45. Sur un petit nuage
Sacha
Je cours dans le métro pour ne pas arriver en retard au centre. Mais pourquoi tous ces touristes ont choisi de prendre les transports en commun à cette heure-ci ? Ils n’ont que ça à faire de traîner dans les couloirs alors qu’il y en a certains qui jouent leur hébergement à quelques minutes près ! En parlant de traîner, il faut dire que je n’ai pas été sérieux et même si je stresse un peu en voyant les minutes qui défilent et se rapprochent à une vitesse folle de l’heure fatidique, je garde quand même le sourire que Livia a su mettre sur mes lèvres.
La journée a été pleine d’émotions et la seule chose que j’ai en tête, c’est qu’elle m’aime. Oui, elle m’aime. ELLE M’AIME. Je le répète encore et encore dans ma tête en me rappelant comment nous avons fini la soirée après la funeste venue de mes anciens potes du quartier. Nous sommes sortis du boulot à deux après avoir fermé le shop et nous sommes montés chez elle. J’ai pu échanger un peu avec ma sœur et j’ai été reconnaissant à ma collègue amoureuse de ne rien dire sur la venue de Jonathan au café. Nous avons mangé rapidement ensemble et ensuite, nous avons mis Mathis au lit. Il s’est vite endormi et cela nous a permis de profiter de la soirée comme nous ne l’avions pas fait depuis quelques jours.
Je me souviens encore de l’air mutin de Livia quand elle m’a attiré sous la douche. Quel bonheur de la voir se déshabiller devant moi et d’apprécier son regard gourmand posé sur mon corps quand j’ai fait de même. Sa peau est d’une douceur à nulle autre pareille et j’adore tout chez elle. Elle a des seins bien gros et bien ronds, juste comme je les aime, des fesses rebondies qui me donnent envie de les dévorer. Et une sensualité qui me fait à nouveau bander alors que les portes du métro se referment derrière moi et que j’entame un petit sprint pour arriver dans les temps au centre. Quand nous nous aimons comme ça, j’ai l’impression que le monde extérieur n’existe plus, qu’il n’y a qu’elle et moi dans notre univers. Son “Je t’aime” lancé quand j’ai enfin réussi à me séparer de ses bras pour courir dans son escalier m’a presque donné envie de remonter mais j’avais déjà assez abusé.
Lorsque je franchis les portes, je salue le veilleur qui est en grande discussion avec Jordan qui me lance un regard mauvais.
— Eh souris un peu, Jordan, tu n’auras pas à faire de rapport pour mon retard au moins ! lui lancé-je alors que je continue sur mon élan jusqu’à mon lit où je me jette, heureux comme jamais.
Même l’épisode de la tentative de recrutement ne parvient pas à me faire perdre le sourire. J’envoie un petit message à Livia qui me répond tout de suite et nous passons la soirée à discuter en visio. Sagement pour une fois, mais on ne peut pas non plus toujours passer notre temps à se masturber et à faire des cochonneries. Une relation, c’est autre chose que ça. Lorsque nous raccrochons, je m’endors rapidement et mes rêves sont étranges, avec principalement Livia qui squatte mon appart au quartier et Jo qui me demande d’aller l’aider mais la porte pour sortir de chez moi est fermée. Quand je parviens à l’ouvrir, je vois ma sœur et mon amoureuse derrière et qui me font non de la tête, ce qui me renvoie toujours brutalement jusqu’à mon lit.
Au réveil, je retrouve avec plaisir Aurélie déjà présente au petit déjeuner. Je lui adresse un sourire et vais me prendre un café et des tartines avant de m’asseoir à une table vide où elle vient rapidement me rejoindre.
— Ça ne te dérange pas que je m’incruste ? Ne perds pas ton sourire, il te va bien, mais il faut que je te parle. Rien de grave, promis. Tu me dis quand ton cerveau est dispo, OK ?
Ce serait difficile de perdre mon sourire, mais quand elle s’installe en face de moi, à ma table, je me demande ce qu’elle veut. Quand les éducs s’intéressent à vous, c’est rarement bon signe.
— Fais comme chez toi parce que clairement, ici, ce n’est pas chez moi. Tu veux me parler ? J’ai fait des bêtises ?
Je me demande si d’une façon ou d’une autre, elle a appris pour la venue de Jo hier au café. Il y avait du monde et peut-être que quelqu’un a raconté l’histoire à mes patrons ? Cela ne m’étonnerait pas et si c’est le cas, je n’ai plus qu’à espérer qu’elle n’ira rien raconter à Irène, ma conseillère en probation parce que sinon, je risque de retourner voir le juge plus rapidement que prévu.
— C’est à toi de me dire si tu as fait des bêtises, me répond-elle en m’observant attentivement. Tu as fait une connerie ? Parce que je vais peut-être réserver ma bonne nouvelle, finalement.
— A part lancer une vanne à Jordan hier soir quand je suis rentré, je ne crois pas, non. Je suis sage comme une image, je bosse et me fais exploiter sans menacer de faire grève et j’ai rencontré une femme super. Tu vois, je mérite d’avoir une bonne nouvelle. Tu ne peux pas dire le contraire !
— Tu as rencontré une femme ? Tout s’explique, rit-elle. Bon, la bonne nouvelle… J’ai proposé ton dossier pour un programme pilote… L’idée, c’est de permettre aux jeunes de se réinsérer plus facilement. Oui, je sais ce que tu penses, t’es pas un cobaye, blablabla, mais ça te permettrait d’avoir un appartement, en fait. Je vois bien qu’ici c’est compliqué pour toi, surtout avec tes horaires…
— Un appartement ? la coupé-je sans avoir vraiment enregistré le reste de ses propos. Je signe où et je pars quand ?
— Y a des conditions, Sacha, on n'a rien sans rien, tu le sais bien, soupire Aurélie avant de boire une gorgée de son café sans me lâcher du regard. Il faut que tu arrives à trouver un temps plein. Concrètement, l’idée, c’est que c’est l’association qui loue le logement et te le sous-loue, tu vois ? Pas d’horaires, pas de visite quotidienne des éducs mais une fois par semaine ou quinzaine… Globalement, c’est positif, même si la condition de base est contraignante. Sans parler du fait qu’évidemment, pas de trucs illégaux, hein ?
— Tout ça a l’air trop beau pour être vrai. Il n’y a que ça comme condition ? Pourquoi l’association me donnerait un logement plutôt que de me garder ici ?
— Parce que tu es insupportable et qu’on a hâte que tu te casses ? se moque-t-elle. Tu te rappelles que je t’ai dit que je pensais que tu pouvais t’en sortir ? Ce programme a pour objectif de dispatcher les gens et éviter que vous ne vous tiriez vers le bas. Vous avez besoin d’un environnement normal pour pouvoir vous réinsérer, pas d’un internat aussi strict que pour des ados. Enfin… évite de dire à mon chef que je t’ai dit ça, je ne voudrais pas me faire taper sur les doigts.
— Et vous proposez ça à tout le monde ? Il n’y a pas d’autres gars ici qui ont déjà un temps plein et à qui le programme pourrait bénéficier ? Vous voulez vraiment vous débarrasser de moi, c’est ça ?
— Pourquoi tu poses autant de questions ? Tu ne peux pas simplement savourer la nouvelle et réfléchir à comment avoir un temps plein ? Tout le monde ne cherche pas à se débarrasser de toi ou à te la mettre à l’envers, tu sais ? Vous êtes toujours en train de croire qu’on veut vous entuber, j’ai l’air de vouloir te faire te planter, sérieusement ?
— Non, tu as raison, j’admets que c’est juste étrange de voir des gens qui veulent nous aider à nous en sortir plutôt qu’à nous enfoncer. J’ai jusqu’à quand pour trouver ce temps plein si je veux pouvoir avoir l’appart ? J’espère que j’avais le droit à une dernière question. Mais bon, si tu disais tout tout de suite, ça m’éviterait de te bombarder d’interrogations, me moqué-je en lui souriant.
— Disons que tu as un mois, mais qu’il faudrait vraiment que tu fasses au plus vite. Je sais que c’est galère, et si tu veux un coup de main, il ne faut pas que tu hésites à me demander, OK ?
— Ecoute, je vais déjà essayer de voir avec mes patrons actuels… Et si ça ne marche pas, on voit pour une autre solution ?
— On fait ça. Tu ne ronchonnes donc pas ? C’est ce boulot qui te plaît tant ? Ou tu m’aimes bien, finalement ? Ou alors… tu vis d’amour et d’eau fraîche ? sourit-elle.
— Qui c’est qui pose plein de questions maintenant ? Tu ne sauras rien de plus ! Tu crois quoi, que je vais admettre que j’aime bien une éduc ? Jamais de la vie !
— Qui ne tente rien n’a rien, rit-elle. Et pour info, je préfère le chocolat au lait aux noisettes, si des fois tu veux me remercier pour mon travail avec toi.
— J’y penserai si j’arrive à avoir ce temps plein, Aurélie. Mais le “merci”, je te le donne déjà d’avance.
Je lui souris et me précipite dans ma chambre où je compose immédiatement le numéro de Livia qui me répond après quelques sonneries, surprise de mon appel matinal.
— Bonjour Livia, il faut que tu m’aides. Tu crois que tes parents peuvent me donner un temps plein rapidement ? Genre dès lundi prochain ? Et au fait, je ne te l’ai pas encore dit ce matin, je t’aime ! balancé-je sans reprendre ma respiration.
— Oulah.. Tu as mangé du lion, ce matin ? rit-elle à l’autre bout du fil. Bonjour à toi aussi, Sacha. Je vais essayer de ne rien oublier de ton monologue. Un temps plein ? Je ne sais pas, il faudrait que je leur en parle… Je ne te garantis rien, tu commences à les connaître, tu les imagines moins venir au café ? Pourquoi ça urge, tout à coup ? Tu as trouvé un appart’ ? Et pour la fin, moi aussi, mais je ne suis pas seule, il y a un petit monstre avec moi qui risque de poser des questions !
— Fais-lui un bisou de ma part alors, et dis-lui que les petits monstres sont les plus mignons ! Et oui, je peux avoir un appart si j’ai un temps plein. Une expérimentation dont m’a parlé Aurélie ce matin au petit déjeuner. Si on les convainc, tes parents, à moi la liberté ! Tu te rends compte de ce que ça voudrait dire pour nous ? Il me faut ce temps plein, mon Amour !
Je n’arrive pas à redescendre et reste sur mon petit nuage, toujours aussi excité par les perspectives qui s’ouvrent à moi si j’arrive à décrocher ce temps plein.
— Un bisou ? Mais je lui en fais plein, moi, des bisous, me dit-elle avant que je n’entende le rire de Mathis résonner dans l’appareil. J’adore faire des bisous ! Bref, je vais aller tâter le terrain avant de bosser, promis. Je me rends compte, mais surtout pour toi, avant tout, Sacha. C’est génial comme opportunité.
— Tu veux que je vienne aussi pour défendre ma cause et leur certifier qu’ils ne le regretteront pas ou tu fais ça sans moi ?
— Non, pas cette fois, mon Loup. Je vais jouer la fille modèle qui se soucie de leur santé. Et puis, j’ai peur que tu prennes le melon quand je vais leur dire que tu fais très bien ton boulot et qu’on peut avoir confiance en toi.
— Moi aussi, je t’aime, ma Chérie, ris-je. Si tu as des bonnes nouvelles, tu m’appelles, hein ? Et si tu penses à un truc que je pourrais faire pour l’obtenir, ce temps plein, tu me dis. Merci de ton aide ! Et je te fais plein de bisous, encore plus qu’à Mathis ! Je t’aime à ce point-là !
— Promis, je te tiens au courant. Y a pas grand-chose à faire, mais j’ai bien une idée de ce que tu pourrais faire pour me remercier d’essayer, en revanche. A tout à l’heure, et… je t’aime encore plus, termine-t-elle dans un murmure.
Elle raccroche et je suis toujours sur mon nuage. Je réalise que je sur-réagis, que je devrais moins m’emporter mais pour la première fois dans ma vie depuis longtemps, j’ai l’impression que les étoiles s’alignent, que la chance est en train de tourner et que je peux enfin entrevoir une opportunité de m’en sortir vraiment. Peut-être qu’il y a un ange gardien qui veille sur moi et qu’il s’est enfin réveillé. Après tout ce qui m’est arrivé, il doit s’en vouloir et essaie de se rattraper, mais franchement, là, il fait fort : une femme qui m’aime, des travailleurs sociaux qui m’aident et un appartement ? Je ne peux rien demander de plus.
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