Epilogue 2/2 : L’adieu à la cité

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Sacha

Je sors de la salle de classe avec le sentiment de n’avoir rien appris. Ou trop appris. Je ne sais plus. C’est trop de données pour moi et franchement, ce soir, alors que je rentre chez moi, je me demande ce qu’il m’a pris de m’inscrire à ces cours de gestion. Comme si j’étais fait pour devenir commercial ! Mais bon, Livia m’a dit que c’était une bonne idée et elle m’encourage à continuer même si c’est compliqué. Ma prof aussi me pousse à ne pas laisser tomber, mais je crois que c’est plus parce qu’elle aimerait me mettre dans son lit que pour mes talents statistiques ou marketing ! J’en reviens pas qu’elle y croie encore après m’avoir vu avec Livia l’autre jour lorsqu’elle est venue me retrouver. Elle doit être soit aveugle soit vraiment très optimiste si elle pense avoir une chance avec moi !

Je referme mon manteau à cause du froid. On dirait que l’hiver arrive tôt cette année, et les températures douces de l’été indien que l’on a connues la semaine dernière et qui nous ont permis de faire un petit tour en famille à la mer sont loin. Il doit presque geler et je me dépêche de rentrer à la maison pour retrouver la chaleur des bras de ma chérie.

Elle m’accueille à peine je suis entré et me saute dans les bras. C’est fou comme cette envie de se toucher, ce besoin d’être en contact ne diminue pas avec le temps. Je l’embrasse et la fais tournoyer autour de moi.

— Bonsoir ma Belle ! Me voilà ! Toujours aussi bête mais un cours de moins pour avoir mon diplôme !

— Tu n’as jamais été bête, ne dis pas n’importe quoi. Comment ça s’est passé ?

— Comme d’habitude… Plein de trucs qu’il va me falloir revoir à tête reposée… J’ai tellement l’impression de ne rien savoir ou rien comprendre, c’est pas facile à vivre.

— Je suis sûre que tu vas très bien t’en sortir, mon Chéri. La gestion, c’est… comme la compta, chiant mais on s’y fait, tu crois pas ?

Je n’ai pas le temps de répondre car Mathis déboule en courant et se jette dans mes bras, déjà vêtu de son pyjama alors que Marina le suit plus tranquillement.

— Eh bien ! Quelle énergie ! Tu es prêt à aller au lit ?

— Ben oui, c’est bientôt l’heure, t’es en retard ! Avec Maman, on t’a mis une part du gâteau qu’on a fait de côté. Heureusement qu’on l’a fait avant de le manger, parce qu’il était trop bon et Marina, elle voulait tout manger, glousse-t-il.

— Oh, la méchante ! Heureusement que tu es là, toi !

— Tu parles, il a voulu te couper une petite part pour en avoir plus pour lui, ricane ma sœur en venant m’embrasser. Je suis pas plus méchante que lui.

— Je vois, il n’y a que Livia qui m’aime vraiment ici !

Nous sommes interrompus dans ce moment familial si appréciable par des coups forts portés sur la porte et qui nous font tous sursauter.

— Ton frère doit passer ou on attend quelqu’un ?

— Non, rien de tout ça. C’est peut-être Véro qui n’a plus de sel, bien que ça m’étonnerait, c’est pas son genre, grimace Livia en allant ouvrir.

Nous avons alors la surprise de voir une tête que j’aurais aimé ne jamais revoir derrière la porte, celle de Jo, le caïd du quartier qui est toujours en fuite depuis le braquage. Il est souriant même s’il a perdu du poids et, sans qu’on l’y invite, il profite de notre surprise pour entrer et s’installe dans le canapé comme s’il était chez lui.

— Tu crois que tu fais quoi, là ? demandé-je alors que je suis le premier à reprendre mes esprits.

— Je viens voir mon frérot. Ça fait un bail, non ? Jolie famille, en tout cas, ça ferait presque envie…

Je suis un peu à la peine pour savoir comment réagir. Je repose Mathis à terre et fais signe à Marina de l’emmener, mais elle se contente de le prendre dans ses bras et de s’éloigner un peu du jeune homme affalé dans le canapé. Lui, sans gêne, a pris un magazine sur la table et le feuillette comme si c’était normal. J’échange un regard avec Livia qui m’observe en fronçant les sourcils et je hausse les épaules pour lui indiquer que je ne suis pas responsable de ce qu’il se passe et que je ne comprends pas non plus ce qu’il fait là.

— Faites pas cette tête voyons, les amoureux, je ne compte pas vous braquer non plus. Bon, je ne dirais pas non à un petit billet ou deux, mais je suis pas là pour ça, continue-t-il avant de ricaner. Vous avez vraiment l’air cons, là, désolé.

Je m’avance vers lui, déterminé à traiter le problème à bras le corps.

— Tu n’es pas le bienvenu ici. On n’est pas au quartier et tu n’as rien à faire là. Tu sais que tu es toujours recherché par les flics ? Qu’il y en a un qui habite juste en dessous ? Tu es fou de venir ici !

— Sérieux, y a un flic à l’étage du dessous ? Putain, dire que ton surnom c’est l’Intello, est-ce qu’on s’est plantés toutes ces années ?

— Bon, tu veux quoi au juste ? intervient Livia. T’es pas le bienvenu, Sacha te l’a dit, et clairement, t’as juste le temps de te barrer avant que je rameute mon frangin. J’ai juste à hurler et en dix secondes, il est là.

— Purée, elle n’a pas qu’un beau cul, ta meuf, elle a du caractère aussi ! Mais elle a pas de cerveau. Heureusement que ce n’est pas ça que tu baises, hein ? rit-il. Appelle-le, ton frangin, et je te promets que je fais plonger l’Intello avec moi. Tu pourras plus profiter de sa petite bite, ce serait dommage, hein ?

— Arrête de lui parler comme ça, sinon je te casse la gueule. Tu n’as pas tes gardes du corps et tu sais bien lequel de nous deux est le plus fort…

Je fais le fier, mais je n’en mène pas large. C’est une vraie partie de poker menteur qui est lancée et l’enjeu est important. Si seulement je pouvais traiter cette histoire seul et sans la présence de Mathis et Marina, ça me permettrait d’être libre face à ce type que je ne reconnais pas.

— Oh arrête, t’es sérieux, là ? Après tout ce qu’on a vécu, toi et moi, tu vas me lâcher et me casser la gueule ? Devant des gosses ? Et devant ta nana ? Tu veux vraiment qu’ils voient la part sombre que tu cherches à faire taire ?

— Justement, on a vécu plein de trucs ensemble et j’ai passé trois ans en taule pour ça. Et grâce à moi et à mon silence, tu n’as jamais été inquiété. Je ne suis pas fier des conneries que j’ai faites, et j’ai tourné la page, moi. Alors, je répète ma question. Tu veux quoi ? Tu penses faire quoi, ici ?

— Sacha, tu veux que j’appelle les flics ? demande ma sœur qui ne sourcille pas quand Jo lui lance un regard de tueur.

— N’appelle pas les flics Marina, soupire Livia à mes côtés. Je suis sûre qu’on peut régler ça sans causer de soucis à qui que ce soit, non ? Tu veux bien emmener Mathis dans ta chambre, s’il te plaît ?

— Non, elle reste là, j’ai pas confiance, lance Jo, menaçant. Je suis venu parce que j’ai besoin d’un endroit où me planquer. Les flics me pistent et ici, je pourrai me reposer un peu. Tu peux bien faire ça pour moi, l’Intello ? Un petit service à un pote ?

— Et on fait quoi pendant que tu pionces ? On te regarde faire, debouts comme des cons ? Marina, allez dans ta chambre, je crois que Monsieur n’a pas compris qu’il n’était pas chez lui, là. Et je te déconseille de faire le malin, t’as peut-être des muscles, mais t’es tout seul, là. Et hors de question que mon fils reste en ta compagnie, cingle Livia, visiblement agacée.

J’ai peur que la situation dérape et me décide à agir, à faire comme quand j’étais face à des dealers en manque qui me menaçaient. Je m’approche de lui et l’attrape par les épaules pour le relever. Il est surpris et ne réagit pas tout de suite. Au moment où il arme son bras, le geste est tellement prévisible que je le bloque et le repousse contre le mur.

— Alors, Jo, puisque tu ne comprends pas ce que je te dis, je vais te l’expliquer avec nos mots à nous. Tu dégages d’ici ou je te casse la gueule avant d’appeler les poulets. Ici, tu es en territoire ennemi. Tu as merdé, tu dois assumer. Je t’ai dit avant le braquage que je n’étais plus du quartier, je ne le suis plus. Et si tu insistes et continues à me faire chier, non seulement je te mets les keufs au cul, mais je vais voir le gars qui t’a sûrement déjà remplacé au quartier et je lui dis que tu es encore dans le coin. C’est pas en prison que tu vas finir mais dans une décharge publique. Je te le dis une dernière fois et je ne te le redirai pas. Soit tu te casses tout de suite et tu m’oublies comme je vais t’oublier, soit ta vie est à sa fin. Compris ?

— Donc, tu me lâches, vraiment ? Après toutes ces années ? Pas un billet, pas une planque ? Tu me tournes le dos ?

— Ma vie, c’est eux maintenant. Toi, tu es un cauchemar du passé. Barre-toi et remercie-moi de ne pas appeler les flics. Casse-toi de la région, tu es grillé ici. Tu m’as déjà pris trois ans de ma vie, je ne te dois plus rien. Dégage et vite avant que je ne change d’avis. T’es pas un mauvais bougre, mais là, tu me fais pitié.

— J’espère pour toi que tu n’auras plus jamais besoin de moi, Sacha, parce qu’on ne chie pas dans mes bottes deux fois. Un frérot, tu parles, marmonne-t-il en me repoussant.

— Si jamais je te recroise, je te dénonce. C’est clair ? Je ne suis plus ton frérot. Je ne l’ai jamais été vraiment, je pense. Dégage.

— Je l’ai été tant que ça t’arrangeait, ouais, je comprends mieux. Belle vie, enfoiré. C’est sûr qu’avec ta nana, pas besoin de braquer ou de dealer pour se faire du fric, hein ? Tu feras moins le malin si elle te fout dehors, un de ces jours.

J’en ai assez de ses bêtises et je l’attrape par le tee-shirt et le tire violemment vers la sortie. Je ne m’arrête pas en haut des escaliers et continue à le pousser dans les escaliers jusqu’à ce qu’on se retrouve sur le trottoir devant l’entrée de l’immeuble. Livia m’a suivie, sûrement inquiète pour moi, mais Jo est dans un sale état et sans aucune possibilité de réagir. J’ai plus l’impression de voir un homme détruit qu’un caïd prêt à en découdre.

— Je te souhaite qu’on ne se revoie jamais. Les conneries, c’est fini pour moi. Rends-toi à la police, paie ta dette et quand tu sortiras, prends un nouveau départ. Sinon, là, tu vas crever. C’est pas la solution de partir comme ça… Crois-en mon expérience, Jo. Vraiment.

— J’oublierai pas, Sacha, j’oublierai pas que tu m’as tourné le dos quand j’avais besoin de toi, marmonne-t-il. Effectivement, mieux vaut qu’on ne se revoie jamais.

Il referme son grand anorak et remonte sa capuche. J’espère que c’est la dernière fois que nos chemins se croisent, mais là, j’ai une autre inquiétude. Comment Livia va réagir à cette intrusion de mon passé dans nos vies. Elle m’avait dit qu’elle voulait absolument éviter ça à son fils…

— Je suis désolé, Livia, m’excusé-je en refermant la porte d’entrée derrière moi. Je… je ne voulais pas que ça arrive, vraiment. Tu ne m’en veux pas trop ? Je… je sais que j’avais promis mais là, je n’ai pas pu empêcher son intrusion.

— Tu ne peux pas tout contrôler… Je ne peux pas t’en vouloir, voyons, soupire-t-elle en m’enlaçant.

— Tu es sûre que ça va ? Que ça ne remet pas tout en cause ? Et les pauvres enfants, il faut qu’on aille les voir pour les rassurer… Oh putain, quel con, ce Jo. Il a tout gâché.

— On y va dans une minute. Comment tu vas, toi ? Je veux dire… c’était ton ami, je comprendrais que ça te perturbe. Et je t’assure que c’est OK pour moi, Sacha. Vraiment.

— Moi, ça va. Je m’en fous de lui. Je suis à deux doigts d’appeler les flics… et je suis soulagé de voir que tu ne vas pas me mettre à la porte suite à ce qu’il vient de se passer. Tu sais que je t’aime plus que tout ?

— Vraiment ? T’es sûr de toi ? sourit-elle en se pressant contre moi.

— Aussi sûr que je l’ai jamais été. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, soufflé-je en ponctuant mes phrases de baisers. Je suis avec toi et je veux que ça dure toujours.

— Je t’aime aussi, murmure-t-elle en déposant un tendre baiser sur ma joue. Je te préviens, par contre, on risque de dormir à trois, cette nuit… Le petit risque d’être perturbé. Allons retrouver les monstres, mon Cœur.

Nous nous embrassons à nouveau tendrement avant de remonter les escaliers, ensemble. Je suis tellement heureux que mon passé soit en train de s’éloigner, seul dans le froid et que je monte vers mon futur, le cœur léger et en compagnie de la plus merveilleuse des femmes. J’ai de la chance, je le sais, et désormais, j’en ai la preuve, rien ne pourra me détourner du chemin que nous nous sommes choisis. Nous allons être heureux. Aujourd’hui et pour toujours.

FIN

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