34. La récompense du commis
Livia
Je jette un œil à mon fils qui, malgré la fatigue qui lui tombe dessus, a le sourire jusqu’aux oreilles. Il adore vraiment aller à la piscine, mais je crois que c’est la première fois que je l’entends autant rire et s’amuser. Sacha est vraiment génial avec lui et ça me fait plaisir, même si une partie de moi s’inquiète que Mathis s’attache trop.
Le barbu et moi avons le même réflexe alors que le petit fatigue et trébuche sur un pavé au sol. Nous raffermissons tous les deux notre prise sur ses mains et le soulevons légèrement dans les airs, mais ça ne suffit pas. S’il ne tombe pas, il se met à chouiner et tourne le dos à Sacha pour s’accrocher à ma jambe quand ce dernier cherche à le prendre dans ses bras.
— Désolée, m’excusé-je auprès de mon collègue en récupérant Mathis, ce n’est pas toi, le problème, c’est juste que je suis le doudou humain attitré en cas de fatigue, de colère, de tristesse…
— Tu m’étonnes, il aurait tort de se priver d’un doudou aussi confortable !
J'ai envie de lui demander ce qu'il en sait, de mon confort, mais je me retiens de tout commentaire. Effectivement, Mathis s’accroche à moi comme une moule à son rocher tandis que je peine à ouvrir mon sac à dos d’une main. Heureusement, Sacha est réceptif à ma détresse, le récupère et me l’ouvre pour que je puisse récupérer la tétine que mon fils gobe comme j’aurais tendance à avaler un Dragibus.
— Merci bien. Allez, ça va, mon Cœur, c’est bon, c’est rien, murmuré-je en le câlinant alors que nous tournons dans la rue du coffee shop.
Je ne peux m’empêcher de fixer le porche qui donne chez moi, et me demande si inviter Sacha était une bonne idée. Si ma belle-sœur ou mon frangin le voient monter à la maison, je suis sûre à cent pour cent que je vais en entendre parler.
Je tape le code sur le clavier et entrouvre la porte avant d’y aller plus franchement en constatant qu’il n’y a personne dans la cour. Nous montons les deux étages et je zieute bêtement la petite fenêtre du premier qui donne sur la salle de bain de chez eux. Stupide, je devrais totalement m’en foutre, de tout ça. C’est pas le tout de le revendiquer, il faut aussi le faire réellement.
— Tu veux prendre une douche, Sacha, ou celle de la piscine t’a suffi ? lui demandé-je en refermant la porte d’entrée derrière nous.
— Non, je me suis bien frotté et j’ai réussi à éliminer l’odeur de chlore. Tu as besoin d’un coup de main avec le petit ?
— Eh bien, je pense qu'on va mettre le pyjama et faire à manger. Il aime bien m'aider, en général, mais là, je pense que c'est mort, ris-je en déposant l'intéressé sur le canapé. Qu'est-ce que tu veux faire pendant que Maman prépare à manger, Petit Kangourou ?
— Je ne suis pas mort ! râle Mathis en fronçant les sourcils. Et si je peux pas faire la cuisine, je veux jouer avec Sassa !
Je lève les yeux en direction du pauvre homme que mon fils va prendre en otage, et vois à son sourire que ça n'a pas l'air de le déranger.
— Si c'est OK pour Sacha, c'est bon pour moi. Tu vas essayer de te mettre en pyjama comme un grand, d'abord ? Si tu as du mal, tu m'appelles.
— Oui, Maman ! s’écrie-t-il en bondissant vers sa chambre, sous nos regards amusés.
— Quelle énergie ! Franchement, ton fils est vraiment trop mignon.
— Il est épuisant, pouffé-je. Et là, une chance sur deux qu'il s'endorme assis par terre en tentant de mettre son pantalon de pyjama. Ou alors, il me retourne sa chambre en jouant à tout ce qui se trouve dedans en l'espace de quinze minutes. Tu te doutes de l'option que je préfère ?
— Je vais aller l’aider, si tu veux, ça ne me dérange pas et comme ça, il sera en pyjama et tout sera bien rangé.
— Non, attends, laisse-le se changer tout seul, souris-je sans vraiment savoir si je réponds ça pour mon propre intérêt ou pour celui de mon fils. On est dans l’apprentissage, il faut qu’il se débrouille un peu. Tu veux boire quelque chose ? J’ai peur que mon frigo soit un peu plus vide que ce que je pensais quand je t’ai proposé de venir… Purée industrielle et steack haché, c’est bon pour toi ?
— Oui, ne t’inquiète pas, je ne suis pas difficile. C’est déjà gentil de m’avoir invité.
— Je te promets que la prochaine fois, j’essaierai d’avoir plus de trucs à te proposer, ris-je. Là, c’est un peu la honte. Sinon, on peut se faire un petit déjeuner. J’ai de la brioche faite d’hier, de la confiture, des cracottes… Ça peut être sympa aussi. Et j’ai de quoi faire des crêpes, éventuellement.
— Ah oui, des crêpes, ça fait une éternité que je n’en ai pas mangées ! Tu me mets l’eau à la bouche !
— Va pour les crêpes alors, dis-je en passant la tête par l'entrebâillement de la chambre de Mathis. Regarde ça… Il fait la sieste.
Effectivement, mon fils s’est assoupi sur le tapis. Il a réussi à enfiler son pantalon, mais il a abandonné avant le haut. J’hésite une seconde à le mettre dans son lit, mais je le laisse où il est. Mère indigne ? Peut-être un peu… mais le tapis est épais, y a pire. Je referme la porte après que Sacha a regardé à son tour, se collant dans mon dos pour le faire.
— Bien, au moins, tu vas pouvoir me filer un coup de main pour les crêpes, ris-je en me retournant, me retrouvant tout près de lui qui n’a pas reculé.
— Parce qu’en plus il faut que je participe ? Mais ce n’était pas prévu, ça !
— Oh, pitié, ne me dis pas que tu es du genre à mettre les pieds sous la table ?
— Non, du tout, je te rassure. Ma mère m’a bien élevé et je suis prêt à faire tout ce que tu me demanderas.
Tout ? Pourquoi ce n’est absolument pas à la pâte à crêpes que je pense, là ? Merde… merde, et re-merde, on se calme, Livia. Rencard avec Hector, ce soir.
— Tu me rassures alors. Au boulot, coll… Ouais, non, je vais arrêter de t’appeler collègue quand on n’est pas au boulot, ça fait bizarre.
Je passe entre lui et le réfrigérateur pour pouvoir sortir les ingrédients. Inutile de dire que le contact entre nous est plus agréable qu’avec mon électroménager, mais je ne m’attarde pas et récupère le nécessaire. La cuisine n’est pas très spacieuse et Sacha attend que tout soit prêt pour passer à l’évier pour se laver les mains. Bien élevé, je confirme. Je le regarde faire, le sourire aux lèvres, et me fais griller en beauté.
— Tu n’as jamais vu un barbu qui se lave les mains ? se moque-t-il en m’adressant un sourire craquant.
— Tu viens de casser le mythe, en fait. Pour moi, les mecs sont sales. J’ai trois frères, je te rappelle, ris-je en lui tendant l’essuie-mains.
— Et tu as d’autres mythes me concernant ? Que je sache quel est le prochain que je vais briser.
— Je sais pas… Je pense que je vais en prendre conscience au fur et à mesure. Tu cuisines ? Enfin… tu cuisinais, avant ?
— Je m’y étais mis un peu, oui, pour faire plaisir à ma sœur, mais ça fait un bail que je n’ai rien préparé, tu dois t’en douter.
— OK, gloussé-je en me hissant sur le plan de travail, près des ingrédients. Alors c’est moi le chef de cette cuisine, et je compte bien t’observer galérer. Et te donner des ordres si besoin. Oh, oui, je sens que ça va être sympa !
Il hausse les sourcils et me regarde avant d’éclater de rire.
— Eh bien, si j’avais su que j’allais devoir tout faire, je me serais un peu ménagé à la piscine ! Je commence par quoi, alors ?
— Garde de la force pour mélanger la préparation à la fin, surtout, mon batteur électrique est tombé en panne, j’ai besoin de tes biscottos, souris-je en palpant son biceps. Tu connais la recette des crêpes, j’espère ?
— Farine, œufs et lait, et une pincée de bisous, je crois. C’est bien ça ?
Il ne perd pas le Nord et je suis sûre qu’il a conscience de reprendre l’avantage en me sortant ça. Il ne faut pas que je me laisse surprendre comme ça.
— Il faut du sucre, du sel, de l’huile et de la fleur d’oranger aussi. Liste incomplète, mauvaise réponse. Du coup, pas de baiser, désolée.
— Ah mince, il faudra que je me rattrape, alors ! Mais bon, la fleur d’oranger, c’est pour faire des crêpes de luxe, non ? Si j’étais mauvaise langue, je dirais que tu n’as ajouté cet ingrédient que pour m’empêcher de faire ça.
Il se penche et dépose un petit bisou sur mon nez avant de se reculer et de se diriger comme si de rien n’était vers le frigo alors que je reste un instant sans voix.
— Je… je mets toujours de la fleur d’oranger dans mes crêpes. Je ne sais pas si c’est du luxe, mais c’est non négociable, dis-je en le suivant du regard, prenant le temps de détailler tout ce qui peut l’être.
— Je ne sais même pas à quoi ça ressemble. Je trouve ça où ? Au frigo ? Il faut que je trouve un oranger en fleurs d’abord ?
— Non, tu ouvres la petite bouteille bleue juste à côté de moi et tu verses un bouchon dans la préparation. Allez, deux-cent-cinquante grammes de farine, trois œufs, deux cuillères à soupe de sucre, une d'huile. Tu fais un petit puits au milieu et tu verses un demi litre de lait en mélangeant, dis-je le plus sérieusement du monde en me prenant pour une cheffe.
— Tu ne rigolais pas quand tu disais qu’il n’y aura pas de bisous, dis donc ! Et le jus d’orange, je le rajoute quand, alors ? demande-t-il en m’adressant un clin d'œil.
— A la fin de la préparation. Pour la fleur d’oranger, et pour le bisou, s’il n’y a pas trop de grumeaux.
Cette proposition a l’air de le motiver car il s’active soudainement à la préparation de la pâte à crêpes, et je crois que vu la vigueur qu’il met à tout mélanger, il tient vraiment à ce bisou. Et moi je l’observe faire avec attention et finis par plonger mon doigt dans la préparation avant de le porter à ma bouche. Sacha suit mon geste des yeux et un sourire canaille s’affiche sur ses lèvres.
— C’est délicieux, soufflé-je. Tu vois, la cheffe t’a bien guidé, cette pâte est parfaite.
— Aucun grumeau, tu vois ? Je crois que cela mérite une récompense ! ajoute-t-il, fier de lui.
Une partie de moi préférerait se dégonfler, mais je la fais taire d’une gifle imaginaire et attrape le beau gosse par le col de son tee-shirt pour attirer ses lèvres contre les miennes. C’est tout doux, contrairement à mon premier geste, comme si nous nous retrouvions tous les deux intimidés alors que l’on cherche clairement ça depuis des jours. Je m’apprête d’ailleurs à rompre le contact quand je sens ses mains se poser sur mes cuisses tandis qu’il se colle contre moi et approfondit notre baiser. Je sens sa langue caresser mes lèvres et s’immiscer entre elles, et la mécanique se remet en route de mon côté. Je glisse mes mains sur sa nuque et enroule mes jambes autour de ses hanches.
Je ne sais pas combien de temps dure ce doux moment, mais c’est la voix de Mathis qui nous pousse à retrouver brusquement contact avec la réalité.
— Mamaaaan !
— Désolée, pouffé-je en posant mon front contre son épaule. Il semblerait que le petit monstre ait besoin de moi…
— Il semblerait en effet, mais ne t’inquiète pas, je finis de préparer les crêpes et on verra si j'ai le droit à d’autres récompenses. La première était… très motivante !
— T’as intérêt à assurer alors !
Je saute du plan de travail et vais rejoindre mon fils qui s’est réveillé et semble totalement perdu, comme s’il ne savait plus où il est et à quel moment de la journée nous sommes. Vive les micro-siestes. Si je suis honnête, j’avoue être sans doute aussi paumée que lui, mais pas pour les mêmes raisons. On en parle du fait qu’un baiser avec Sacha m’a procuré au moins dix fois plus de plaisir que celui avec Sébastien ? Et que j’ai carrément envie de recommencer au plus vite ? Je suis mal… Vraiment très mal, là.
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