25. Le café des enfants

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Sacha

Je me dirige en sifflotant vers le café où je travaille en me disant que j’ai quand même déjà bien changé. C’est fou en si peu de temps mais pourtant, c’est indéniable. Je ne vais pas au boulot avec les pieds de plomb et ça, c’est incroyable car je sais qu’à la fin de la journée, j’aurai gagné une misère et puis c’est tout. Cependant, je sais que Livia sera là à mon arrivée et je crois que c’est elle, la principale source de ma motivation. Je ne sais pas pourquoi je suis attiré comme ça par elle, mais je ne peux lui résister et je crois qu’elle a capté que je ne faisais rien pour lutter contre cette attraction qui existe entre nous.

Je pousse la porte du café et referme derrière moi, le temps de tout préparer pour les premiers clients, et suis surpris de ne pas voir le sourire de ma collègue qui m’accueille. C’est sa mère qui est présente et l’accueil est beaucoup moins chaleureux.

— Je n’étais pas censé travailler avec votre fille ? demandé-je un peu sèchement.

— Bonjour à toi aussi, Sacha… Livia va avoir du retard, soupire-t-elle. Comme d’habitude, elle est en galère pour faire garder Mathis.

C’est sûr que depuis qu’Ethan ne peut plus se libérer pour s’occuper du petit, elle doit jongler entre plusieurs endroits qui acceptent de le prendre avec toute une liste de conditions longue comme mon bras. Et pour peu qu’il tousse un coup à l’arrivée à une de ces garderies, il est refusé et c’est sa mère qui doit se débrouiller pour lui trouver une solution.

— Elle ne devrait plus tarder, alors. Je peux ouvrir, tout est prêt ? Je peux me mettre à la caisse et gérer le service, si vous voulez.

— Non, ça va aller. Enfin, fais ce que tu fais d’habitude avec Livia, je vais prendre le reste en attendant qu’elle arrive.

Eh bien, la patronne n’a pas l’air de vouloir me faire confiance avec l’argent, cela devrait me fâcher mais au contraire, cela m’amuse. Je ne dis rien et prends donc mon service comme à mon habitude, le joli sourire de Livia en moins. Les premiers clients débarquent avant de laisser la place à une clientèle plus calme. j’ai le temps de bavarder un peu avec les quelques habitués qui se présentent, et notamment cette femme d’âge mûr qui me fait du gringue à chaque fois qu’elle me voit.

— Bonjour Madame Henri, je peux vous aider ?

— Bonjour, mon garçon ! Eh bien, il est où votre beau sourire, ce matin ? La patronne vous ennuie ? Il faut le bichonner, ce petit, lui adresse-t-elle, il est tellement gentil !

— Vous voulez que je vous amène votre petit croissant et votre café à votre table, comme d’habitude ?

Elle choisit toujours la table du fond, sur la mezzanine, où elle aime que je vienne la retrouver. Je ne la connais pas depuis longtemps mais elle a déjà eu quelques gestes un peu déplacés et pour l’instant, je n’ai pas trop osé la repousser même quand ses mains se font trop baladeuses.

— Oui, je veux bien, sourit-elle en déposant un billet de vingt près de la caisse. Et gardez la monnaie. Je vous attends là-haut !

Elle est généreuse, il n’y a pas à dire, et la patronne hausse un sourcil en mettant la monnaie dans le petit bocal à mon intention mais ne fait aucun commentaire. Je récupère ce qu’elle a commandé et lui amène en affichant un sourire de circonstance.

— Et voilà ! Vous êtes plus matinale que d’habitude ce matin, non ?

— J’ai rendez-vous chez le médecin, tout à l’heure. Mais je ne voulais pas commencer ma journée sans un bon café… et sans passer te voir non plus, d’ailleurs, minaude-t-elle. Quand est-ce que tu vas enfin te poser et petit-déjeuner avec moi ? Je suis sûre que la patronne ne dirait rien.

Quand je vois le regard qu’elle pose sur moi, ses intentions sont claires et ce n’est pas forcément le croissant qu’elle a envie de goûter. Et bien entendu, elle se penche en avant vers moi et me dévoile son décolleté plongeant, comme s’il suffisait d’afficher ses seins pour que je craque. Bon, j’avoue que je ne suis qu’un mec et qu’elle est bien bandante pour une femme qui pourrait être ma mère, mais elle ne m’intéresse pas du tout.

— Je n’ai pas le temps, Madame Henri, je dois travailler. Une autre fois, peut-être ?

— Tu me dis ça à chaque fois, mon Chou, sourit-elle tristement. C’est dommage… Tu sais, les femmes mûres, elles ont de l’expérience, ça peut être très utile.

La voix de Livia qui discute avec sa mère en bas est cependant bien plus tentante que cette délicieuse femme avec qui je me serais bien amusé à une autre époque de ma vie.

— Qui sait ? Une fois, votre chance tournera et je dirai oui ? Bon appétit, Madame Henri, ajouté-je en souriant.

Si ça ne suffit pas à la faire revenir demain, je ne sais pas ce qu’il faudra faire. Quand je redescends l’escalier, je constate que Livia s’est déjà installée derrière le comptoir, sa mère a disparu mais le petit Mathis est assis à une table et sourit en grand en me voyant.

— Bonjour, toi. Voilà mon petit client préféré ! Je te sers quelque chose ? dis-je en lui ébouriffant les cheveux.

— Bonjour Sassa ! Maman, elle doit me préparer un chocolat, tu veux bien faire le kangourou dessus ?

— Le kangourou, rien que ça ? D’accord, mon grand, je te fais ça tout de suite.

Je lui souris et me rapproche de sa mère qui a l’air préoccupé, même si elle se détend un peu à mon approche.

— Dure matinée ? Tu veux un petit massage pour te détendre ?

— Salut. Désolée pour le retard, je confirme que le début de journée était speed… On verra plus tard pour le massage. Ça a été avec ma mère ?

— Oui, même si c’est moins agréable que quand tu es là. Toi au moins, tu souris un peu. Si c’était ta mère tous les matins, je ne suis pas sûr qu’on aurait le même nombre de clients ! Ils devraient te donner une prime pour…

Je m’arrête net dans mes propos quand je vois la personne qui vient de franchir le seuil du café. Je rêve, non ? Ce n’est pas possible que ce soit elle ! Livia suit mon regard des yeux et regarde, perplexe, la nouvelle entrante qui semble hésiter à s’avancer. Elle regarde et a l’air vraiment surprise de voir qu’il s’agit réellement d’un coffee shop. Je m’approche d’elle et tente de l’aborder sans la faire fuir.

— Bonjour Marina, tu as dû te lever à l’aube pour être déjà là, non ? Ce n’est pas la porte à côté de Vitry !

— Salut… Sonia m’a dit où tu bossais, je… je me suis dit que je viendrais bien boire un chocolat chaud.

— Ah, c’est l’heure des chocolats chauds, répliqué-je un peu froidement, ne connaissant pas la raison de sa venue. Installe-toi, je vais venir te servir. Il faut bien que je justifie mon salaire.

— Oui, d’accord… Je veux bien un pain au chocolat, aussi, je suis partie sans déjeuner.

— Très bien, je te ramène ça tout de suite.

J’ai très envie de la serrer dans mes bras mais je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi elle a fait tout ce chemin. Elle ne me fait vraiment pas confiance et veut me contrôler ?

— Un chocolat chaud et un pain au chocolat, s’il te plaît, Livia. Pour la demoiselle qui vient d’entrer. Tu… tu pourras lui apporter toi-même ?

— Heu… Si tu veux, oui. Seulement si tu me dis pourquoi, parce que tu n’as pas l’air vraiment overbooké, là.

— C’est ma sœur, répliqué-je rapidement, et je crois que je ne suis pas prêt à avoir une discussion avec elle ici. Tu… tu me comprends ? Tu ne me trouves pas trop froussard de ne pas aller l’affronter ? Je vais aller m’occuper de Mathis, je crois que ça vaut mieux.

— Tu fais comme tu le sens, mais ce n’est pas en la fuyant que tu vas te rapprocher d’elle, tu sais ? me répond-elle en préparant le chocolat. Mais je ne te juge pas, tu fais comme tu le sens. Tu ne seras pas bien loin, elle vient de s’asseoir à la table à côté de celle de Mathis.

Je me retourne et constate en effet que non seulement elle s’est assise à côté de lui mais qu’en plus, ce petit galopin est déjà en train de lui parler et de la faire sourire.

— Un vrai Casanova, ton Mathis. Dès qu’il voit une jolie fille, il la drague, non ? glissé-je en souriant à ma collègue.

— T’as vu sa bouille, en même temps ? Elles craquent toutes. Et lui… il est très sociable. Elle a l’air gentille, ta sœur. Tu es sûr que j’y vais ?

— Non, tu as raison, il faut que j’assume. Et si elle a fait tout ce chemin, je lui dois bien ça.

J’avoue que j’ai un peu la frousse de faire quelque chose qui lui fasse peur, lui déplaise ou tout simplement lui donne l’envie de repartir, mais s’il y a bien une chose que j’ai appris dans la vie, c’est qu’il vaut mieux affronter ses problèmes dès que possible plutôt que de les laisser s’insinuer dans le quotidien.

— Mathis risque de venir avec toi, ça détendra l’atmosphère au besoin, me lance ma collègue avec un sourire encourageant. Je suis sûre que ça va très bien se passer. Elle est là, c’est déjà un grand pas, non ?

— Oui, tu as raison.

Je ramène sur un plateau les deux chocolats chauds et les deux pains au chocolat.

— Voilà pour vous deux, petits chanceux, on dirait que quel que soit l’âge, trois ans ou seize ans, le chocolat a la côte !

— C’est trop bon, le chocolat ! sourit Mathis en se mettant à genoux sur sa chaise et en poussant ses feutres. Hé ! Il est où, mon kangourou ?

— Oh, j’ai oublié, bonhomme. J’arrive, je te le fais tout de suite.

Je me précipite vers le comptoir où je récupère le matériel et reviens pour lui dessiner une sorte de kangourou dans sa crème avant de me tourner vers Marina qui m’observe intensément.

— Toi aussi, tu veux une forme dans ton chocolat chaud ?

— Surprends-moi, me dit-elle avec un petit sourire.

Je réfléchis un court instant avant de faire une petite tulipe dans sa mousse sous son regard scrutateur. Je m’applique et termine en repoussant sa tasse vers elle.

— Et voilà, encore mieux qu’avant, non ?

— Oui, sans doute, même si ça ne change rien au goût, j’imagine. Merci, Sacha.

— Tu as besoin d’autre chose ? Je… je suis content que tu sois là, mais je ne sais pas comment prendre ta visite, pour tout te dire. Je dois te traiter comme une personne lambda ?

— Tu peux aussi ne pas réfléchir et juste… je sais pas… prendre ça pour une visite de ta sœur sans chercher ce qu’il y a derrière ?

— Sassa, c’est ta sœur ? s’étonne le petit en manquant de peu de renverser sa tasse.

— Eh oui, cette jolie fille qui est là, c’est ma petite sœur. Elle est gentille, tu sais, même si elle a souffert en grandissant d’avoir un grand frère comme moi qui n’arrêtait pas de l’embêter.

— Faut pas embêter les filles, Sassa, tu sais ? Moi, je me fais disputer quand je les embête chez Tonton et Tata.

— Il a raison, sourit Marina. C’est pas bien d’embêter sa petite sœur.

— Il faut croire que ta maman est plus sévère que la mienne et t’élève mieux que moi, Petit Diablotin. Et si vous vous liguez tous les deux contre moi, je n’ai aucune chance de m’en sortir.

— Critique pas Maman, marmonne Marina en se renfrognant.

— Je ne critique pas Maman, je dis juste que Mathis a la chance d’avoir la mère qu’il a. Tu vois, ce n’est pas…

Je n’ai pas le temps de continuer que mon téléphone sonne et qu’un numéro inconnu cherche à me joindre. Je me demande si ce n’est pas le conseiller pénitentiaire qui m’appelle et décroche, fébrilement.

— Salut Frangin. On n’a plus de nouvelles, tu comptes ramener tes fesses quand ?

— Oh, Jo ! Tu m’as surpris, là, avec ce numéro. Tu veux quoi ?

Ma frangine, la vraie, grimace en entendant le prénom de Jo. Immédiatement, elle se renfrogne et me lance un regard acéré, visiblement en colère. Elle se lève et se précipite vers la sortie sans que je ne puisse la retenir. Au bout du fil, Jo me propose de le rejoindre car il a une offre alléchante pour moi. Je n’arrive même pas à lui répondre et raccroche en regardant ma soeur s’échapper en courant tandis que je reste comme un pot de fleurs à ma place, incapable de faire le moindre geste. Avec ça et l’idée que je suis toujours dans les trafics, elle risque vraiment de ne pas me redonner une chance. C’est bien ma veine…

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