L’acceptation… un début?
La difficulté ne réside pas dans le traitement, mais plutôt dans l’acceptation de la maladie.
S’allouer un temps de repos, pour le corps et l’esprit, est devenu indispensable. Dans un monde où l’on a tendance à vivre à une cadence effrénée, c’est compliqué. Encore plus lorsqu’on ne pense pas en avoir vraiment besoin.
Il y a cette urgence de tout faire, tout de suite, ne laissant jamais un instant de répit à cette voix intérieure.
Au final, je ne fais jamais beaucoup, mais je pense toujours trop. Au point où la fatigue devient physique.
Ma première bataille, à présent, c’est de retrouver mon équilibre naturel. Comprendre ce que nos corps sont censés faire et retrouver ce rythme humain que nous avons perdu. Se réveiller le matin sans réveil : c’est l’étape numéro un.
Depuis quelques semaines, ce que je pensais être une vie de tranquillité — que j’attendais avec impatience — m’a fait tomber, très rapidement, dans l’isolement.
Confinée et seule, je doute de tout.
Les cafés matinaux se sont faits rares. Le soleil ne se lève plus sur moi. Les journées ne sont faites que de lune et d’étoiles, que je ne prends même plus la peine de compter. Des étoiles qui n’apportent ni espoir, ni vœux à exaucer.
À dire vrai, je ne sais même plus quel jour nous sommes. Et je n’ai pas envie de le savoir.
La positivité n’est plus qu’un mirage, un mot dans le dictionnaire à la définition douteuse.
Tout est devenu insipide et illusoire.
Heureusement qu’il est là, lui.
Mon copain.
J’en parlerai plus tard. Il mérite un chapitre entier, rien que pour lui. Un jeune homme du même âge. Sûrement la seule bonne chose dans ma vie en ce moment.
Absorbé par ses propres problèmes, il ne vient pas souvent me voir.
Mais les rares fois où il est là, je me laisse bercer dans cette belle illusion : la vie à deux est plus douce, plus attirante.
À chaque idée de départ préméditée, le souvenir de son beau visage vient me remettre les pendules à l’heure.
Je devrais remettre de l’ordre dans ma vie pour lui.
Il ne mérite pas ce que je suis en train de devenir.
« Hmmmm-fiuuuu… Hmmmmm-fiuuu… »
Je respire profondément, comme si ma vie en dépendait.
Et, sur cet élan, je me décide.
Première étape : appeler mon médecin.
Une simple question administrative, pour l’instant.
Il faut bien trouver ses repères et être dans la légitimité de son arrêt maladie.
Il faut aussi faire taire cette culpabilité persistante, cette voix qui ne demande qu’à s’installer encore plus profondément.
Un rendez-vous à neuf heures.
C’est difficile. Un réveil vide de motivation. Un café après tout ce temps. Bien crémeux et mousseux. Les petits plaisirs de la vie ne déçoivent jamais.
Ça m’avait manqué.
Revoir des êtres humains après trois semaines enfermée chez moi n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire.
Assise dans le bureau de l’assistante psychologue du cabinet de mon médecin, je regarde autour de moi, tenant nerveusement mon sac.
Les parois sont blanches et vides. Le seul signe de vie est la lumière matinale de fin septembre, qui redore la peinture vieillissante, ainsi qu’une image représentant le corps humain.
Une réminiscence dormante de l’infirmerie de mon lycée. On dirait presque une mise en scène.
La dame me regarde avec cette expression toute faite, celle qu’une infirmière aurait face à un enfant qui s’est fait un bobo.
— « Qu’est-ce qui vous tracasse, madame ? »
— « Je suis perdue. Je ne sais plus quoi faire de ma vie. Le repos éternel me semble la seule solution viable à cet instant précis », je lui réponds.
Perplexe, elle me demande de développer, comme une institutrice qui demanderait des détails sur un devoir.
Alors je lui explique.
Je lui dis que j’ai du mal à gérer mes émotions, que je me sens dépassée par chacune d’elles, et que surmonter la moindre chose est une lutte quotidienne.
Ma gestion émotionnelle est faible, comme un corps qui lâche à cause d’un système immunitaire affaibli.
Mes pensées sont brouillonnes, et je lui sers une soupe de mots et de sanglots, gesticulant sur cette chaise sans m’accorder une seule pause respiratoire.
— « Connaissez-vous le cercle de vos pensées ? », réagit-elle, avec un certain enthousiasme mêlé de compassion à travers de subtils microgestes.
Elle prend une feuille, l’agrafe à la table, et m’en fait un croquis rapide.
À vrai dire, je n’entends plus grand-chose. Je suis complètement absorbée par le mouvement de sa main, son stylo, et sa belle bague de mariage.
Je me demande si elle mène une vie paisible.
Je la regarde une seconde fois.
Lorsqu’elle parle, j’observe sa chevelure parfaitement soignée, son maquillage léger, ses dents blanches bien alignées, et sa chemise repassée.
J’ai appris qu’il ne faut jamais juger sur les apparences. Mais à cet instant, il m’est difficile d’en faire abstraction.
Peut-elle vraiment comprendre les difficultés financières et mentales que j’ai traversées en grandissant ?
Peut-elle voir au-delà de mon burn-out actuel ?
Comment peut-on répondre par un schéma à des sanglots ?
Ai-je perdu toute logique, ou est-ce le monde qui s’est déconnecté de la réalité ?
La solution proposée me semble tellement décalée.
Écrire, chaque jour, chaque pensée négative, chaque événement, et leurs conséquences.
Comme si, dans mon état, je ne pensais qu’à ça.
Je ne remets pas en question l’efficacité de ce genre de méthode.
Je pense seulement qu’elle n’est pas adaptée à mon cas.
On n’apprend pas à un sans-abri comment entretenir une maison. Il faut d’abord lui en trouver une, ou l’aider à générer un revenu.
Tout cela ne fait que renforcer ce sentiment d’illégitimité.
Au final, je n’ai peut-être rien.
Un carnet et un stylo suffiraient-ils à me soulager ? Je ne sais pas…
Je vais reporter ce sujet à un prochain rendez-vous.
Il faut savoir qu’aux Pays-Bas, ce n’est ni le psychologue, ni le médecin traitant qui décide de votre capacité à travailler.
C’est un autre médecin, intermédiaire entre l’entreprise et vous, qui en a la compétence.
Ils sont spécialisés et formés sur les dynamiques du travail en entreprise.
Pour l’instant, ce rendez-vous est encore loin. Et je n’ai pas envie de ne rien faire.
Je veux progresser, même dans le repos.
Mais même là, cette voix intérieure me presse : il faut que je performe, même dans ma guérison.
Et paradoxalement, cette pression devient presque une lueur d’espoir.
Je dis bien presque, car elle n’est pas constante.
L’autre voix, celle du doute, parvient encore à l’éteindre.
C’est assez troublant de constater que tout ce qui nous nuit dans la vie, c’est cette tendance sceptique avec laquelle on aborde notre propre existence.
Douter de soi, de ses intentions, de ses idées les plus profondes.
Devenir son propre ennemi prend tout son sens en grandissant.
Je pense que cette voix négative a peur de voir naître en moi cette lueur d’espoir.
Celle qui me pousse à croire qu’il est encore possible de vivre, d’aimer, d’avancer.
Celle qui veut me sauver.
Celle qui valide ce que je ressens et sait que, pour aller mieux, il faut s’écouter.
Bien que le rendez-vous n’ait pas abouti à ce que j’espérais, je suis tout de même fière de moi.
Fière d’avoir pris l’initiative d’aller mieux.
C’est un début.
Après trois semaines enfermée chez moi, avoir eu un contact humain, avoir parlé de ce que j’éprouve, c’est déjà une bouffée d’air frais.
Peu importe ce qu’elle en a pensé.
J’ai parlé. Je me suis réveillée tôt. J’ai vu le soleil se lever.
Et ça, ça ne doit pas être sous-estimé.
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