Stravos...
Intrigante, discrète, sublime, telle était ma voisine. Je l’avais déjà aperçue parmi les acheteurs qui avaient visité l’appartement voisin au mien. J’ignorai qui elle était et d’où elle venait. Cette dernière était différente de toutes les femmes que j’avais croisé dans ma vie. Elle était belle, simple, et surtout ne semblait pas courir après mon argent, ce qui me faisait douter sur ses intentions à mon égard. J’avais passé la journée chez moi et j’avais fait des recherches sur elle. Orpheline, elle avait été retrouvée errante, en pyjama. Les services sociaux ignorant son prénom l’avaient rebaptisé Chicago West. De ses six ans à ses treize ans elle avait été transféré dans plusieurs foyers et famille d’accueil, à treize ans après avoir envoyé son demi-frère adoptif à l’hôpital, elle avait été incarcérée dans un centre de détention pour mineur. Elle avait obtenu ses diplômes et acquit sa fortune dans le monde de l’art et des affaires. Actionnaire silencieuse, elle était une grande mécène et faisait le bien autour d’elle. Sa plus grande cause était dédié aux orphelins et aux adolescentes victimes d’abus sexuels. Rien ne faisait tâche dans son passé, ni dans ce qu’elle prétendait être.
Je vidai mon verre d’une traite et lentement, je fermai le clapet de mon ordinateur portable avant de me lever. Je posai un rapide coup d’œil par la fenêtre et admirai la ville en silence. Je jetai un œil à la pendule et décidai d’aller me préparer pour ce soir.
Sous le jet brûlant, je fermai les yeux et soupirai, chassant mes pensées nocives et négatives me hanter. Elles ne cessaient de m’assaillirent depuis ma dernière relation et ma rupture publique et violente. Humilié pendant un dîner de famille, j’avais demandé à une femme de m’épouser et celle-ci au lieu de se satisfaire d’un non, elle avait éprouvé le besoin de se justifier et de me traiter de monstre. La presse en avait fait les choux gras, et mon père m’avait tenu responsable de cet échec. Je posai mon front contre le mur noir et froid de ma douche, me remémorant cette nuit-là. Cette nuit tragique et sanguinaire, ce massacre, l’odeur de sang, les hurlements de cette femme que mon grand frère avait violé et torturé devant son mari, lui-même abattu d’une balle dans la tête par mon père. Chargé de trouver la petite et de la tuer, j’avais commis l’erreur de la sous-estimer et de la penser inoffensive, mais cette dernière dans le noir, m’avait prise par surprise et tailladée la joue avec une paire de ciseaux avant de prendre la fuite. Nous avions retourné la maison pour la retrouver avant que mon frangin n’y foute le feu. La police et le FBI avaient enquêté sur ce carnage et l’enquête était toujours en cours, à ce jour. La petite avait été déclaré morte, malgré l’absence de son corps dans les décombres. Après ce massacre, la paix entre les familles fut le mot d’ordre afin de ne pas attirer l’attention de la police et des fédéraux. Le visage endormit et angélique de cette petite blondinette de six ans me hantait, tout comme une douleur fantôme qui par moment ravivait mes souvenirs de cette attaque surprise.
Après une longue douche, je m’habillai et terminai de me préparer avant de croiser mon reflet. Je déglutis et détournai rapidement le regard avant de quitter ma chambre. Attachant ma montre à mon poignet, je ramassai mon téléphone, puis mon portefeuille que je rangeai dans la poche de mon pantalon. Je quittai ma chambre et ramassai ma veste avant d’ouvrir ma porte d’entrée. Je me retrouvai alors dans le couloir, en face de la porte ouverte de l’appartement de Chicago. Celle-ci était là, debout, sublime, telle une déesse.
Vêtue d’un bandeau de soie colorés qui couvrait sa petite poitrine, avec une jupe longue fluide et noir, fendue sur une jambe, ornée d’un énorme tatouage, le tout avec une pochette coloré. Elle portait un plastron de chaînes et de colliers dorés, ainsi qu’un jonc doré à son poignet gauche. Ses doigts étaient recouverts de bagues. Elle avait terminé sa tenue par une coiffure simple, une queue-de-cheval basse, et lissé sa frange tout en laissant quelques mèches encadrer son doux visage. Son maquillage était quand à lui naturel, seuls ses yeux verts étaient soulignés d’un trait de liner étiré.
- Salut, me dit-elle.
- Tu es sublime.
- C’est vrai ?
- Oui, je te trouve superbe.
- Tu es pas mal, toi aussi.
- Je...
- Stravos, j’aime ce que je vois, le reste n’a pas d’importance.
- Une partie de moi, voudrait te croire, vraiment.
- Peut-être qu’avec le temps, tu y arriveras. En tout cas, je ne pensais pas qu’en m’installant ici, je rencontrerai un homme qui m’attire.
- Je...
- Je n’attends pas de réponse de ta part, tu sais, me dit-elle en souriant.
Je m’approchai d’elle et tendis ma main vers sa joue. Cette dernière soutint mon regard, puis se mordit la lèvre, avant de sourire. J’approchai mon visage du sien avant de marquer un temps d’arrêt. Chicago se hissa sur la pointe de ses pieds et approcha son visage du mien. Son nez effleura le mien, se retenant de m’embrasser. Je pus sentir son souffle chaud caresser mon visage, puis lentement, je posai ma bouche sur la sienne. Chicago gémit et répondit à mon baiser. Glissant sa main dans ma nuque, elle m’attira à elle. Son dos contre le mur, ma main poser sur ce dernier, je cherchai rapidement à approfondir mon assaut. Nos langues entamèrent une danse lascive, nos dents s’entrechoquèrent et je lui mordis la lèvre, la marquant inconsciemment et de façon possessive. Je mis fin à ce baiser et apposai mon front contre le sien avant de sentir sa main se poser sur ma joue blessée. Je fermai les yeux, de peur d’y voir du dégoût quand brusquement, je sentis sa bouche chaude se poser délicatement dessus. Sans un mot, elle affirma ses dires me concernant.
- On devrait aller dîner.
- Je meurs de faim, affirma-t-elle tout sourire.
Main dans la main, on quitta ensemble l’immeuble pour nous rendre dans un restaurant qui se trouvait non loin de chez nous. Un portier nous ouvrit la porte et nous salua poliment avant qu’on soit accueilli par une hôtesse. Je lui donnai mon nom pour la réservation et cette dernière nous conduisit à notre table.
Marchant légèrement derrière Chicago, je pus sentir le regard des gens se poser sur moi et les femmes me toiser avec insistance. Chicago prit ma main et entrecroisa ses doigts aux miens avant de tourner la tête pour m’offrir un magnifique sourire. Je le lui rendis et raffermis ma prise sur ses doigts. On arriva à notre table, celle-ci était situé dans un coin, près du pianiste. Je lui tirai la chaise avant de prendre place sur la mienne, faisant face à la salle et aux femmes indiscrètes. Rapidement, un serveur s’approcha et nous tendit des cartes, ainsi qu’une carte pour le vin.
- Mademoiselle, Monsieur, bonsoir, je serai votre serveur pour la soirée. Voici la carte des vins et des boissons.
- Avez-vous un Caymus Cabernet Sauvignon de 2018 ?
- En bouteille ou en verre ?
- En bouteille, c’est le meilleur vin de l’année.
- En effet. Je vais vous chercher cela.
- Ainsi tu t’y connais en vin ? demandai-je.
- Un petit peu, j’ai voyagé en Californie et j’ai eu l’occasion de visiter le domaine des Wagner. Es-tu joueur, Stravos ?
- Tout dépend du jeu, répondis-je.
- Un jeu pour apprendre à se connaître, enfin si tu le veux. Rien de dangereux et si jamais il y a un soucis, ce sera la faute du chef.
- J’ai très envie d’apprendre à te connaître, reconnus-je.
- Parmi les plats de cette magnifique carte, essaie de trouver celui que moi j’aurais choisi et je vais, moi essayer de trouver celui que toi tu aurais choisi.
- D’accord, et je gagne quoi si je trouve celui que tu aurais choisi ?
- Tu découvriras des choses sur moi et moi sur toi.
Le serveur revint avec la bouteille de vin. Il la déboucha et servit Chicago qui le goûta avant de hocher la tête. Ce dernier nous servit avant de poser la bouteille sur notre table. Après ça, on passa nos commandes et optai pour une viande saignante. Je commandai un steak wagyu avec ses légumes quant à Chicago, elle opta pour un plat de poisson, comme des aiguillettes de Saint-Pierre doré, pulpe de tomate verte et gnocchi de pomme de terre, copeaux d’oignons nouveaux liés à la fleur de courgette et tomate confite. Le serveur nota notre commande. On se retrouva à nouveau seuls au monde, discutant de tout et surtout d’art. Quand un petit groupe de femmes passèrent près de notre table pour se rendre dans les toilettes, Chicago posa sa main sur la mienne et joua du pied sous la table. Les femmes la regardèrent avec dégoût avant de s’éloigner. Subitement, Chicago se leva et s’excusa pour rejoindre les toilettes.
Assis seul à ma table, je reçus un appel de mon frangin. Je me permis de décrocher.
_ Salut, petit frère.
_ Tu veux quoi ?
_ Je te dérange ?
_ Je suis au restaurant.
_ Tout seul, sérieux, petit frère, tu crains.
_ Non, j’y suis avec une femme.
_ Tu l’as payé combien ?
_ Rien du tout, je l’ai rencontré aujourd’hui.
_ Elle est moche, j’en suis certain ! dit-il moqueur. Mec, tu es si désespéré que ça ?
_ Et toi tu es connard, tu le sais ?! Maintenant tu veux quoi ?
_ Te demander si tu seras des nôtres à la soirée de demain ? Mère y tient et attend toujours ta réponse.
_ Je ne sais pas. Je préviendrais mère moi-même. Je te laisse ! dis-je en raccrochant.
Quelques minutes plus tard, je sentis une main se poser sur mon épaule. Je tournai la tête et aperçus le regard énigmatique de Chicago. Cette dernière me sourit, puis prit place sur sa chaise. Mon attention fut détournée par l’arrivée du serveur et de nos plats. On inversa nos assiettes et je vis Chicago sourire.
- Ça va ? demandai-je.
- Oui, tout va bien et toi ?
- J’ai reçu un appel...
- Tu dois partir ? me demanda-t-elle.
- Non, du tout, c’était mon frère. Il voulait savoir si je serai présent à la soirée de demain, un gala de charité.
- Laisse-moi deviner, ce genre de soirée n’est pas ton truc, pour de multiples raisons.
- En effet et puis, je n’ai pas de cavalière et je n’ai pas envie de subir les remarques désinvoltes de mon frère.
- Je comprends, mais tu devrais y aller et montrer aux gens qui te jugent en silence que cela ne t’atteint pas. Que tu assumes cette cicatrice, peu importe son histoire, elle t’appartient, toi seul sait ce qu’il s’est passé. Tu es un bel homme, tu es riche, tu es certainement quelqu’un de très fort, alors ne laisse pas les gens t’atteindre, que ce soit ta famille, ou des inconnus.
- Tu as raison, je devrais peut-être apprendre à le faire. Tu voudrais m’apprendre ?
- Tu auras toujours une personne qui tentera sa chance pour te faire plier le genoux, ne la laisse pas faire, au contraire, fait lui plier le sien. Je n’ai rien à t’apprendre, Stravos. Les femmes me regardent, elles sont répugnées par ta cicatrice, pas moi et cela les interrogent. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle peut lui trouver ? Les réponses à toutes ses questions, moi seule les connais et cela ne les regarde pas. Elles me concernent moi et toi.
- Pourquoi ?
- Pourquoi pas ? répliqua-t-elle.
- Tu es magnifique.
- Toi aussi.
- Je suis un monstre et pas seulement à cause de la cicatrice. Mon père est le chef de la mafia, sous ses airs d’homme d’affaires. Je ne suis pas un homme bien, Chicago.
- Tu tentes de m’effrayer ? me demanda-t-elle.
- Non, je veux juste être honnête avec toi. Je ne veux pas que tu découvres toutes ces choses sur moi de la bouche d’une autre personne et que tu prennes peur.
- Merci de te montrer prévenant à mon égard.
- Je dirais honnête, parce que tu me plais beaucoup, toi aussi, lui avouai-je.
Chicago me tendit sa fourchette avec un morceau de son plat, je m’approchai pour y goûter et elle sourit. Je lui fis goûter à mon tour mon plat et cette dernière se montra aussi séductrice que moi, je l’étais avec elle. On passa la soirée à discuter, à se provoquer et surtout à se toucher. Après notre plat, on prit un dessert qu’on décida de partager à nous deux. Pour la première fois, depuis longtemps je passai un bonne soirée à tel point que je ne vis pas le temps passer.
Un serveur nous fit sortir de notre bulle et ainsi je réalisai que nous étions les derniers clients du restaurant. Chicago sourit et s’excusa. On termina nos verres de vins et je payai l’addition avant de sortir du restaurant. Main dans la main, on remonta la rue, éclairée par les lampadaires de la ville.
Debout, l’un en face de l’autre, adossé mutuellement contre notre porte d’entrée, le silence régnant en maître. L’air se chargea lourdement d’un désir ardent entre nous deux. J’ignorais quoi faire et surtout je craignis d’aller trop vite et de risquer de la brusquer. Chicago sortit ses clés et me sourit.
- Merci pour ce dîner, me dit-elle tout en se tournant dos à moi pour déverrouiller sa porte d’entrée.
- Est-ce qu’un dernier verre, chez moi te tenterait ? osai-je lui demander.
Chicago se figea et retira la clé de la serrure, puis me fit face avec un petit sourire en coin, tout en hochant la tête pour me répondre. J’ouvris ma porte avant d’attirer Chicago à l’intérieur.
Annotations