41. Un flic en colère
Sacha
J’arrive sur la place où se situe le café sous un grand soleil. La température est particulièrement agréable et j’aime voir le centre ville toujours aussi animé quelle que soit la période de l’année. Saint-Denis est vraiment une ville plaisante où les touristes se mêlent aux locaux et où il fait bon vivre. Et non, je ne dis pas ça parce que c’est la ville où vit Livia. Enfin, pas que pour ça ! J’espère qu’elle sera contente de me voir parce que je ne l’ai pas prévenue de ma venue matinale. Je ne commence le service qu’à quatorze heures, tout comme elle d’ailleurs, et je me suis dit que j’allais m’inviter chez elle pour le déjeuner. Il y aura Mathis donc on ne pourra pas s’adonner à notre passe-temps préféré, mais on pourra au moins se voir, discuter, échanger. Je dois vraiment être accro si je peux juste me contenter de ça.
Sur le chemin, j’achète quelques plats à un restaurant chinois et c’est avec le sac de nourriture à la main que je me dirige vers le coffee shop. J’aime vraiment beaucoup cet endroit et je constate en passant devant la devanture qu’il y a pas mal de monde malgré les vacances. La mère de Livia est au comptoir et se charge de servir les clients, elle est trop occupée pour remarquer mon arrivée, je passe devant la devanture et m’engouffre discrètement dans la cour intérieure puis les escaliers qui mènent à l’appartement de la femme qui me rend si heureux. J’ai vraiment hâte de voir la tête de Livia quand je vais sonner chez elle, je suis presque sûr qu’elle va me sauter dans les bras et m’embrasser tellement elle sera contente de me voir. Cette pensée me fait sourire et je commence déjà à m’imaginer une façon de m’isoler avec elle loin de Mathis. Prétexter une douche à deux ? Mettre Mathis devant un dessin animé pour l’occuper et s’enfermer dans la chambre ? Ou alors, peut-être que je pourrais…
— Eh bien ! tonne une voix dans mon dos alors que je m’étais perdu dans mes rêveries. Tu viens faire quoi à trainer ici ? Tu sais que le café est au rez-de-chaussée ?
Je sursaute et me retourne sur le champ pour me retrouver face à Louis, le grand frère de Livia qui vient de sortir de chez lui, vêtu de son uniforme. Il a l’air aussi surpris que moi de me voir mais il a la main sur sa matraque et son regard est menaçant. J’ai l’impression d’être revenu trois ans en arrière et mes instincts primitifs de peur du gendarme et de défi envers l’autorité policière reprennent le dessus.
— On est dans un pays libre, il me semble. J’ai encore le droit d’aller où je veux, non ? Je n’ai de compte à rendre à personne.
— Tu es dans une cour privée, là. La liberté s’arrête au porche pour toi. Qu’est-ce que tu fiches ici ?
— Techniquement, je ne suis pas dans la cour, mais dans un escalier. Et je suis venu rendre visite à Livia. C’est interdit de venir voir ses collègues à leur domicile, c’est nouveau, ça ?
Je sais que je le provoque et que je devrais faire profil bas, mais depuis que je suis sorti de prison, je respecte la loi et je ne vois pas pourquoi il aurait le droit de me traiter comme un moins que rien, juste parce qu’il est flic et moi un ancien délinquant. Je le surplombe dans l’escalier et le toise, en le défiant clairement du regard.
— C’est interdit d’aller voir ma sœur avec ce petit air satisfait, là. Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Tu bosses au café, te plains pas déjà. Si ça ne tenait qu’à moi, mes parents ne t’auraient jamais embauché. Descends de là, tu n’as rien à faire avec ma frangine.
— Je vais bien où je veux, non ? Tu crois que parce que tu es flic, je vais t’obéir au doigt et à l'œil ? Et ce n’est pas à toi de décider si ta sœur a envie de me voir ou pas ! Tu te prends pour qui ?
— Je ne plaisante pas, fais pas le malin, gronde-t-il en montant les marches dans ma direction. Tu vas dégager de là et foutre la paix à ma sœur et mon neveu.
Alors que je vais protester à nouveau, il m’attrape par le bras et me tire vers le bas. Je résiste juste un instant avant de me dire qu’il ne vaut mieux pas que je fasse trop le mariole. Non seulement il est flic et s’opposer à un bleu en uniforme quand on a un suivi judiciaire, ce n’est jamais une bonne idée, mais en plus, c’est le frère de Livia et si je me défends et lui casse la gueule, elle risque de m’en vouloir après.
— C’est bon, je te suis mais ne me touche pas ou je ne sais pas ce que je serais capable de faire.
— Mais vas-y, j’attends que ça, gamin. Rebelle-toi, que je te ramène au poste illico et finie, ta petite liberté ! me répond-il avec un sourire moqueur sans me lâcher.
Je préfère ne pas répondre et me laisse entrainer. Je suis surpris quand il m’amène non pas simplement dans la rue pour me mettre dehors mais dans le shop. Je me dégage de son emprise et stoppe à l’entrée du café, en le défiant du regard.
— Je commence à bosser à quatorze heures, je n’ai pas à rentrer maintenant. Tu n’es pas mon patron, que je sache.
— Pas dit que tu commences à quatorze heures quand j’aurai balancé aux parents que tu viens voir ma frangine en douce, grommelle-t-il. T’as cru quoi, qu’on allait te laisser faire ta petite vie et te taper Livia comme si de rien n’était ?
— Je me tape qui je veux, bordel ! Et personne ne peut m’interdire quoi que ce soit ! Et puis, qui te dit que je me tape ta sœur ? Non mais franchement, tu t’entends ? crié-je de colère, ce qui fait venir immédiatement la patronne qui nous jauge rapidement.
— Vous voulez faire fuir toute la clientèle ? C’est quoi, ce bazar ?
— Tu sais où j’ai trouvé ce petit con ? Dans la cour ! Il allait voir Livia, tranquille. Tu devais pas le surveiller ? Faut vraiment que vous arrêtiez avec votre lubie à la con d’engager des délinquants, bon dieu ! Vous attendez quoi, qu’ils vous dévalisent ? Qu’ils fassent du mal à vos petits enfants ? Venez pas pleurer après ça !
— C’est quoi cette histoire, Sacha ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils. Tu faisais quoi dans la cour ? Tu allais vraiment voir Livia ? Tu voulais nous dévaliser alors que l’on t’offre un travail pour t’aider à te réinsérer ?
Je sens la colère bouillir en moi mais je me retiens de lui crier au nez que son fils a tout inventé et que j’étais juste dans le couloir pour aller voir sa fille et rien d’autre. Enfin, rien d’autre… rien que je ne puisse leur avouer en tout cas.
— Je ne faisais rien de mal et ce con se croit tout permis parce qu’il a un uniforme. Je n’ai aucune envie de vous dévaliser, ajouté-je aussi doucement que le permet mon énervement.
— Fais gaffe à ce que tu dis, gamin, gronde Louis d’un air menaçant. Je me crois tout permis parce que tu étais chez nous et que tu as des vues sur ma petite sœur ! Si tu crois que je vais te laisser faire, tu te mets le doigt dans l’œil !
Là, il abuse clairement de son autorité et je sens le rouge me monter au cerveau. Je vais lui casser la gueule à ce connard fini et tant pis pour les conséquences. Je ne suis pas une merde qu’on peut traiter comme ça. Je serre les poings, prêt à en découdre, quand la voix de Livia m’interrompt. Nous nous tournons tous vers elle alors qu’elle débarque, pas coiffée et visiblement habillée à la hâte.
— Je peux savoir ce qui se passe ici ? Qu’est-ce que tu fous, Louis ? Je t’ai entendu beugler comme un veau dans les escaliers. Depuis quand tu joues au flic même à la maison ?
— Tu sais ce que cette petite racaille prétend ? Qu’il venait te voir tranquille en dehors des heures de service, comme si c’était normal ! J’y crois pas une seule seconde, je les connais moi, ces petits voyous. Je suis sûr qu’il était en repérage pour un prochain cambriolage. Je vais l’emmener au poste, ça va régler tous les soucis.
Il lui faut quelques secondes pour assimiler ce qu’il dit et son regard se porte sur moi, toujours les poings fermés et vers lui, la main sur sa matraque. Elle sent immédiatement la tension qu’il y a et je suis soulagé de voir qu’elle comprend vite ce qui est en train de se dérouler.
— Fous-lui la paix, Louis, tu te fais des films. Détends-toi et arrête de vouloir jouer au cowboy. J’ai dit à Sacha que j’avais une fuite sous mon lavabo hier, il m’a gentiment proposé de regarder, soupire-t-elle en se glissant entre nous. Faut vraiment que tu arrêtes de voir le mal partout.
— Tu demandes à ton collègue, maintenant ? D’habitude, tu te débrouilles toute seule, non ?
— Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? l’attaqué-je encore. Je suis sûr qu’elle pourrait s’en sortir seule, mais si j’ai envie de lui donner un coup de main, j’ai le droit, non ? C’est quoi ce comportement de flic sans neurone ? Et ce scandale au café, c’est pour me faire perdre mon job, c’est ça ?
— Sacha a raison, c’est quoi tout ce cirque ? Et je ne pense pas avoir de comptes à te rendre, et lui non plus d’ailleurs. C’est pas parce que tu es flic que tu peux tout te permettre. Maman, te laisse pas influencer, s’il te plaît, tu sais ce qu’il vaut, tu sais qu’il bosse bien, ne va pas chercher plus loin.
— Il reste un foutu dealer, bordel ! poursuit le frangin, visiblement agacé qu’on me défende.
— Et alors ? T’es bien un foutu con, ça m’empêche pas de te voir et de discuter avec toi, grand frère !
— Bon, ça suffit tout ça ! Vous faites fuir toute la clientèle. Louis, va bosser et laisse-nous tranquilles, finit par répondre leur mère. Quand on aura besoin de protection, on saura où te trouver. Et toi, Sacha, tu as une fuite à réparer, non ? Soyez à l’heure pour le boulot et arrêtez de faire vos enfantillages. Ici, on est là pour bosser, pas pour faire les gamins. Compris ?
— Oui Maman, sourit Livia en passant son bras sous le mien. Allez, viens sauver la demoiselle en détresse, tu veux ? Mathis est tout seul là-haut en plus.
Livia me tire un peu contre mon gré et parvient à m’éloigner de son frère avant que je ne fasse quelque chose que je finirai par regretter. Toujours en me tenant par le bras, elle m’emmène jusqu’à son appartement et elle ferme la porte derrière elle. Mathis, en me voyant arriver, se jette dans mes bras et je sens immédiatement la tension qui s’était installée en moi disparaître. Je lui fais un petit bisou avant de le laisser retourner à ses jouets.
— Merci d’être intervenue, Livia. Sinon, je ne sais pas ce qu’il se serait passé. Ton frère est un gros con, tu sais ?
— Vraiment ? Tu ne m’en veux pas d’avoir mis mon nez là-dedans ? Je suis désolée pour mon frère, je sais que je n’y suis pour rien mais… Enfin, ça m’énerve. Tu comprends mieux pourquoi je t’ai parlé de discrétion ?
— Oui, tu as bien fait de venir ou j’allais lui casser la gueule… Tu te rends compte qu’il s’imagine que je peux avoir envie de faire un cambriolage ici ? C’est n’importe quoi. Et il est aussi dégouté à l’idée que je puisse avoir des vues sur toi… Quel accueil…
— Ne l’écoute pas, Sacha, c’est… vraiment un foutu con, soupire-t-elle en jetant un œil à Mathis qui joue sur le canapé avant de me sourire. Tu m’aides avec ma fuite ?
— Oui, je vais t’aider avec toute cette humidité, répliqué-je. Et après, on pourra manger chinois, j’ai ramené ce qu’il faut !
Je la suis dans la salle de bain, un peu plus détendu maintenant que je suis avec elle. Enfin, détendu, ça dépend pour quelle partie de mon corps et je me demande si c’est l’adrénaline suite à l’énervement avec Louis qui nous excite ainsi, mais toujours est-il qu’à peine la porte refermée, elle me saute dessus pour m’embrasser. Je l’enlace et la plaque contre le mur pour répondre à son baiser. C’est fou le bien que ça me fait de la retrouver ainsi. Même si nous devons rapidement arrêter en raison de la présence de Mathis juste à côté, savoir qu’elle me soutient et me fait confiance est un vrai réconfort pour moi. Et même si son frère est un vrai con, ce n’est pas le plus important dans notre relation. Ce qui compte, c’est cette complicité et ce désir que nous ressentons l’un pour l’autre. Le reste, on s’en fout. Il faudra juste que j’évite le flic à l’avenir. C’est bien ma veine de m’intéresser à une nana dont le frère va tout faire pour me remettre en taule.
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