Yakath sentit sa maman la serrer un peu plus fort contre sa jambe. Elle la regarda tendrement et cela suffit pour qu'elle ne parle pas plus.

 — Ma fille fait un cauchemar depuis peu. Elle rêve que je pars loin d'elle avec un des membres de notre arbre généalogique, un certain Isaac, qu'elle appelle gentiment Tonton Zazac.

Emma tentait de garder son calme. Cependant ces mains tremblaient. Il flotta dans l'atmosphère une ambiance pesante. Le silence comme avant la tempête. Larse, à fleur de peau, donna l'impression qu'à tout moment il pouvait ouvrir le feu sur un hypothétique ennemi. On aurait dit qu'il était pressé d'en finir. Il fit signe à ses soldats de se déployer autour de la maison. Les domestiques et le personnel reculèrent pour se réfugier dans une autre pièce sur l'ordre de Luciath.

 — Ah oui ? Mademoiselle la princesse fait des mauvais rêves ? Oh, mais c'est que c'est triste ! ironisa-t-il.

Il se rapprocha nettement de la fillette en s'abaissant. Son haleine désagréable la fit reculer et se serrer davantage contre sa mère. À sa façon de mâcher son chewing-gum, il laissa apparaitre une denture abîmée par une alimentation et une hygiène douteuses, le tout jauni par l'usage abusif du tabac.

 — Et Tonton Zazac ? Il est où, ma chérie ?

Il avait levé le doigt rapidement vers Emma.

 — Chuuuuuu.... On va écouter ce que la petite princesse a à nous dire.
 — Larse. S'il vous plait, supplia-t-elle.

Luciath fixa Larse en prenant un air autoritaire. Il avança d'un pas. Des yeux et d'un mouvement de la tête, il avait montré Yakath pour lui faire comprendre ou peut-être lui rappeler que sa fille ne devait pas être impliquée dans cette histoire.

 — S'il vous plait, Larse, insista-t-il d'une voix un peu plus grave que d'habitude.
 — Ha oui, la petite, grommela-t-il en se redressant. File dans ta chambre, ma princesse.

Emma lui fit signe de monter dans sa chambre en essayant de garder un visage paisible. Elle respira profondément soulagée que sa fille n'ait plus à parler à ce type. Elle avait trouvé l'action de son mari assez courageuse mais, quelque chose n'allait pas. Larse n'avait pas insisté malgré la perche que Yakath lui avait tendue. Que voulait-il dire en disant 'Ha oui, la petite'. Étrange façon de parler. On aurait dit qu'il obéissait à Luciath. Elle le connaissait. Il était connu pour ne jamais laisser filer ceux qu'il traquait. Mais pour l'instant, savoir sa fille à l'abri la réconfortait.

 — Chef ! Chef !

La radio de Larse avait craché un message presque inaudible mais assez fort.

 — On a un individu dans la chambre arrière, à vous.

Larse sourit et s'adressa à Emma.

 — Il semblerait que Tonton Zazac ne soit pas que dans un rêve, n'est-ce pas ?

Continuant de la fixer, il saisit l'embout de son émetteur.

 — J'arrive. Je passe par l'intérieur. Ne tirez pas ! Il nous le faut vivant.

Il fila tout droit, entrant brusquement dans la maison suivi du reste de sa troupe. Leurs bottes résonnèrent exagérément sur le carrelage propre. Ils se dirigèrent directement devant la porte de la chambre.

 — Bruneri ! hurla-t-il à Isaac en tambourinant du poing, ouvrez cette porte !

Il se tourna vers Luciath qui l'avait suivi.

 — Luciath, ouvre-moi cette porte, immédiatement !

Au grand soulagement d'Emma, la porte était fermée. Isaac avait dû la fermer en entendant les hommes de Larse arriver. Cela lui laissait un peu de temps pour trouver une solution. Mais laquelle ? Le voilà enfermé dans une pièce cernée par des soldats qui n'ont pas l'air de rire souvent. Le stress monta un peu plus quand elle entendit la radio crépiter :

 — Chef ! Chef ! Les volets se ferment... à vous.
 — Luciath ! Bon sang ! Ouvre-moi cette porte !
 — Aucune ouverture possible. Toutes nos portes se ferment de l'intérieur. Depuis, les incursions des Opposants les maisons sont blindées et très protégées par ici. Nous sommes au sud, près de la Zone Libre, affirma Luciath.
 — Quel est le plus facile à défoncer ? La porte ou les volets ? Je vous préviens, je vais tout faire péter ! Et puis, évacuez la maison !

On sentit que Larse perdait patience. Il commença lui aussi à trembler et son agitation ne présagea rien de bon. Ses yeux rougirent de colère. Les veines de son cou se dilatèrent. La traque allait pouvoir commencer.

 — Ce sont des volets à commandes vocales. Blindés sous trois couches en titane comme recommandé par le Gouvernement, insista Luciath.

Larse resta à peine quelques secondes à réfléchir. Il lança l'ordre dans la radio :

 — Les gars, on prend le matos prévu pour percer, on entre et on arrose !
 — Colonel ! Voyons...insista Luciath.

Trois molosses s'attardèrent à placer les explosifs sur la porte. À l'extérieur, dans une synchronisation presque parfaite, d'autres firent de même. Pendant que tout le monde sortait Emma resta à l'entrée attendant la servante à la main de laquelle elle espéra voir Yakath. Mais son sang se glaça avant même que la servante apparut : 'Ce sont des volets à commandes vocales' se rappela-t-elle. Mais qui peut avoir commandé aux volets de se fermer. Pas Isaac en tous cas. Seules les voix de la famille sont dans la base de données de la maison...

 — Chéri ! Non ! Chéri ! Yakath est dans la chambre ! Il faut...

L'explosion fut aussi violente que le bruit des balles et des grenades fumigènes qui fusèrent immédiatement après. Dans un fracas de fumée et d'éclat de voix les soldats pénétrèrent dans la chambre tirant à tout va sans même prendre la peine de vérifier si quelqu'un se trouvait là. Emma avait eu beau crier toute sa détresse, personne n'entendit. Elle s'effondra en pleurs. La douleur fut trop lourde. Elle finit par s'évanouir.