31. Impertinence et remotivation

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Sacha


Ce matin, j’ai dû changer mes horaires au café pour répondre à la convocation que j’ai eue au centre. Je suis doublement dégouté car non seulement, je ne vais pas pouvoir passer la matinée avec ma collègue mais en plus, je ne vais faire que la croiser et me taper tout l’après-midi avec sa mère. Quel plaisir. Tout ça pour faire mon suivi judiciaire. Impossible d’y échapper, c’est la conséquence logique à mon incarcération.

Je me présente donc au bureau d’entretien quelques minutes avant l’heure de mon rendez-vous et frappe doucement à la porte. Une voix féminine me signale d’entrer. J’ai l’impression que je vais à nouveau passer devant le juge et je m’en veux de prendre les choses autant à cœur. Je n’ai plus rien à me reprocher et j’ai fait tout ce qui était attendu de moi, elle n’a aucun argument pour révoquer ma remise en liberté, il faut que j’y aille sereinement.

— Bonjour, je suis Sacha Moretti, indiqué-je en m’asseyant en face de la jeune femme qui tape sur son ordinateur.

Je l’observe le temps qu’elle termine sa saisie, elle est jeune mais s’habille de manière stricte, tout en noir pour apparaitre plus âgée ou plus professionnelle, sûrement.

— Bonjour, Monsieur Moretti. Je suis Irène et c’est moi qui vais donc gérer votre suivi judiciaire. Alors, comment allez-vous ?

Je regarde la conseillère en Insertion et Probation et plisse les yeux. C’est quoi cette question ? Elle s’en fout visiblement de savoir comment je vais, on ne peut pas passer directement au vif du sujet et éviter ces mondanités ?

— Je vais bien. Je bosse et j’ai pas repris la vente de drogue. On ne peut pas demander plus, si ?

— Effectivement, c’est plutôt positif. Des contacts avec vos anciens amis ?

— Ah non, aucun, dis-je du tac au tac, sans même sourciller en lui mentant effrontément. Je crois qu’après la prison, je suis marqué au fer rouge, vous savez.

— Bien. Comment ça se passe, au centre ? Quels sont les projets ?

— Je ne passe pas beaucoup de temps ici. Juste dormir et manger. Et il faut que je me trouve un logement. Ça m'étonnerait qu’ils me gardent encore longtemps ici. Vous avez un endroit où je pourrais crécher ? Chez vous peut-être ?

Je m’amuse à la provoquer et je vois qu’elle est vite troublée, la pauvre petite. Je m’en veux un peu, mais ça me fait aussi sourire de la voir perturbée.

— Je… Effectivement, il va falloir que vous trouviez un appartement. Bon, vous n’allez pas vous retrouver sans rien. Pour les deux prochaines années, je ferai partie du décor. Il va falloir vous mettre aux recherches rapidement, Monsieur Moretti.

— Il est plutôt joli, le décor. Et je fais comment, dites-moi, pour trouver un logement en région parisienne avec un contrat aidé ? Vous êtes ma seule perspective, je pense.

— Ecoutez, Monsieur Moretti… Il y a des aides pour les logements, vous savez ? D’autres s’en sortent, pourquoi pas vous ?

— Ouais, c’est sûr. Et donc, vous allez vraiment me suivre pendant deux ans ? Quand est-ce que je serai vraiment libre ? Après ça, la justice me laissera tranquille ?

— Si vous ne donnez pas de raison à la justice d’intervenir, ce sera le cas, en effet. Vos amis ne cherchent vraiment pas à vous contacter ? Vous savez qu’il faut éviter de vous rapprocher d’eux, ça pourrait vous causer du tort.

— J’ai envie de me ranger, c’est tout. J’essaie de me faire de nouveaux amis et surtout, je veux reprendre contact avec ma sœur et pouvoir à nouveau l’héberger. C’est avec moi qu’elle doit être, pas dans une famille d’accueil. C’est ça ma motivation, pas le deal.

— C’est une bonne motivation, ça. Vous en êtes où, avec elle ?

— Tout va bien, je vous ai dit. Autre chose relative à mon dossier ? demandé-je en affichant clairement mon souhait de ne pas évoquer ce qui ne relève pas de mon suivi judiciaire.

— Vous savez qu’il va falloir établir une relation de confiance entre nous ? Ce n’est pas en me provoquant ou en esquivant les sujets qui vous gênent qu’on va y arriver.

— Oui, mais ce qu’il se passe avec ma sœur, ça ne vous regarde pas. La justice a fait assez de dégâts à ce sujet si vous voulez tout savoir.

— La justice, ou vous ?

— Bien, dis-je en me levant. J’ai rempli mon obligation, je suis venu au rendez-vous. Le prochain, c’est pour quand ? Si possible, un jour où je ne travaille pas sinon mes patrons vont finir par me virer, ce serait quand même dommage qu’à cause de vous, je n’arrive pas à me réinsérer.

— Le cynisme vous va mal, Monsieur Moretti. Je vous appelle la semaine prochaine pour convenir d’un rendez-vous.

— Parfait.

Je sors sans même la saluer et tombe sur le Directeur qui semble m’attendre dans le petit couloir. Je soupire et ne peux rien faire pour l’éviter.

— Bonjour. Vous vouliez me voir, vous aussi ?

— Effectivement. Je voulais savoir où vous en étiez dans votre projet. Ça commence à faire un moment que vous êtes là.

— Ne vous inquiétez pas. Encore un ou deux entretiens avec la conseillère et je crois que je pourrai aller vivre chez elle. Il faut juste me laisser un peu de temps, vous savez, on ne conclut jamais au premier rendez-vous quand on est un gentleman.

Je sais, j’abuse de le provoquer ainsi mais, comme avec Irène, j’apprécie trop de voir sa tête un peu choquée pour regretter mes paroles.
— Ne faites pas le malin, Monsieur Moretti. Vous feriez mieux d’utiliser cette énergie pour vous trouver un pied-à-terre rapidement, j’en ai marre de voir votre tête ici.

— Sur mon contrat, c’est marqué que je peux rester tant que j’ai un boulot et que je fais des recherches de logement. C’est en cours, Monsieur le Directeur. Autre chose ? Si je ne veux pas être en retard à mon travail et risquer de perdre ma place ici, il faudrait que je puisse aller me préparer.

Je sais qu’il ne va pas apprécier mon ton impertinent mais moi, je trouve que je me suis amélioré. Je n’ai employé aucun gros mot et j’ai fait attention à mes phrases. D’accord, c’est pour le provoquer encore plus, mais ça montre ma capacité d’adaptation, non ? Je ne suis pas l’Intello pour rien, quand même, et ce genre de moments me rappellent vraiment des échanges avec des potes ou des concurrents au quartier. Personnes différentes mais même volonté de me foutre la pression et même réaction de ma part, dans la provocation, à la limite de l’irrespect.

— Je n’aurai aucune peine à trouver une raison de vous foutre dehors si j’en ai vraiment envie. Faites le malin… Et allez donc bosser, oui, bonne idée.

— Je n’ai que des bonnes idées, grogné-je en passant à côté de lui, énervé de ses menaces gratuites.

Je me dépêche de me préparer en essayant d’éviter de ruminer sur les deux entretiens que je viens d’avoir et file aussi rapidement que possible vers le café pour y retrouver Livia et espérer passer quelques instants avec elle avant qu’elle ne parte. Je crois que j’ai besoin de ça pour redescendre car entre la jeune qui ne va rien faire pour moi à part me contrôler et le directeur qui va tout faire pour se débarrasser de moi, je suis passablement énervé. Je ressens le même type de rage qu’après le décès de mes parents, quand je faisais plein d’efforts pour réussir à l’école et que la vie est venue tout foutre en l’air. Enfin, la vie, c’est plutôt la mort qui a tout ravagé sur son chemin.

Quand j'arrive au café, je suis déçu de constater que Livia a déjà quitté le comptoir et qu'elle est prête à partir. Ce n'est pas ma journée, on dirait. Elle me sourit néanmoins à mon arrivée et vient me faire la bise, nouvelle habitude qu'elle a pris récemment et qui me fait plus plaisir que ça n'en devrait de la part d'une simple collègue.

— Bonjour Livia, tu pars déjà ?

— Il semblerait. Fallait pas m’abandonner aujourd’hui, si tu voulais tant que ça me voir, rit-elle.

Avec elle, depuis cette soirée où l'on s'est échangé ces textos un peu hots, je ne sais jamais sur quel pied danser. J'ai toujours l'impression qu'elle flirte un peu avec moi mais qu'elle n'est pas décidée à aller plus loin. De mon côté, même si elle ne m'offrait qu'une seule nuit en sa compagnie, je sais que je foncerais sans hésiter. Elle occupe tellement toutes mes pensées que j'en deviens presque fou.

— Je t’assure que j'aurais préféré passer la matinée avec toi…

— Ça va ? Tu m’as l’air tout… tendu... un souci ?

— J’ai juste besoin de me changer les idées. Au centre, ils me mettent la pression pour que je me trouve un logement tout en doutant de moi sur le fait que je vais récidiver… Tu comprends que ça m'agace…

— Un logement, avec ce que tu gagnes ? grimace-t-elle. Et bon courage pour les heures de queue dans les escaliers d’immeubles pourris en attendant de pouvoir visiter une cage à oiseaux… Ok… Je ne peux pas te changer les idées maintenant, vu que tu vas bosser, mais… avec Mathis, on va à la piscine, demain après-midi. Tu veux nous accompagner ?

— Demain ? La piscine ?

Je suis un peu perdu car j'ai tout de suite eu en tête l'image de son corps presque totalement dénudé et cela me fait perdre tous mes moyens. Et le pire, je crois, c'est qu'elle capte le regard plein d'envies que je porte sur elle en cherchant mes mots.

— Ouais, non, c’est peut-être une mauvaise idée, en fait. Ça a l’air de te dérouter, désolée, se moque-t-elle, un sourire aux lèvres.

— Non, du tout, m'empressé-je de répondre. C'est une bonne idée. Je passe te chercher ici ? J'irai acheter un maillot le matin…

— Heu… Je dois voir ta sœur et sa famille d’accueil après le boulot, pour le babysitting… On peut se retrouver après, directement à la piscine ? Et… niveau finances, ça le fait pour le maillot, ? Je… je n’ai pas pensé à ça en te proposant, désolée.

— Ne t’inquiète pas pour le maillot, au pire, si c'est trop cher, j'irai sans. On se voit à dix-sept heures là-bas alors ? Tu m'envoies l'adresse par message ?

Je sais que j'abuse mais vu comment ça dérape quand on s'écrit, j'aurais tort de me priver de ce petit plaisir.

— On fait ça, oui. Allez, je file, ce n’est pas que la compagnie me déplaise, mais Mathis ne dort pas et Isa galère un peu, la pauvre. Bon courage pour le boulot. On passera peut-être pour le goûter.

Je la regarde partir et me fais la réflexion que ma journée a pris une toute autre tournure depuis que mes yeux se sont posés sur elle. Elle a cette capacité un peu invraisemblable à éclairer mon quotidien. J'ai hâte de pouvoir la retrouver à la piscine !

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