chapitre 2 l'allumage difficile de son projet
Il connaissait son objectif, sa méthode, son échéance. Il devait respecter les lignes directrices initiales si la paye de son employeur devait suivre. Il travaillait des heures durant, mais le ressort s’était cassé. Il n’avait plus cette passion de dépassement de soi, comme si son corps lui exigeait de ralentir, de modifier son rythme. Mais il ne pouvait pas, il était pris par ses engagements. Que penseraient les spécialistes du domaine s’il échouait devant un si beau projet ? Il tergiversait trop dans son atelier. Idées trop confusionnaires. Il durait des heures durant dans sa pièce sans trouver de solutions.
Même s’il savait comment procéder, il peinait à trouver le rythme. Les obstacles si obtus exigeaient le maximum de concentration et toute son expérience. Il décida de faire une pause, de se mettre au vert pendant deux jours, pour replacer l’église au centre du village. Il rentrait chez lui, déçu et abattu. Il venait de subir la plus grande humiliation de sa vie. Il marchait la tête basse, le cœur serré, à la recherche d’un peu de réconfort. Il se sentait vide, sans plaisir, sans envie. Il avait pourtant promis d’atteindre son but, son rêve, son Graal. Mais pour l’instant, il n’était qu’un malade en manque de sa drogue.
Arrivé chez lui, il fouillait dans ses affaires et espérait trouver quelque chose qui lui boosterait le moral. Mais quand on était au fond du trou comme c’était le cas, la surface s’éloignait du bord. Et lui, il ne s’en rendait pas compte. Il cherchait des livres, des nouvelles idées. Mais rien ne vient. Il pensait à tout laisser tomber. Quand soudain, il eût l’idée d’aller dans le grenier, pour voir s’il n’y avait pas quelque chose d’intéressant. Il montait les escaliers, sans trop y croire. Là, il découvrit un tas de choses qu’il avait oubliées avec le temps. Il prenait des photos des souvenirs de son enfance. Une photo le montrait sur un vélo à quatre roues, souriant et fier. Il n’avait que deux ans. La photo était en noir et blanc. Il ne se remémorait pas de ce moment, mais il se reconnaissait sur l’image. Cela lui faisait chaud au cœur. Il se disait qu’il lui fallait plus de photos comme celle-là, pour lui donner un coup de fouet. Cette photo lui avait fait retrouver un peu d’espoir, un espoir de fou, de vie tronquée par l’infortune de ne pas comprendre son comportement. Il continuait de fouiller et tombait sur les affaires de son fils. Il ne savait pas ce qu’il allait y trouver, mais il imaginait des rêves d’enfant et des bricoles sans intérêt. Mais par curiosité, il se dit que c’était le moment ou jamais de regarder. Il se remettait à fouiller avec plus d’entrain. Il découvrait les souvenirs de famille et les cadeaux qu’on avait faits à son fils pour ses anniversaires. Il se dit que son fils était un nostalgique, comme lui.
Même si Ariston, par son travail, n’avait pas beaucoup de temps à consacrer aux siens. Mais cela lui faisait du bien, un bien immense, une aura en convalescence dans de nouveaux objectifs. Il s’immobilisa de regrets de ne pas avoir fait cela plus tôt. Il s’apprêtait à descendre du grenier quand il découvrit, dans une fouille toujours plus approfondie, une boîte noire avec une inscription : “Défense de regarder à l’intérieur”. Il ouvrit la boîte métallique noire au couvercle doré. Elle n’était pas fermée à clé. À l’intérieur, deux paquets de cigarettes et un briquet s’immolaient au fin fond de cette boîte. Sur le briquet, il déchiffra ces mots, quelques peu jaunies par le temps : “Je n’ai jamais dit à mon père que je fumais. Mais mon aventure avec la cigarette s’arrête au moment où je pose ces paquets dans cette boîte. J’espère ne plus jamais en avoir besoin, car c’est un fléau qui m’a gâché la vie jusqu’à présent. Adieu. Enestor.” Son esprit fit qu’un tour et dissimulait une véritable crise de panique. Comment son fils avait-il pu lui dissimuler une telle chose ? Il faisait les cents pas pour comprendre le raisonnement derrière.
Mais une profonde angoisse le traversait. Il regarda les cigarettes. Il eut envie d’en essayer une, pour se projeter vers un avenir plus radieux. Il prit le briquet, alluma une cigarette, inhala la fumée et de nouvelles sensations lui parcourent le corps. Son esprit se détendit, il rayonnait de bonheur. Il ne prononçait aucun mot mais il venait de commettre la pire erreur de sa vie. Il en prit une autre même si son esprit renonçait à aspirer, ses mains lui désobéissaient. Son état mental s’arrangeait de cette nouvelle substance. Il devenait plus apte à affronter les épreuves, même si c’était une illusion. Son esprit lui soufflait davantage de confort pour accomplir sa tâche et retrouver son plaisir. Son jugement se faisait soudain plus alerte, plus apte à surmonter les obstacles. Il dévala les escaliers du grenier et se congratulait d’avoir trouvé la solution. Mais ne se réjouissait-il pas trop vite d’avoir inhalé une substance dont il ignorait les effets ? Il se frotta les mains. Soudain, il eut encore une envie irrésistible de se faire plaisir, alors il alluma une autre cigarette car la première n’était qu’une mise en bouche, et ses soucis s’évaporait un court instant. Il toussait un peu, mais cela n’avait pas d’importance. Ce qui comptait, c’était de se réjouir avant tout. Il se glissait dans sa chambre et se laissait tomber sur son lit. Il se sentit enveloppé par le confort douillet de sa couche. Il serra son paquet de cigarettes contre son cœur et s’endormit paisiblement.
Le lendemain, il se leva d’un bond, prêt à affronter une nouvelle journée de travail. Il avait décidé qu’une journée suffirait à retrouver le goût de la vie. Il se sentait plein d’énergie. Il alluma une cigarette. Il se moquait des interdits de la boîte. Il sourit et pensait qu’il passerait cette journée avec sa tendre amie. Il parcourut les quelques centaines de mètres de son atelier cigarette au bec et affichait sa réussite aux yeux du monde. Il travaillait sur un projet ambitieux et il en était fier. Il entra dans son bureau, encore secoué par les émotions de la veille. Il reprit ses instruments de mesure et se plongea dans ses plans. Il était sûr de réussir, car il avait trouvé un moyen de se procurer du plaisir artificiel, mais efficace. Il traça un cercle avec son compas pour établir une vue d’ensemble de son parc. Il chercha l’angle idéal pour mettre en valeur toutes les fantaisies qu’il avait imaginées. Il trouva l’angle parfait et se mit à rédiger son rapport.
Il s’accorda une pause et s’alluma une cigarette pour savourer le travail accompli. Il avait réussi à faire preuve de rationalité dans son projet, ce qui n’était pas une mince affaire vu les difficultés qu’il avait rencontrées dès le départ. Il passa la journée à enchaîner les cigarettes, comme des récompenses. Il ne pouvait plus s’en passer. Il allait découvrir ce qu’était la dépendance. Le soir venu, il se rendit auprès de sa fille. Son fils vivait à Las Migeles. Tous deux avaient presque atteint l’âge de fonder une famille, 21 et 26 ans, et ils n’avaient pas besoin de ses conseils. Il lui demanda comment s’était passée sa journée et s’il pouvait l’ aider. Véphurnia secoua la tête, comme pour lui dire que tout allait bien et qu’elle se débrouillait seul.
Ariston la laissa dans le salon qu’il avait aménagé il y a cinq ans déjà. Il se dirigea vers sa chambre et espérait se reposer pour le lendemain. Mais quand il ouvrit la porte de sa chambre, il fut assailli par une odeur de cigarette. Il céda à la tentation, même s’il savait que c’était mauvais pour lui. C’était son rituel. Cela le détendait et juste après la cigarette, il se couchait.
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