7. Coucher de soleil
Quand Agathe avait ouvert les yeux après son sommeil involontaire de trois semaines, la première chose qui l'avait marquée, en plus du regard de ses parents dans lesquels se mêlaient l'inquiétude de son état mais aussi l'apaisement de la voir se réveiller enfin, fut la lueur rougeoyante dans laquelle était plongée sa chambre d'hôpital.
Elle et ses parents sont restés silencieux pendant un instant, mais tous les trois ont tourné la tête vers la fenêtre de la petite pièce au même moment, pour contempler le ciel de cette fin de soirée, et le soleil qui se couchait.
Agathe avait alors compris la vraie valeur de la vie. Moins exigeante avec elle-même comme avec les autres, elle avait appris que le bonheur résidait également dans de "petites choses", comme le coucher ou le lever du soleil, le chant d'un oiseau, un moment passé avec un proche... Et elle avait appris à chérir ces instants de bonheur, et trouvé le moyen de les multiplier et de les partager.
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Agathe vient tout juste de reposer son livre. Elle ne l'a pas encore terminé, mais elle a tout de même avancé de plusieurs chapitres dans sa lecture. En réalité, la fleuriste aurait volontiers continué de bouquiner, mais il était presque 22 heures déjà, et elle avait fini par se dire que, peut-être, il serait plus judicieux qu'elle aille se préparer pour la nuit – comme les premiers rayons du soleil la réveillaient tôt le matin, la jeune femme préférait ne pas veiller jusque trop tard.
Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle tourne la tête vers la fenêtre du balcon, restée entrouverte pour apporter un peu d'air frais dans l'appartement, et qu'elle réalise que le soleil est en train de décliner, donnant peu à peu au ciel une belle couleur orangée. Jusqu'ici elle avait été tellement happée par son roman et le nouvel univers dans lequel elle venait de pénétrer que pas une seule fois elle n'en avait levé les yeux, aussi est-elle un peu surprise de remarquer que la lumière du jour a commencé à fuir pour laisser sa place à l'obscurité de la nuit.
Agathe se lève alors et se dirige vers son balcon, s'accoudant à la balustrade de celui-ci. Elle veut profiter de ce spectacle enchanteur qu'est le coucher du soleil – cela constitue en un autre des bonheurs de sa journée, car justement elle trouve que c'est un doux et poétique moyen de la conclure. Il lui semble qu'elle a toujours aimé le ciel rougissant du soir, que déjà enfant elle s'en émerveillait sans arrêt – ça n'a pas beaucoup changé depuis !
Les teintes rougeoyantes desquelles se pare le ciel à cette heure-ci et les étoiles qui commencent à tacheter cette infinie toile bleue apaisent Agathe, qui ne peut se résoudre à détacher son regard de ce fabuleux tableau. Il semble à la jeune femme que le soleil ne s'en va jamais de la même façon, que les couleurs qu'il projette ce soir-là sur les le ciel et les rares nuages sont différentes de celles de la veille et de l'avant-veille et qu'elles le seront également de celles du lendemain, aussi Agathe tient-elle à en être le témoin chaque soir. Toute la journée, elle attend ce moment avec une pointe d'impatience, et elle y assiste ensuite avec assiduité.
Mais ce qu'Agathe aime par-dessus dans les couchers de soleil, ces instants si magiques, si féériques, c'est qu'elle songe que peut-être qu'en ce moment même, des dizaines d'autres personnes – ou plus encore, qui sait ? – ont également les yeux rivés sur l'astre rayonnant, et qu'elles aussi s'émerveillent, comme elle, devant son déclin. Et elle se dit aussi que pendant ce temps, ailleurs dans le monde, d'autres personnes fixent sans doute ce même ciel, mais que celui-ci est alors en train de se couvrir de jolies teintes de rose et de jaune, et qu'elles attendent d'assister au lever du soleil. Cet instant, elle est en train de le partager avec d'autres personnes qu'elle ne connaît pas, dont elle l'ignore même l'existence ; selon elle, c'est là toute la beauté de ce spectacle.
Agathe ferme alors les yeux, comme pour graver dans son esprit les dernières images qu'elle vient de voir et les dernières pensées qu'elle vient d'avoir. Puis les paupières toujours closes, elle repense à sa journée, à tout ce qu'elle aimé, aux mélodies qu'elle a entendues, aux fleurs qu'elle a senties, aux gens qu'elle a rencontrés, aux choses qu'on lui a dites, et un nouveau sourire de fraye un chemin sur son visage.
Un coucher de soleil, n'est-ce pas la plus belle manière de terminer une telle journée ?
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