Un monstre ! Un monstre haïssable, à jamais coupable, voilà ce qu’il aperçoit dans le reflet des vitrines en distribuant ses imprimés publicitaires. À chacune de ses tournées, malgré d'infinies précautions, il lui est impossible d'échapper à cette apparition. Pas celle de son corps difforme - celle-ci, il s'en moque -, mais celle de l'assassin. Elle le dégoûte. Il se dégoûte. Profondément. Viscéralement.

À cette vision s'ajoutent les sinistres bruits de ses articulations. Depuis son importante prise de poids, ses os craquent douloureusement. La souffrance physique est une chose. Les bruits, une autre. Ils le hantent et le renvoient systématiquement à ceux de l'accident.

Désormais, plus rien ne le retient dans ce monde, cependant quelque chose l’empêche de rejoindre l'autre. Il ignore quoi. En attendant cet instant, la culpabilité l'écrase, le ronge, ne le quitte plus une seule seconde.

Au moment de l'impact, l'intégralité de son univers a volé en éclats. Cela s'est passé si vite qu'il n’a rien compris. Pourtant, le rouge du feu tricolore aurait dû le faire percuter avant qu’il ne percute la voiture et ses cinq passagers. Sur un hit de l'été, sans rien avoir prémédité, il s'est transformé en tueur, en décimant une famille au grand complet. Pas un seul de ses membres n'en a réchappé.

Maintenant, plus que jamais, les mots de son père lui reviennent à l'esprit tels d'impitoyables boomerangs :

• Abruti ! tu ne feras jamais rien de bon dans la vie.