54. Papy n’aime pas les folies
Livia
Je souris en sentant le bras de Sacha me maintenir contre lui alors que j’essaie de bouger. Mathis est lové contre moi, son nez et sa main contre mon sein comme lorsque je m’endormais avec lui alors qu’il tétait, bébé, et sa respiration apaisée contraste totalement avec mon besoin de filer à la salle de bain. Sacha, lui, est collé dans mon dos et m’enlace fermement. Je sens sa paume chaude sous mon tee-shirt, posée sous ma poitrine. Je sens son souffle contre ma nuque et j’ai juste envie de rester là indéfiniment, loin du quotidien, lovée contre deux des personnes les plus importantes de ma vie. C’est quand même fou… Chacun d’eux a débarqué alors que je ne m’y attendais pas, et j’ai vécu deux coups de foudre ou presque, et je ne peux plus envisager ma vie sans l’un ou l’autre. C’est aussi excitant que flippant, je crois. Surtout en ce qui concerne Sacha, que je connais en tout et pour tout depuis deux mois. Si on m’avait dit qu’un jour je tomberais follement amoureuse d’un ancien délinquant en pleine réinsertion, je me serais bien marrée… ou d’un petit jeune de quasiment dix ans mon cadet… moi qui appréciais de sortir avec des hommes plus âgés que moi. Ouais, cette année prend une tournure folle à laquelle je ne m’attendais absolument pas.
Je me retourne doucement en prenant garde à ne pas bousculer mon fils et souris en croisant le regard endormi du beau barbu dont je partage la couche. Qu’est-ce qu’il est mignon, c’est fou. J’ai l’impression qu’il a retrouvé un second souffle depuis qu’il sait qu’il va avoir un appartement, et que toute sa petite personne s’est détendue. Sacha fait son âge, malgré cette barbe fournie, et je crois qu’il retrouve une sérénité perdue il y a longtemps, c’est comme s’il avait renoué avec son côté innocent, comme s’il profitait à nouveau de la vie qu’il devrait avoir à vingt-trois ans, loin des problèmes, de la prison, des contraintes.
Je dépose un petit baiser sur sa bouche et cherche à me lever, mais il m’attire et me maintient contre lui en souriant pour m’embrasser plus franchement. J’ai bien fait de flancher hier soir, je crois que j’en avais grandement besoin, et lui aussi, même si jamais il ne m’a reproché de garder davantage mes distances. Est-ce que j’ai cherché à le punir pour son attitude ? Peut-être un peu, oui. Est-ce que je suis vilaine ? Sans nul doute. Est-ce que l’orgasme d’hier soir était phénoménal ? Assurément. J’ai presque envie de vivre de frustrations pour que chaque retrouvaille charnelle soit si puissante.
Je repousse cependant gentiment sa main qui s’amuse à tirer sur ma petite culotte et l’embrasse sur la joue en me redressant.
— J’ai faim, chuchoté-je. Tu as de quoi petit-déjeuner ou il faut aller à la boulangerie ?
— Il y a tout ce qu’il faut. Enfin, sauf les croissants et petits pains au chocolat, mais il y a du pain, ça ira ?
— Bien sûr que ça ira. Je te proposerais bien de te préparer le petit déjeuner, mais ce serait t’enlever ta première fois ici, alors… si tu veux, tu peux me le préparer, en revanche, lui dis-je, un sourire innocent que j’espère convaincant.
— Bien sûr que je te fais ça. Tu as rendu cette première nuit ici fantastique, je te dois bien ça. Je peux avoir un dernier baiser avant que ton fils ne se réveille ?
— Ce ne serait pas très sérieux, ça…
Je souris malgré tout et le repousse sur le dos pour le chevaucher. Oui, je joue avec le feu, parce que Mathis est endormi à côté de nous, que je vais réussir à nous exciter alors qu’il serait risqué de faire des bêtises maintenant. Pour autant, je me penche sur lui et l’embrasse dans le cou en sentant ses mains caresser mes cuisses, échauffant ma peau sur leur trajet tandis que mes lèvres caressent les siennes.
— Eh bien, on dirait que nos folies t’ont manqué autant qu’à moi ! s’exclame-t-il doucement avant de m’embrasser avec une fougue qui me réveille encore plus que je ne l’étais déjà.
— Tu m'as rendue accro, c'est vilain de ta part, soufflé-je en me rallongeant à ses côtés.
— Je me suis toujours fait une fierté de ne dealer que dans les meilleures drogues, tu sais. Pas étonnant que tu sois devenue accro, mais je doute que tu le sois autant que moi !
— Cantonne-toi à celle-ci, tu veux ? Et rien que pour moi.
Je lui souris, espérant que la légèreté de mes propos ressorte plus que tout ce que représentent vraiment ces mots, et dépose un baiser sur sa joue alors que mon ventre se met à gargouiller bruyamment.
— Je ne crois pas qu'on puisse vivre d'amour et d'eau fraîche, ajouté-je. Du moins, mon estomac n'est pas d'accord.
— Je vois ça, Madame la Gourmande. Je nous prépare ça tout de suite, profites-en pour réveiller le petit loir à tes côtés.
J’acquiesce tandis qu’il dépose un baiser sur mes lèvres et se lève pour sortir de la chambre. Je souris en l’observant partir, particulièrement touchée qu’il veuille que Mathis partage le petit déjeuner plutôt que de le laisser dormir afin que nous ne soyons que tous les deux. Quelques papouilles et bisous à mon fils suffisent à le réveiller et il se love contre moi en s’étirant.
— Bonjour mon petit Cœur, murmuré-je en le serrant dans mes bras. Bien dormi ?
— On est où, Maman ? Je… C’est pas ma chambre !
— On est chez Sacha, on l’a aidé à emménager, tu te rappelles ? Tu t’es endormi avant qu’on rentre, alors on est restés ici. Et il est en train de nous préparer le petit déjeuner.
— Oh ! Sassa ! J’ai faim ! crie-t-il en s’éloignant de moi pour sauter en bas du lit et courir vers la porte.
Ok… et mon câlin du matin ? Je vois que l’appel de l’estomac vient de moi. Je soupire et me lève à mon tour alors qu’il a déjà déboulé dans la petite pièce de vie, et le trouve dans les bras de Sacha, comme si tout était normal. En voilà un qui n’est pas trop déboussolé par la situation et la nuit dehors.
— Tu avais tout prévu, dis-donc, souris-je en voyant le chocolat en poudre. Ou tu fais des infidélités au café de temps en temps ?
— J’aime bien le chocolat, c’est vrai, mais j’imaginais bien qu’un jour, Mathis serait là. Je ne pensais pas que ce serait le premier matin !
Je m’installe à table et observe les deux hommes de ma vie ensemble avec tendresse. Et peut-être une pointe de jalousie, aussi. C’est fou que ces deux-là s’entendent si bien, que Mathis l’intègre aussi facilement à sa vie. Et que tout soit si naturel alors que nous petit-déjeunons tous les trois, comme une vraie petite famille. Je ne sais pas pourquoi c’est ce matin que ça me frappe à ce point, alors qu’on n’est même pas chez moi, mais j’ai vraiment cette sensation. Et c’est flippant. Presque aussi flippant que c’est rassurant. Je me rends compte que si c’est un équilibre à trouver, je peux m’épanouir auprès de ces deux-là et leur apporter quelque chose, être là pour eux.
— Bon, on va rentrer à la maison, soupiré-je en regardant l’heure sur mon téléphone. Et te laisser finir de t’installer et trouver tes marques.
— Déjà ? demande mon fils, triste de devoir partir si tôt.
— Eh, c’est pour mieux revenir, lui dit Sacha. C’est quand vous voulez !
— C’est gentil, mais je crois qu’on va te laisser t’ennuyer un peu pour que tu sois content qu’on s’incruste ou que tu veuilles retrouver la chaleur de notre chez-nous, souris-je en débarrassant.
— Je risque de passer plus vite que tu ne le crois. L’ennui va vite venir, j’ai l’impression.
— Mais non. Je suis sûre que tu vas savourer le calme. Pas d’éducs dans les parages, pas de petit monstre qui crie et court partout, pas de copine chiante… Ça va te faire du bien, non ?
— S’il y a bien une chose qu’elle n’est pas, c’est chiante.
— Tu vas récupérer ton doudou et ta tétine dans la chambre, Mathis ?
Mon fils soupire comme un ado et descend de sa chaise pour s’exécuter, et j’en profite pour embrasser Sacha rapidement avant qu’il ne revienne. En quelques minutes, les vêtements sont tous enfilés, les chaussures aussi, et les au revoir sont lancés plus chastement, avec promesse de s’appeler dans la journée. De vrais ados déjà en manque à peine séparés, c’est fou.
Ce qui est bien avec le nouvel appartement de Sacha, c’est qu’on peut rentrer à la maison en vingt minutes à pied. C’est plutôt agréable de se balader à cette heure. Il ne fait pas encore trop chaud et il n’y a pas grand monde dans la rue.
En revanche, la température se rafraîchit rapidement quand nous arrivons devant le porche de notre immeuble, ouvert alors que mon père arrose les géraniums tout moches de ma mère. Le regard qu’il nous lance, alternant entre Mathis et moi, ne me dit rien qui vaille. J’ai l’impression de redevenir une ado qui vient de faire une bêtise, et j’ai beau essayer de me blinder, je sens que je ne vais pas sortir indemne de cet échange.
— Coucou Papy !
— Coucou Mathis ! Vous êtes allés faire un petit tour de bon matin ?
— Non, on n’a pas dormi à la maison !
Merde, merde, merde et re-merde. Ça pue, tout ça.
— Mathis, regarde, tu as oublié de ranger ton vélo. Tu peux aller jouer un peu avec avant qu’on monte, dis-je en fermant la porte du porche alors qu’il se précipite vers son quatre roues.
— Ah, je vois, reprend mon père en me détaillant des pieds à la tête. Tu l’emmènes dans tes aventures nocturnes, maintenant ? Je croyais que tu voulais l’élever mieux que ça. Tu aurais pu le laisser chez ton frère, au moins. Je n’ai pas envie d’imaginer tout ce dont il a pu être témoin, le pauvre petit.
Je suis tellement sur le cul de l’entendre me dire tout ça que je ne réponds pas immédiatement. Est-ce qu’il a une si mauvaise opinion de moi qu’il pense que je peux mettre mon fils en danger ? Bonne question, sachant que je sors de chez un ancien délinquant chez qui nous venons de dormir… Aïe, est-ce qu’il a raison ?
— Je… Qu’est-ce qui te dit que je n’étais pas chez Diego ? Ou chez Isa ? Pourquoi tu vas tout de suite t’imaginer le pire ?
— Parce que tu étais chez eux, peut-être ? me demande-t-il, l’air vraiment déçu de mon comportement.
Je ne sais pas mentir… et mon père a toujours été très doué pour discerner mes mensonges.
— Non, on a juste aidé un ami à déménager et on a fini tard. Mathis s’est endormi sur le canapé, je n’ai pas voulu le réveiller pour rentrer. C’est bon, t’as fini ? Je vois de qui Louis tient son talent d’emmerdeur. Heu… d’enquêteur, pardon.
— C’est qui cet ami ? demande-t-il, suspicieux. Je pensais qu’on les connaissait tous, les membres de ton gang.
— Je… Qu’est-ce que ça peut te faire, franchement ? soupiré-je. On était chez Sacha. Il vient d’emménager dans son appartement.
Autant lui dire, de toute façon, Mathis va bien finir par lâcher la bombe. Ce n’est qu’un enfant, il n’a pas conscience que cette information devrait rester entre nous.
— Ah je vois, désolé, je retire ce que j’ai dit, ce n’était vraiment pas pour faire des bêtises. Tu as un trop grand cœur, ma fille. On l’aide déjà assez comme ça, tu ne trouves pas ? Il n’a donc pas d’ami qu’il te réquisitionne comme ça?
— Il m’a moi, comme amie. Bref, je vais y aller avant de m’énerver. Contente de voir qu’embaucher Sacha vous donne bonne conscience, marmonné-je en m’éloignant. On rentre, Mathis. On ira au parc tout à l’heure pour faire du vélo. Tu viens ?
Nouveau soupir de mon fils, qui semble plus adolescent que jamais. Ça promet pour la période terrible d’ici quelques années. Pour le moment, il obéit quand même et me rejoint dans les escaliers afin de rentrer à l’appartement. Et comme d’habitude, je sens que je vais encore passer un petit moment à ruminer ma conversation avec mon père, le tout en me demandant si je fais bien de suivre mon cœur. Pourquoi, quand je suis avec Sacha, je suis si sûre de moi alors que dès que je discute avec d’autres personnes, le doute s’installe ?
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