Un reporter s'approche...
Un jeune homme entra dans la pièce. Petit, rondelet, il dévoila un crâne fort dégarni lorsqu'il posa son chapeau sur la paterre en bois qui ornait la porte.
Hésitant, il offrit un sourire géné aux deux jeunes filles assise sur le seul banc de la pièce, avant de s'installer dans le fauteuil en osier planté en face.
— Mes... mesdames bonjour, bégaya l'empoté.
— Bonjour, mon ami, répondit Anna.
— Salut ! fit Sélène en reniflant.
Le rabougri porta tour à tour un regard timide sur les deux femmes.
— Bon, merci d'avoir accepté. Je me doute que l'emploi du temps d'héroïnes de récit fantastique n'est pas évident. Je... nous allons commencer. Vous êtes prêtes ?
Sélène leva les yeux au ciel :
— Bah oui. Magne, on a pas toute la journée, comme tu l'as si bien dit.
— Oui, oui... pardon. Alors, voilà. Première question : quel sont vos noms et prénoms ?
Anna jetta un regard intrigué vers sa partenaire.
— T'as un nom toi ?
— Bah non. Chuis pas noble. Donc non, répondit la plus jeune.
— Heu... bah du coup moi c'est Anna. Anna tout court, et elle c'est Sélène.
L'homme se saisit d'un crayon et griffona les réponses sur un bout de cahier jauni, puis reprit :
— Quel âge avez-vous ?
— La vingtaine, hésita Anna. Ce n'est pas évident. Dans les montagnes du nord, nous n'avons pas réellement de registre précis.
— Seize ans, répliqua Sélène sobrement.
Crayon, griffonage.
— Avez-vous des pouvoirs ?
Anna porta une nouvelle fois son regard sur son amie. Elles se toisèrent un instant, résistant à l'envie d'éclater de rire. Finalement, Sélène céda la première tandis qu'une larme perlait au coin de l'oeil d'Anna. Elles furent prit d'un fou-rire inarrêtable plusieurs minutes durant.
— Il... il demande si... si tu as des... pfffffrt balbutia Sélène.
Finalement, Anna parvint à retrouver un semblant de contenance, alors que la cadette se roulait sous l'épaisse table en chêne.
— Oui. Quelques uns... Grosso modo, j'ai le pouvoir le plus puissant du royaume, seulement il agit comme il en a envie. Une vraie tête de mule. Je n'en dirais pas plus.
Une main, puis une autre, aggripa le bord de la table. Le visage rougi de Sélène émergea bientôt.
— Ouais... moi je sais allumer une bougie à quatre mètre. Et faire bouillir de l'eau. Je sais aussi trouver une pièce de cuivre dans ton oreilles. Tu veux voir ?
L'homme gesticula sur sa chaise.
— Je heu... non ça ira. Passons à la suite, vous voulez ? Une relation ou un coup de foudre ?
— Oula, s'exclama Sélène. Je vais faire l'impasse sinon on en a pour la nuit. Mais toi, tu peux lui parler de...
— ... TATATATA ! Non pas de coup de foudre, rien, que dalle. La suite.
Le reporter cligna une paire de fois des yeux, mais Anna répondit à son interrogation silencieuse par une moue qui ne laissait pas la place au doute : il ne vallait mieux pas pour lui qu'il insiste.
— Ma prochaine question est un peu bête, mais je dois la poser : couleur de cheveux et des yeux.
— Blonde ? demanda Sélène.
— Platine plutôt.
— Argentés sinon. J'aime bien argentés.
— Ou albâtres. Ça dépend tellement de la lumière.
— ...
— ...
— mettez "cheveux blancs avec des reflets blonds". trancha Sélène. Et pour les yeux ?
— ...
— ...
— Gris ?
— Argentés ?
— Platine !
— Gris.
— Gris.
— Bon bah gris. Mettez gris.
Crayon, griffonage.
— Et moi, soupira Anna, brune aux yeux verts.
Crayon, griffonage.
— C'est noté ! s'exclama le rabougri. Votre couleur préférée ?
Sélène n'hésita pas un instant :
— Le rouge ! Ça tue le rouge. Tiens, et toi, Anna ? J'en ai pas la moindre foutue idée.
— Le vert, patate. Tu n'as pas remarqué mon bliaud vert ? Ma tunique verte ?
— Maintenant que tu le dis...
— Le vert donc.
Crayon, griffonage.
— Bon, pour la question de la meilleure amie... grimaça l'homme.
— Tu n'auras pas besoin de nous, ouais, sourit Sélène.
Crayon, griffonage.
— Où habitez-vous ?
— Question piège, nota Anna. Je vais répondre Val-de-Seuil. Un petit village au nord de Karfeld, perché dans les montagnes. Mais en vérité... mh non, restons sur ça. Val-de-Seuil.
— Cyclone pour moi. Pas que ça m'enchante, mais j'ai pas bien l'choix...
Le reporter toussa trois fois dans sa manche. Anna était prête à parier qu'il n'avait pas vraiment envie de tousser, mais ça l'aidait à prendre de la contenance. Le pauvre avait l'air tellement perdu dans cette grande pièce.
Puis il retourna à la charge. Mollement.
— Anna, j'ai cru comprendre que la question était inutile, mais Sélène, peut-être connaissez-vous votre date de naissance ?
— Du tout. Quelque part pendant l'année qui s'est écoulée ya seize ans. J'ai pas mieux.
Pas crayon, pas griffonage.
Mais il ne se laissa pas démonter... cette fois.
— En couple ou célibataire ?
— Célibataire, répondirent-elles à l'unisson.
— Et de la famille, peut-être ?
— Oula, tu n'as pas idée ce sur quoi tu t'engages mon ami, l'avertit Anna.
Sélène se racla la gorge, puis commença :
— J'y vais la première, c'est un peu le bordel. De la famille réelle, pas la moindre idée. Jamais connu ma mère ni mon père ni rien. Juste je suis née au sein d'une troupe de cirque. Donc j'ai eu dix-huit mamans (dont une à barbe), vingt-quatre papas, et plus de frères et soeurs que je ne pourrais compter. Mais au final c'est tous des cons. Donc zéro. Rien. Quetchi.
— Moi j'ai... un frère.
Une nouvelle fois, une flamme éclaira l'iris de l'Échosiane. Le reporter comprit qu'il n'en saurait pas davantage.
— Bon, dernière question.
— Par le Pape, merci, souffla la jeune fille aux cheveux... clairs.
— Des ennemis ?
Anna eu un sourire mauvais :
— Jusqu'à combien tu sais compter ?
— Heu ben...
— Hé bah davantage. Note ça sur ton cahier.
Tout au long de l'interview elle l'avait sentie monter. Cette rage, cette puissance incontrolable. Ce pouvoir de l'Échosiane. Et maintenant elle ne pouvait plus le retenir. Il fallait que toute cette magie exalte et irradie la pièce. La sphère dans son ventre remuait comme mille serpent devenus fous.
Elle ferma les yeux, prête à déchainer les arcanes. Il verrait alors le vrai visage de l'Échosiane. Et il s'agenouillerait, et il pleurerait.
— Prrrrrrt.
Il y eut un silence. Que sélène rompit.
— C'était un pet ça ?
... le pouvoir de l'Échosiane, ça sera une autre fois.
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