29. Des lendemains qui sourient
Sacha
Je me réveille un peu comme si j’avais la gueule de bois. Je n’en reviens pas des messages que j’ai envoyés à Livia ni des réponses qu’elle m’a faites. Ce n’est pas normal entre collègues, je le sais bien, mais c’était si naturel. Quand je pense qu’elle a osé me dire que j’étais trop sage ! J’ai bien failli l’appeler à la lecture de ce message mais je me suis finalement retenu de tenter d’aller plus loin parce que ce n’est pas l’idée du siècle. C’est vrai qu’elle m’attire presque irrémédiablement, mais il y a cette différence d’âge qu’elle s’est chargée de me rappeler et le fait que nous sommes collègues. En tout cas, à cause de ça, j’ai eu du mal à m’endormir en raison de mon excitation et de toutes les interrogations qui se bousculent dans ma tête.
Heureusement qu’aujourd’hui je ne travaille pas parce que je ne sais pas du tout comment je vais pouvoir me comporter en sa présence après de tels messages. Même si le programme du jour n’est pas moins stressant : J’ai été invité par Sonia à venir partager un repas. Elle trouve que ce sera mieux qu’une visite médiatisée avec un autre travailleur social ou dans un contexte guindé et je crois qu’elle a raison. Mais cela me stresse. J’ai peur de faire une bourde, de dire un truc qui ne plaise pas à ma sœur et me faire jeter. Je ne sais pas comment je le prendrais si elle en venait à me demander de ne plus entrer en contact avec elle. Pas sûr que je le supporterais.
J’hésite à envoyer un message à Livia, en commence un que j’efface à plusieurs reprises, ne sachant pas quel ton adopter avec elle. C’est fou ce que c’est compliqué, je veux lui dire que je pense à elle sans lui faire peur, tout en lui disant qu’elle aussi m’attire. Bref, c’est pas facile et je me décide pour un petit SMS tout simple.
“ Bonjour Princesse. J’espère que tes rêves ont été aussi agréables que les miens. Bonne journée. Le vilain. ”
Je reçois sa réponse quelques minutes plus tard alors que je m’apprête à monter dans le RER qui va m’emmener à Vitry-sur-Seine.
“ Salut Sassa ! De quoi t’as rêvé, au juste ? :p Je suis curieuse. Bonne journée à toi aussi, gentil vilain. ”
Je ne devrais pas ressentir autant de plaisir à la simple lecture d’un SMS mais il semblerait qu’elle soit dans le même mood qu’hier soir, ce qui montre qu’elle ne regrette pas ses messages.
“ J’ai rêvé de toi, de nous, de folies au coffee shop qui démontrent que je suis loin d’être trop sage. J’aimerais pouvoir t’en parler plus, mais je suis dans le RER pour aller voir ma sœur. Trop d’excitation, ça ne serait pas raisonnable, tu vois ? Bisous. ”
Bisous ? Vraiment ? Trop tard, c’est envoyé, mais elle va croire que je me laisse aller à trop de familiarité… Je suis con de tout gâcher alors que rien n’a encore vraiment commencé. Et d’ailleurs, elle ne répond pas tout de suite et j’ai le temps de me morfondre alors que les stations défilent rapidement. Ce n’est qu’à l’arrivée à la gare que je reçois sa réponse.
“ Je peux t’aider à te calmer, si tu veux. Toi qui penses aux bêtises dans le coffee shop, dis-toi que j’ai surpris mes parents en fâcheuse posture il y a 3 mois… Tu connais l’expression, “ça rentre comme papa dans maman” ? J’en fais encore des cauchemars ;) Passe un bon moment avec ta sœur. Bisous de nous ! ”
Elle joint à son message une photo de Mathis et elle, installés sur le canapé, qui envoient un bisou à la caméra. Ils sont vraiment mignons. Enfin, lui est mignon, elle… Sublime ? Parfaite ? Putain, je deviens gaga à cause d’elle. Il va falloir que je me soigne, c’est pas possible de continuer comme ça. J’essaie de me concentrer sur le repas à venir mais c’est compliqué de ne pas laisser mes pensées revenir sur ma collègue et, quand je sonne, je suis presque surpris de voir que c’est Sonia qui répond et pas Livia. J’étais encore reparti bien loin dans mes rêveries.
— Bonjour, désolé, je suis un peu en avance, mais c’est compliqué de prévoir avec les métros et RER…
— Pas de souci, entre, Sacha. Marina est encore à la salle de bain. Tu vas bien ?
— Oui… Merci pour l’invitation, dis-je un peu gêné et ne sachant trop comment me comporter vis-à-vis d’elle.
— C’est normal, voyons. Installe-toi, elle ne devrait pas tarder. J’espère que tu aimes les barbecues ? Mon mari ne m’a pas trop laissé le choix du menu, rit-elle.
— Oui, oui. Qui n’aime pas les barbecues ? Il a besoin d’aide ? Je peux y aller si vous souhaitez.
— Non, non, ne t’embête pas avec ça. Monsieur maîtrise l’art du barbecue, il ne faudrait surtout pas le contrarier. Et puis, voilà ta sœur.
— Salut, Sacha…
— Oh bonjour Marina. Tu vas bien ? Je suis content d’être là et de pouvoir passer un peu de temps avec toi.
— Oui, moi aussi, je suis contente. Je peux lui montrer ma chambre, Sonia ?
— Oui, bien sûr, allez-y. Ne traînez pas trop, on va bientôt passer à table.
Je la suis, un peu incertain que tout ça soit vraiment dans les protocoles établis. Je ne suis pas censé voir ma sœur sans la présence d’un tiers et je me demande si c’est un piège ou vraiment un acte de gentillesse et bienveillance de la part de la maman adoptive de ma frangine.
— Ça ne te dérange pas de te retrouver seule avec moi ? lui demandé-je alors qu’elle ouvre la porte de sa chambre.
— Tu ne vas pas me coller de la coke dans le nez sans mon consentement, non plus, soupire-t-elle.
— Ben non, je ne t’ai jamais mêlée à toutes mes histoires quand j’étais au quartier, ce n’est pas maintenant que je vais commencer alors que je me suis rangé !
— Jamais mêlée dans tes histoires ? Ouais… sauf quand tu t’es fait choper, quoi, me dit-elle en refermant la porte de sa chambre avant d’aller s’asseoir sur son lit.
— Je sais, j’ai déconné… Mais tout ce que j’avais en tête, c’était t’aider, tu sais ? Rien d’autre. Pas mal, ta chambre. Tu es fan d’Harry Potter ? demandé-je en découvrant les posters sur le mur.
— Ouais, j’aime bien, même s’il paraît que c’est un truc de vieux, maintenant… Et je sais, mais t’as pas choisi la bonne façon de m’aider.
— C’était la seule chose que je pouvais faire au quartier, tu peux le comprendre, non ?
— J’ai pas envie de le comprendre, Sacha, j’ai tourné la page. Du moins, j’essaie. C’est bon, c’est du passé, on peut pas revenir dessus, faut avancer, maintenant.
— Oui, tu as raison. Et tu avances comment ? Tu travailles bien au lycée ?
— J’ai redoublé ma quatrième, Sacha, je viens de finir le collège.
— Tu aurais dû répondre à mes courriers… J’ai l’impression que je ne sais plus rien de toi… Tu te souviens comme on était proches avant ? C’est comme cette histoire de piano, ça t’a pris d’un coup ?
— C’est le mari de Sonia qui en fait, ça m’a donné envie. Parfois, je passais des heures à l’écouter jouer. C’est beau, le piano, tu sais ? J’adore ça, ça m’apaise…
— Tu me feras écouter ? Tu joues quoi ? La lettre à Marylise ?
— C’est quoi, ça ? Je connais pas, rit-elle en me tendant un carnet. Je bosse sur ça.
— Ben si ! C’est un air super connu ! On l’entend dans toutes les pubs ! Ça a l’air compliqué, tout ça. Tu sais vraiment jouer cette gavotte ? Tu peux me faire une démonstration ?
— Je maîtrise pas encore… J’espère y arriver d’ici mon spectacle avec les autres pianistes de mon prof. C’est pas facile.
— Pas grave, j’adorerais t’entendre quand même, tu sais ? J’ai l’impression que tu as grandi tellement vite. Je m’en veux d’avoir raté les trois dernières années… Je ne sais même pas si tu as un petit copain !
— T’as pas raté les trois années les moins importantes, en même temps… Et j’ai pas de copain, les mecs sont tous des cons. Pourquoi, t’en as une, toi ?
— Eh, on parle de toi, là ! N’essaie pas de détourner la conversation ! C’est juste que si un mec vient t’aborder, il faudra que je valide avant quand même ! Je ne veux pas que tu sois embêtée par un con, tu sais ?
— J’ai pas besoin de toi pour ça, Sacha. Pas la peine de jouer au grand frère, marmonne-t-elle. Prison ou pas, d’ailleurs. C’est ma vie, mon problème. Tu sors pas avec ta collègue, toi ? Je crois qu’elle te faisait du charme, quand je suis passée.
Ah mince, elle n’est pas restée longtemps et déjà, elle nous a captés. Elle a toujours la même intelligence des autres qu’elle avait il y a quelques années.
— Ce n’est pas ma petite amie, même si elle me plait beaucoup. Tu sais qu’elle pourrait être ta mère, presque ? Elle est trop vieille pour moi, non ?
— Tu crois ? C’est si important que ça, l’âge ?
— Des fois, ça peut l’être, oui. Tu sais qu’elle aimerait que tu fasses du babysitting pour elle ? Elle t’en a parlé ? Elle… Elle a vraiment besoin d’aide pour s’occuper de Mathis et puis, ce serait un moyen de nous voir davantage…
— Oui, elle m’en a parlé y a deux jours, elle m’a appelée. Je suis pas sûre d’être capable de m’occuper d’un gosse, moi. Et puis… tu crois que je vais pouvoir le faire sans que ça gêne l’ASE ?
— Je ne sais pas, mais ça me ferait plaisir de te voir plus. Et Mathis est un ange, tu ne trouves pas ?
— Si, si, il a l’air chou. Et puis, peut-être que je pourrai te donner un coup de main pour serrer sa mère, glousse-t-elle en me faisant un clin d’œil.
— Je n’ai pas besoin de toi pour ça. Tu as vu comme je suis beau ? Qui pourrait me résister ?
— Fais gaffe, tu prends le melon, frangin. Moi, je suis sûre qu’il te faut de l’aide, tu dois te débrouiller comme un pied. C’est pas une de tes poufs du quartier, là.
— Non, c’est clair qu’on n’est pas dans la même catégorie. Tu imagines que je n’ai pas eu de petite depuis que je suis sorti de prison ? La honte, non ?
— La honte ? Je.. J’en sais rien, moi. Vu les tchoins que tu te tapais au quartier, c’est pas plus mal.
— Un peu de respect pour mes choix, voyons ! Non mais, pour qui tu te prends ? fais-je semblant de m’emporter alors qu’elle éclate de rire.
Cela fait du bien de la voir ainsi retrouver le sourire, comme avant quand elle et moi étions si proches. Cela me redonne un peu d’espoir pour la suite, surtout si elle accepte le boulot de baby sitter. J’aimerais tellement qu’on puisse aussi revivre ensemble, je n’ai plus envie de manquer un seul moment avec elle, mais il ne faut pas non plus que je grille les étapes. Chaque chose en son temps, c’est le seul moyen d’avancer. Je crois que je vais devenir champion de patience, moi…
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