez avec Livia qui est en train de ramener des draps dans la pièce qui fait face à la douche. Elle vient me percuter et je suis obligé de la retenir pour ne pas qu’elle trébuche. La sentir ainsi contre mon torse nu n’aide en rien mon état d’excitation.
— Oh excuse-moi, je ne t’ai pas vue venir. Ça va, tu ne t’es pas fait mal ? demandé-je en m’éloignant un peu après avoir récupéré de ses mains le linge de lit. Je suppose que c’est pour moi, ça ?
— Oui, oui, ça va. Tu fuis toujours les salles de bain comme ça ?
— Fuir ? Euh non… Je ne veux pas fuir… Il faudrait que je m’habille pour ça.
Je ne sais pas ce que je dis, je crois que je comprends à moitié ce qu’elle me raconte. Parce que oui, en réalité, j’ai envie de fuir avant de faire une bêtise, mais ce n’est pas ce qu’elle souhaite, si ? Je dois avoir l’air complètement paumé car elle éclate de rire en me voyant.
— Ça va ? Je vais te filer un coup de main pour faire le lit… C’est plutôt étriqué, là-dedans… Pas très pratique. Ça ira plus vite à deux. Et je plaisantais, hein ? C’est juste que tu es sorti sans aucune hésitation, je ne t’ai pas vu arriver.
— Oui, je ne suis juste plus habitué à être à proximité d’une jolie femme, ça me fait perdre tous mes moyens, désolé. Je peux faire mon lit tout seul, tu sais. Vu d’où je viens, j’ai l’habitude des petits espaces confinés.
— Je te promets que c’est quand même plus décoré et coloré, rit-elle en ouvrant la porte. Et si tu veux bouquiner, il y a de quoi faire ta sélection.
Je la suis et effectivement, l’espace n’est pas grand et surtout, tout un mur est couvert d’une bibliothèque remplie de livres, ce qui donne à la pièce l’impression d’être plus petite qu’elle ne l’est réellement. Je m’approche des livres, les draps toujours dans mes bras et jette un œil aux livres qu’elle a dans sa collection. Il y a quelques romans d’auteurs à la mode, quelques beaux ouvrages plein de photos de destinations de voyage, quelques romances aussi. Elle a l’air d’avoir des goûts très variés.
— Eh bien, quelle collection ! On dirait la bibliothèque de la prison ! Je suis sûr qu’il y a même plus de livres ici, c’est fou !
— Hum… J’aime lire, que veux-tu. Y a la collection intégrable de la Pat’Patrouille, aussi, si des fois ça t’intéresse, sourit-elle.
— Non, je vais laisser ça à Mathis. Tu n’as pas dit que tu prenais aussi ta douche, le soir ? Je peux vraiment me débrouiller pour mon lit, tu sais. Déjà que je m’impose chez toi, je ne veux pas abuser.
— Arrête de dire que tu t’imposes, soupire-t-elle en me balançant un coussin que j’évite de justesse.
Je le ramasse et lui balance à mon tour avant de faire mine de me cacher derrière le clic clac pour éviter sa riposte.
— Je lève le drapeau blanc ! Parce que si on fait trop de bruit, on va réveiller ton fils. Ce serait terrible, non ?
— Terrible, je ne sais pas, mais bien chiant, c’est clair. Bon, je te laisse faire ton lit alors ? Ça va aller, tu vas y arriver ? T’es un mec, après tout…
— Ouais, ça va aller. Je suis un mec mais j’ai appris à faire mon lit quand même. Bonne douche et à demain. Je crois que je ne vais pas tarder à m’endormir. Le clic clac a l’air confortable.
— Il l’est, mon frère ne s’en plaint jamais. Bonne nuit à toi aussi, Sacha. Fais de beaux rêves, me répond-elle en souriant avant de sortir de la chambre.
Je ne sais pas à quel jeu je joue, là, mais il est bien dangereux. Livia est ma collègue, la fille de mes patrons et moi, comme un con, ou plutôt comme un moine en manque de sexe, je la drague, je m’amuse à multiplier les contacts et je laisse l’ambiguité s’installer entre nous. Je préfère ne pas y penser plus que ça et me couche immédiatement mon lit préparé. J’essaie de ne pas penser à la femme pulpeuse qui est nue sous la douche à quelques mètres seulement de moi, mais mon esprit divague et je ne réalise pas que je m’endors alors que le bruit de l’eau me berce doucement.
Quand je me réveille, j’ai l’impression que je viens tout juste de fermer les yeux, mais la lumière du matin et le bruit que fait Mathis à côté me font vite comprendre que le matin est déjà arrivé. Je les rejoins alors qu’ils sont attablés dans la cuisine. J’ai à peine franchi le seuil que le petit garçon se lève et court pour se jeter dans mes jambes.
— Bonjour Mathis ! Bonjour Livia ! dis-je en soulevant le petit dans mes bras.
— Coucou Sassa ! Heu… Sa-cha, me répond-il en jetant un coup d’œil à sa mère.
— Fais gaffe aux bisous chocolatés, rit Livia. Et bonjour. Bien dormi ?
— Franchement, j’ai tellement bien dormi que je n’ai pas vu la nuit passer ! Et je suis en forme ce matin.
J’espère qu’elle ne voit pas le trouble que je ressens en la voyant simplement vêtue d’un tee-shirt large et d’un petit short. Heureusement que son fils est plein d’énergie et qu’il occupe un peu son attention.
— Confortable alors, hein ? Tu prends un petit déjeuner ? Fais comme chez toi, il y a du café tout juste coulé, des fruits au-dessus du réfrigérateur… et du pain dans la bannette. Mathis, laisse Sacha se réveiller tranquillement et manger, d’accord ? Tu l’embêteras après.
— Il ne me dérange pas, tu sais. Et puis, l’accueil est royal, ici !
— C’est la maison du bonheur, que veux-tu. Même pour les gens qui s’imposent, tu vois ? me taquine-t-elle, le sourire aux lèvres.
— Donc, tu vois bien que je m’impose ! rétorqué-je en souriant à mon tour. Je le savais que si tu avais pu faire autrement, jamais tu ne m’aurais laissé venir chez toi ! Quelle honte, ces squatteurs !
— J’y ai pensé trop tard, j’aurais dû te proposer la cave. Ça aurait sûrement été plus calme, en prime, puisqu’il n’y a pas de petit monstre incapable de se faire chatouiller sans éclater de rire.
— Oui, mais dans la cave, il n’y a pas de maman magique qui fait des bisous qui donnent le sourire ! N’est-ce pas, bonhomme ?
— Non, mais papy dit qu’y a des rats, par contre, grimace le petit. Et pas des rats mignons comme dans mes dessins animés. Ou dans mes livres. Tu viens voir mes livres, Sassa ?
— Toi aussi tu as des livres ? Vas-y, montre les moi, que je sache si tu en as plus ou moins que ta maman !
— Oh non, j’en ai moins, mais je suis plus petit, moi, c’est normal. Hein Maman ?
— Oui, c’est normal, mon Cœur. Sacha, tu n’es pas obligé… Je veux dire… Tu peux dire non aussi, avoir besoin de temps pour te réveiller, d’un café ou… enfin, tu vois, quoi, bafouille-t-elle, visiblement mal à l’aise.
— Ça ne me dérange pas du tout, dis-je en passant derrière elle.
Je me permets de me pencher et poser un petit bisou rapide sur sa joue et file avant qu’elle n’ait pu réagir dans la chambre du petit qui me tire par la main pour me montrer tous les trésors qu’il y dissimule. Je m’assois sur son lit alors qu’il commence à sortir ses jouets et à me les montrer ou me les amener dans les bras. Sa mère nous rejoint rapidement mais reste sur le seuil à nous observer.
— Tu sais que je vais devoir partir, mon poto ? Il faut que j’aille travailler et je dois repasser chez moi avant ça.
— Oh non, tu veux pas jouer avec moi ? Regarde, j’ai une machine pour le café, comme Maman. Ou alors, y a mon petit train, il roule tout seul, tu sais ? Et puis, on peut dessiner sinon !
— Tout ça ? Mais ça va être compliqué d’y arriver. Si je suis en retard, tu crois que ça va faire plaisir à ton papy ?
— Papy, il est tout le temps ronchon, de toute façon.
— Mathis, Sacha t’a dit qu’il n’avait pas le temps. Peut-être qu’il reviendra un autre jour, qui sait, mais là, c’est pas possible. Et puis, il faut qu’on se prépare avant qu’Ethan arrive, intervient Livia avant de s’adresser à moi. Je crois que tu as un fan.
— On dirait bien, et c’est une vraie invitation pour un autre jour ou tu es juste polie ? Je ne voudrais pas m’imposer, tu le sais bien.
— Écoute-toi parler, rit-elle. Tu ne peux pas t’imposer si tu es invité, voyons.
— Je ne sais pas si Mathis serait d’accord, exprimé-je pour reporter l’attention sur lui.
— Ben si, si tu joues avec moi, je suis d’accord, moi, me répond-il avec aplomb.
— Tu vois ? C’est ce qu’on appelle une invitation version petit kangourou, rit Livia. Invitation sous conditions. Il a trop dû entendre sa mère inviter ses amis à condition qu’ils ramènent une bouteille.
— Ah mince, je n’ai pas ramené de bouteille. Je risque de ne plus être invité par la maman, alors !
— Je peux faire sans. Tu fais sourire mon fils, c’est bien mieux qu’un cocktail.
— Alors, si c’est comme ça, promis, je reviendrai ! Mais là, il faut vraiment que j’y aille sinon je ne vais pas avoir le temps de retourner au centre pour me changer. D’accord, mon pote ?
— Oui, d’accord, soupire le petit. Vous êtes pas drôles, vous, les grands.
Je lui fais un petit bisou sur le front et me lève, amusé de le voir se frotter le haut de la tête après le contact avec ma barbe.
— Ça pique ?
— Oui, tu piques, pouffe-t-il en commençant à ranger ses jouets.
— Désolé, je crois que je vais tout raser pour pouvoir revenir alors !
— Ça ne sera pas utile, intervient une nouvelle fois ma collègue. Enfin… tu fais déjà assez jeune comme ça, et puis… ça te va bien, la barbe…
— Bien Madame, dis-je un peu sèchement, vexé qu’elle rappelle mon âge, même si elle conclut avec un petit compliment. Je vous laisse, j’ai déjà assez perdu de temps. Encore merci pour l’hospitalité, Livia. Et pour la leçon de dessin hier avec le lait. J’ai vraiment passé un bon moment avec toi. A tout à l’heure ?
— Y a pas de quoi, c’était un plaisir. A tout à l’heure, Sacha, me dit-elle en souriant. Et n’oublie pas de donner ton carnet de correspondance à ton éduc bizarre et insupportable… Bon courage avec lui.
Je soupire car ça aussi, ça me ramène à la réalité. Normalement, ce matin, ce ne sera pas Jordan car il a fait la soirée, mais ça n’empêche que je vais devoir présenter mon petit mot. Tu m’étonnes qu’elle me trouve jeune avec de tels éléments à charge. Si je veux envisager quelque chose avec elle, il va falloir que je travaille dur pour lui faire oublier la différence d’âge. En même temps, qu’est-ce que je vais m’imaginer ? Il n’y aura jamais rien entre nous deux. On n’est pas dans un conte de fée quand même.
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