60. Les doutes sont dans la place

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Livia

Je sors la peinture et étale la vieille nappe en plastique sur la table avant de tout installer. J’adore peindre avec Mathis, mais bon sang, ce gamin est une tornade. Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai fait cette activité avec lui. Je me suis retrouvée couverte de couleurs, sans parler de mes chaises que j’ai eu bien du mal à récupérer. Peinture à l’eau, qu’ils disent… Faut croire que le tissu aime bien ça. Il y a encore la trace de sa petite main sur un mur, c’est à la fois mignon et dépitant. Les gosses sont vraiment cruels. Quand je pense que j’ai tout refait à mon goût ici, qu’Ethan et moi avons sué sang et eau pour rénover ce vieux grenier que mes parents n’avaient jamais aménagé… Et lui, il est arrivé, il m’a poussée à réduire ma pièce de vie pour lui faire une chambre, à entasser mes affaires personnelles pour faire de la place partout pour ses jouets, ses fringues…

— Suis prêt, Maman !

Je souris en le voyant affublé de son tee-shirt spécial peinture. Ok, on s’est amusés à le décorer, à dessiner dessus, et pour le coup, je me dis qu’on pourrait se lancer sur une création de marque de vêtements design, lui et moi…

— Qu’est-ce que tu comptes peindre, aujourd’hui ? lui demandé-je en l’installant sur son réhausseur. Encore un dessin pour l’appartement de Sacha ? Ou cette fois, il sera pour moi ?

— Non, pour Sassa. Il a pas beaucoup de dessins, lui.

Ben voyons. Je vais finir par être jalouse, et le pauvre Sacha sera bientôt envahi. Son appartement n’est pas très grand et, au rythme où va mon fils, tous les murs seront recouverts d’ici la fin de l’année.

Nous nous mettons donc à l’ouvrage et je me retrouve davantage en tant que spectatrice qu’autre chose. D’ordinaire, il aime bien qu’on peigne tous les deux, mais il faut croire qu’aujourd’hui, il veut être fier de pouvoir dire à Sacha qu’il a fait ça tout seul. Le voyant bien concentré, je file me préparer un café et lève les yeux sur la pendule en entendant frapper à la porte. Je n’attends personne à cette heure, et Sacha doit être au café avec ma mère.

Je baisse les yeux sur ma tenue et grimace en me disant que le débardeur de peinture n’est pas l’idéal pour recevoir un visiteur. Tant pis, je déteste qu’on passe à l’improviste alors que le téléphone existe et qu’il est si facile de prévenir.

— Louis ? Qu’est-ce que tu fiches ici au beau milieu de la journée ? m’étonné-je en tombant sur mon frangin, en uniforme, l’air grave. Il s’est passé quelque chose ? Un problème ?

— Mathis est là ? Il faut qu’on l’évacue rapidement. Ton petit ami, ce con de Sacha, il a merdé grave et tu vas avoir des soucis aussi. Je viens te prévenir avant que mes collègues débarquent. Une petite faveur qu’ils me font parce que je suis leur collègue. Tu ferais bien de mieux choisir avec qui tu couches.

— Qu’on l’évacue ? Des soucis ? Petit… bafouillé-je bêtement en tentant d’assimiler ce qu’il est en train de me dire. C’est quoi cette histoire ? Je comprends rien à ce que tu racontes, j’ai rien fait, moi. Pourquoi tes potes viennent ici ?

— Écoute, on n’a pas beaucoup de temps. Ils ne veulent pas que tu élimines des potentielles preuves. Pour la faire courte, on sait de source sûre que Sacha a replongé. Il a participé à un braquage avec ses potes. Il a été interpellé ce matin et comme ils n’ont rien trouvé chez lui à part tes coordonnées et tes photos, ils vont venir faire une perquisition ici. J’ai pas envie de traumatiser Mathis à vie à cause de ce petit con dont tu aurais mieux fait de te méfier. J’ai été clair, là ? Tu vas chercher ton fils pour l’amener chez moi ?

Je me tourne comme un robot vers mon fils et vais l’interrompre dans son activité pour le déposer dans les bras de mon frère. J’avoue que je suis un peu abasourdie par ce qu’il vient de me sortir. C’est quoi, cette source sûre ? Comment Sacha aurait-il pu replonger ? Il est soit à la maison, soit on va chez lui, et les soirs où c’est chacun chez soi, on discute par message ou on s’appelle. C’est juste impossible. Non ?

Louis me fait une remarque que je n’entends même pas avant de descendre les escaliers, et je me tourne vers mon appartement en me demandant si, vraiment, Sacha aurait pu planquer quelque chose ici. Je ne vois pas où il aurait pu mettre quoi que ce soit, et pour quoi faire ? Je n’arrive pas à croire qu’il ait pu recommencer à déconner, c’est juste impossible, à mon sens. Et mes photos ! Bon sang, je grimace en me disant que les collègues de Louis ont pu voir les photos que j’envoie à Sacha. Quelle horreur !

Je n’ai pas beaucoup plus le temps de cogiter que des coups sont frappés à la porte. Bien moins doux que ceux de mon frère. J’ai la sensation de vivre dans une autre dimension quand, en ouvrant, je me retrouve nez à nez avec trois flics aux faciès totalement inexpressifs.

— Bonjour Madame. Nous sommes désolés de vous déranger, mais on a un mandat du juge pour examiner votre domicile. Votre frère vous a prévenue, non ?

— Oui… Entrez, soupiré-je en me rendant compte que je m’écrase comme si j’avais fait une connerie. Vous cherchez quoi, au juste ?

— On doit retrouver le complice de votre petit ami, Madame. On va voir s’il n’a pas planqué un téléphone, ici. Ou des papiers compromettants. Vous avez un ordinateur qu’il utilise parfois ?

— Il ne l’utilise pas, non. Par contre, vous devriez aller fouiller dans le coffre du clic-clac, peut-être que son soi-disant complice est planqué dedans, marmonné-je en les voyant envahir mon intérieur.

— Il est où ce clic-clac ? me répond sérieusement le flic. On doit aller voir, en effet. Et il faut qu’on aille vérifier la chambre de votre fils. Souvent, c’est là que les criminels cachent leurs trucs.

— Ben voyons ! Et quand vous aurez mis la chambre d’un gosse de quatre ans sens dessus dessous, vous irez vérifier dans le tiroir de mes sous-vêtements aussi, tant qu’on y est ? Ou vous comptez me faire une fouille au corps, aussi ? On sait jamais ! J’y crois pas… Sacha a arrêté ses conneries, vous faites fausse route, là.

— Ne le prenez pas comme ça, Madame. On sait que vous êtes une victime, dans l’histoire. Mais on doit faire notre travail. On a un collègue dans le coma, il faut qu’on coince les types qui ont fait ça. Vous devez comprendre, non ? On va faire vite, promis, et on fera attention à ne rien déranger.

Un flic dans le coma ? Mais qu’est-ce qu’il a fait ? Est-ce que je me suis plantée comme pas possible à son sujet ? Je n’arrive pas à m’enlever de la tête que les flics se trompent, et pourtant… Comment être certaine que Sacha n’a pas merdé ?

Je suis le flic qui entre dans la chambre de Mathis et le surveille alors qu’il fouille un peu partout. Et je ne peux m’empêcher de me dire que si Louis n’avait pas été dans la police, les flics auraient débarqué devant lui et retourné sa chambre alors qu’il était là. Quel traumatisme pour un enfant ! Tout ça parce que sa mère est incapable de choisir un type bien pour partager sa vie…

— Vous avez réellement des preuves que Sacha est impliqué ? Je veux dire… Il a vraiment l’air de vouloir rester dans le droit chemin, il fait… Bon sang, il met même l’appoint de sa poche quand il y a un couac dans la caisse.

Le caractère désespéré de ma voix me fait grimacer. Je suis en train de flancher, et ça m’emmerde, parce que j’ai toujours pu compter sur mon instinct ou presque. Sauf que là, je commence à douter…

— Je ne peux rien vous dire, Madame, l’enquête est en cours. Mais si on est là à vous embêter, ce n’est pas pour rien, vous savez ?

— C’est pas simplement parce qu’il sort de prison et que ses anciens potes ont fait des conneries, par hasard ? C’est facile de trouver un coupable quand on n’arrive pas à choper le vrai connard, bougonné-je.

— Il faut faire confiance à la justice, Madame. Je peux voir votre chambre ? Il… Il y vient aussi, non ?

Je lève les yeux au ciel et lui fais signe de me suivre. Bien sûr qu’il vient dans ma chambre, il ne dort pas dans un panier au salon. Quelle question, sérieusement. Je doute qu’ils soient aussi gênés de fouiller chez les gens quand il ne s’agit pas de la famille d’un de leurs collègues, en tous cas.

— Vous permettez que je retourne moi-même le tiroir de mes sous-vêtements ? Je pense que vous en avez déjà vu suffisamment, non ?

Quitte à ce qu’il soit mal à l’aise, j’avoue que je prends un malin plaisir à le regarder droit dans les yeux en lui posant cette question, tentant de masquer ma propre gêne.

— Non, ça ira, Madame, je vous fais confiance, me répond-il en regardant sous le lit et en jetant un coup d'œil rapide à la pièce avant de ressortir retrouver ses collègues qui ont tous l’air aussi bredouilles que lui.

— Il n’y a rien, on peut y aller, annonce un des flics.

— Tiens donc, pas de preuves, soufflé-je. J’imagine que vous allez le relâcher si vous êtes bredouilles, non ?

— Vous savez, ces types, ce sont des experts, pas étonnant qu’on n’ait rien trouvé. C’est le juge qui décidera pour votre ami, Madame. Bonne journée et toutes nos excuses encore pour le dérangement.

— Des experts ? Sacha était juste un gamin qui voulait offrir une vie décente à sa petite sœur, soupiré-je en leur ouvrant la porte. Je suis sûre qu’il n’est pas impliqué dans cette histoire. J’espère que vous vous excuserez aussi auprès de lui quand il sera relâché. Bonne journée à vous, j’espère que ça ira pour votre collègue.

Ils me saluent d’un signe de tête et sortent en silence. Je les observe descendre les escaliers et m’apprête à faire de même pour aller récupérer Mathis, mais je prends tout de même quelques secondes pour souffler un coup. Je ne veux pas qu’il s’inquiète. Je prends aussi un moment pour remettre en place ce qui ne l’est plus vraiment, ou juste pour me réapproprier mon chez-moi, et descends d’un étage pour retrouver le petit gars de ma vie. Je ne suis pas très loquace avec ma belle-sœur et remonte rapidement chez moi, dans ce cocon où je me pensais protégée de tout jusqu’à ce que des flics débarquent et fouillent dans mon intimité. Ou bien est-ce que cela fait un moment que ce n’est plus safe ici ? Est-ce que j’ai vraiment fait entrer le loup dans la bergerie ? Je n’ose pas me l’avouer, une partie de moi reste convaincue qu’il est innocent, quand l’autre se dit que j’ai sans doute encore merdé dans le choix de mon mec. Après tout, s’il y a bien une chose pour laquelle je ne suis pas douée, c’est ça…

— Maman, tu m’écrases, bougonne Mathis.

Je me reconnecte à la réalité et réalise que je me suis installée sur le canapé sans le lâcher pour un câlin qu’il n’a absolument pas demandé.

— Désolée, mon Cœur, Maman a besoin d’un gros câlin, je crois… Tu veux bien ?

— Pourquoi ? Tu as un bobo ? Tu es triste ?

— Je… je dois avoir une bonne raison pour vouloir câliner mon bébé d’amour ? souris-je en déposant un baiser bruyant sur sa joue. Sacha ne viendra pas ce soir, Mathis…

— Pourquoi Maman ? C’est pour ça que tu as un gros chagrin ?

Comment je me dépêtre de ça, moi, maintenant ? Je jure que si Sacha a merdé, j’irai le voir au parloir pour lui dire ma façon de penser. S’il a replongé, il va entendre parler du pays. Oui, il vaut mieux la colère que la tristesse, ça me soulagera sans doute davantage que d’aller pleurer dans mon lit. Bon, ça, ça arrivera sans doute une fois Mathis couché, j’en conviens.

— Un peu, oui. J’ai pas un gros chagrin, Petit Kangourou, je suis juste déçue. Et avec ton câlin, je suis sûre que ça ira mieux, mais… oui, j’aurais préféré que Sacha vienne à la maison ce soir, mais la police croit qu’il a fait des bêtises, tu vois. Il faut qu’il leur dise si c’est vrai ou pas.

— Moi, je sais que Sassa est gentil. Il n’a pas fait de bêtises, la police se trompe, comme toi quand tu as dit que j’avais mangé tout le chocolat ! Il sera là demain, hein ?

— Je ne sais pas, Chéri… Peut-être, mais je ne peux rien te promettre. On verra bien. Bon… Tu veux qu’on finisse la peinture ?

— Oui, je vais finir mon dessin pour lui, j’ai pas eu le temps tout à l’heure.

Bien, et moi, je vais préparer le repas. Au moins, ça m’occupera. Je ne suis pas sûre que ça me permettra de penser à autre chose, mais au moins, ça m’évitera d’appeler Louis pour essayer d’avoir plus d’infos sur ce qui se passe. Parce qu’il ne me dira rien, hormis que j’aurais mieux fait de rester éloignée de Sacha, que je choisis mes mecs aussi mal que ma mère ses lunettes, que je mets mon fils en danger, et bla bla bla… Je n’ai pas besoin de ça, franchement, mon cerveau est déjà un peu trop en train de me rappeler que j’ai invité dans la vie de mon fils un homme qui, peut-être, n’est pas si honnête que ça…

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