Chapitre 2

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 Il est six heures pile lorsque Marius ouvre la porte menant à son sous-sol.

 Ce sous-sol, vous l’aurez compris, n’est pas exactement comme les autres. Disons que, en bas, nous n’y trouvons pas le sapin de noël emballé de janvier à novembre et les vieux cartons d'électroménager que tout le monde garde “au cas où ça serve un jour” alors que ça ne servira jamais. Il n’y a pas non plus de vieilles chaises ni même un ventilateur à pales tordues. Qu’y a-t-il, dans ce cas ? Mais vous le savez déjà. Les pensionnaires de Marius, bien sûr.

 Mais est-ce donc si simple que ça ?

 Au premier abord la porte branlante et les marches menant à la cave n’ont rien d'extraordinaire. Le bois est ancien, rongé par les mites, abîmé par les affres du temps. Le couloir est étroit, le crépis se détache du mur et l’ampoule clignote comme dans un mauvais film d’horreur. Une odeur âpre de renfermé et d'humidité prend au nez. Rien qui ne le distingue vraiment d’un sous-sol classique, en somme. Mais c’est arrivé en bas des marches que la magie opère. Car plutôt que dans une cave sombre et lugubre, c’est dans une verte prairie que mènent les escaliers.

 Si Marius est désormais bien habitué à ce changement de décor, fut un temps où son propre sortilège le laissait coit. Qu’un mage tel que lui, qui n’a jamais brillé que par une sorte de magie, parvienne à pareil résultat tenait presque du miracle. Une petite fierté dont il ne se vante pourtant pas, au cas où le gouvernement viendrait mettre leurs nez dans ses affaires. Créer une dimension parallèle n’est pas un acte magique anodin. Mais il n’y a aucun risque qu’il l’apprenne un jour. N’est-ce pas ?

 Un air guilleret en tête, Marius s’avance dans la prairie, la main en visière sur son front. La transition entre les escaliers sombres de la cave et le soleil éclatant de ce monde est une agression pour ses rétines sensibles. Il pourrait mettre un chapeau mais, vraiment, ça ne lui va pas du tout.

 Les yeux plissés, il parcourt quelques mètres sans croiser âme qui vive. Le pré est silencieux, les brins d’herbe soulevés par un vent tiède propagent une légère odeur printanière. Des pissenlits aux pétales gros comme des ballons de football forment un tapis jaune sous ses pieds. Alors un léger sifflement retentit dans le silence de la prairie, auquel Marius répond par trois claquements de langue.

 Un craquement déchire l’air et apparaît soudain une grange en bois, haute de plusieurs mètres et percée de fenêtres sans vitrage. La double-porte s’ouvre sur un petit être à la peau de pierre, aux cheveux de mousse et au regard hagard.

 « Bien le bonjour monsieur Page, chantonne la créature en frottant son torse rocailleux.

  • Bonjour à toi, Mousse. Tout le monde va bien, ici ?
  • Juna tousse un peu, je lui ai donné du miel de fralon et quelques feuilles de romarin.
  • Parfait. Je vais quand même l’examiner. Elle est là ?
  • A l’étang monsieur. »

 Remerciant son assistant d’un mouvement de tête, Marius traverse la grange et ressort par une petite porte entrouverte, dissimulée derrière de haut ballots de paille. Son nez est aussitôt assailli par une douce odeur de mousse et d’humidité.

 L’étang derrière la grange n’est somme toute qu’un petit coin d’eau bordé de quenouilles, mais Marius lui trouve un charme particulier qu’il ne saurait vraiment expliquer. Sentiment que partage Juna, allongée au bord de l’eau, l’encolure exposée au soleil matinal. Son front percé de deux cornes dorées pivote en direction de Marius, alors que la brise agite doucement sa légère barbiche de crins blonds.

 Un grognement remonte dans sa gorge lorsque le mage s’approche, mais ce dernier ne semble pas apeuré outre mesure. Évitant soigneusement de marcher sur la longue queue serpentine de la Deux-Cornes, il s’agenouille à sa hauteur en posant une main sur son garrot. La créature semble se détendre à son simple contact, permettant à Marius de poursuivre son examen.

 Du bout des doigts, il effleure le corps écailleux de Juna et laisse sa magie pénétrer sous sa peau. Le sortilège se déploie comme un fil d’or, se faufilant entre les muscles et les os, jusqu’à atteindre les poumons de la Deux-Cornes. Alors il ferme les yeux et récolte toutes les informations que son sort lui transmet.

 Si la procédure est indolore pour Juna, le mage sent déjà une fine pellicule de sueur recouvrir son front et ses lèvres. Marius a affiné sa magie au fil des années, sachant désormais où chercher pour être rapide et efficace. Déjà, le fil de son sortilège se rembobine et remonte dans ses doigts, avant de disparaître.

 « C’est bien ce que je craignais. Tu as les poumons bien pris ma belle. Il serait plus prudent que tu rentres. »

 La Deux-Corne renâcle vigoureusement. Rester enfermée pendant des heures, ce n’est pas fait pour elle. Après des années à vivre dans une petite cage et à répéter des numéros sordides pour un cirque ambulant, la simple idée d’avoir autre chose que le ciel au-dessus de la tête ne lui plaît guère.

  « Je sais Juna, je sais. Mais c’est seulement pour quelques jours, le temps que tu guérisses. Je vais te donner un sirop pour dégager tes poumons. Dès que cette vilaine infection sera guérie, tu pourras ressortir. »

 Marius se redresse, s’éloignant de quelques pas pour laisser Juna se relever. D’abord butée, elle demeure allongée, le mettant au défi de la faire bouger. Puis une quinte de toux secoue tout son corps, des naseaux à la croupe. Il ne lui en faut pas plus pour se redresser, ses sabots pointus grattant le sol avec nervosité.

 Marius s’empresse de venir caresser son encolure pour la rassurer, avant de la raccompagner jusqu’à la grange, où l’attend déjà un box propre et paillé. En chemin, il interpelle Mousse :

  « Peux-tu lui mettre de l’eau pendant que je prépare son repas ?”

 Laissant Juna en compagnie du Golem, Marius attrape un gros seau noir qu’il rempli de morceaux de viande conservées dans un petit réfrigérateur. Normalement, il ne garde pas les carnivores dans la prairie, mais une Deux-Corne comme Juna nécessite un habitat ensoleillé pour sa thermorégulation. En échange de la promesse qu’elle ne mangera aucun autre pensionnaire, Marius lui permet de rester, avec deux Lapins-Ballons et une famille de Gobe-Fleur.

 Pour l’heure, aucun accident n’a eu lieu et le mage espère qu’il en demeurera ainsi jusqu’au jour où Juna réintégrera son habitat naturel. Ce qui, il le souhaite, devrait arriver très prochainement.

 Une fois le seau bien rempli, Marius y verse une dose de son petit remède maison, à base de plantes et de miel. Un tonic somme toute relativement simple, mais qui a déjà prouvé son efficacité à de nombreuses reprises. Une bonne cuillère d’huile de poisson plus tard, le repas de Juna est fin prêt. La Deux-Cornes en piaffe déjà d’impatience, à en juger par le martèlement de sabots que Marius entend quelque part dans son dos.

 Il se hâte donc de ramener sa pitance à sa patiente affamée, prenant garde à ne pas y laisser ses doigts. Les Deux-Cornes ne sont pas réputés pour leur douceur et Juna serait capable d’arracher la main nourricière si elle s’attardait un peu trop sous ses crocs. Un grondement de satisfaction monte dans sa gorge quand elle engloutit sa viande, rassurant Marius quant à la qualité de son appétit.

 Le mage se tourne alors vers Mousse, occupé à balayer le foin sur la dalle.

 « Praline et Moustache vont bien ? Et Lilas ?

  • Les Lapins-Ballons sont venu jouer dans le foin ce matin, comme vous pouvez le voir.. Lilas n’a pas quitté son terrier. Elle devrait bientôt mettre bas. »

 Une nouvelle qui ne peut qu’enchanter Marius. Les Gobe-Fleurs sont des créatures frêles et fragiles, et il n’en demeure plus beaucoup à l’état naturel, faute à l’urbanisation détruisant leurs terriers. Ainsi, savoir qu’une portée est sur le point de venir au monde réchauffe le cœur du mage. Qui sait, peut-être parviendra-t-il à sauver cette espèce merveilleuse de l'extinction totale ?

 « Je vais descendre alors, si tu n’as plus besoin de moi, dit-il au Golem.

  • Je viendrais vous quérir si cela change, monsieur. »

 Marius troque alors ses sabots en bois pour une paire de bottes de pluie, ainsi qu’un coupe-vent qu’il ferme jusqu’à son nez. Si la prairie est chaude et verdoyante, la forêt est aussi sombre qu’humide.

 Ainsi attrape-t-il la lanterne à gaz accrochée au mur à sa droite avant d’ouvrir la trappe sous ses pieds. Un relent d’humidité remonte de l’ouverture à travers laquelle Marius n'aperçoit rien que les ténèbres.

 Mais à peine s’est-il engagé sur l’échelle qu’une sonnerie stridente perce la sérénité de la grange. Aussitôt, Mousse déboule devant Marius, lui prenant la lanterne des mains pour l’aider à remonter rapidement. Un soupir agacé échappe au mage alors qu’il retire à la hâte ses bottes et son coupe-vent.

 Cette sonnerie, c’est celle de sa porte d’entrée. Et Marius déteste recevoir de la visite.

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