Le club des...
Tom
Le matin était encore frais, malgré le Soleil du mois de juin qui venait chatouiller sa joue comme pour le réveiller en douceur. Il avait encore oublié de fermer ses volets, préférant tirer négligemment le voile léger qui faisait office de rideau. Son torse était découvert et son dos frémissait légèrement des picotements des rayons matinaux. Seul un drap venait s'enrouler autour de ses hanches et laissait apparaître un bout de fesses rebondies. On aurait dit qu'il s' était jeté à la hâte sur son lit, comme si dormir n'était plus qu' un besoin secondaire.
Sa main venait se perdre sous les replis d'un épais oreiller, et le moindre mouvement faisait un bruit de crissement étouffé dans son oreille. Ses yeux encore clos, son esprit commençait à reprendre contact avec la réalité. Il sentit ses doigts légèrement engourdis qui agrippaient ce qui semblait être un bout de papier.
Le contact des feuillets sur ses doigts lui rendit ses souvenirs en un instant.
Il avait reçu sa lettre enfin .
***
Lettre du 10 Juin 2016
Mon cher Tom,
Comme promis, une lettre, j'aurais pourtant aimé t'écrire plus rapidement, mais certains contretemps ont bousculés mes prévisions.
Je te parlais dans ma dernière lettre de la nécessité de voir le monde extérieur comme un gigantesque terrain de signes. Et tu me disais ne pas saisir cette notion. Ce que j'ai voulu entendre par là c'est qu'il est vain de chercher à l'extérieur, sur les autres et les situations, des failles qui en réalité nous habitent entièrement. Plus que cela, ces failles c'est nous. Et c'est l'Autre en venant à nous qui vient éclairer toutes nos fêlures, pour que nous puissions enfin les aimer.
Comprends tu mon ami ce principe universel ? Quelle colère, qu'elle blessure cherches-tu à cacher à toi même, pour traverser tant de difficultés dans ta vie sentimentale? Et cette jeune fille que tu as récemment éconduite, invoquant des divergences de vues...quelle faille représente elle au fond de toi ?
Et pour répondre à ton incessante question, ma réponse est Non ! Tu le sais déjà, ma vie est bien remplie, mes fils et mon mari et il ne me reste que très peu de temps pour faire des randonnées et des voyages.
Notre amitié est épistolaire et tu le sais.
Avec toute mon affection. N.
***
Tom
Il avait relu de nombreuses fois la lettre au cours de la nuit, et même si cette dernière était remplie de vérité et de bon sens, il sentait sourdre en lui une grande colère mêlé à son irrépressible désir. Cela faisait maintenant près de trois ans qu'il dialoguait avec cette fille, sans jamais l'avoir vu. Il avait eu de nombreuses relations au cours de ces années, la plupart sans lendemain ou demeurant bancales, mais toujours il était ramené par ce fil invisible qui le reliait à elle. Plus d'une fois il avait tenté de couper la communication, mais ses paroles et ses mots étaient comme une douce caresse en son coeur et il ne pouvait se résoudre à les perdre. Maintenant qu' il avait bien réfléchi à son avenir et à cette relation si particulière, il ne brûlait que du désir de la voir enfin, non comme de simples paroles, mais comme une femme entière, une femme en chaire et en rondeurs qu' il pourrait toucher, chérir embrasser et aimer.
Il se leva prestement après cette prise de conscience, déposa l'amas de feuilles froissés dans la boîte avec les autres et avala le reste de café froid de la veille qui traînait sur son bureau. Il enfila son jean de deux jours, mais s'accorda un tee-shirt propre aux effluves de lessive bon marché. En traversant le salon, il fit signe à son colocataire, un thésard perpétuel, qu' il sortait. Ce dernier émis un petit mouvement de sourcils pour le saluer également, et ce fut le seul échange de communication qu' ils eurent pour la matinée.
Son rendez vous était vers midi, il descendit la cage d’escaliers de l’immeuble, une odeur de vieux bois mêlée de vernis vint lui piquer le nez. Sa main effleurait à peine la rampe quand il sauta les deux dernières marches. Il fallait qu’il se remémore le peu de souvenirs de la fille. Elle était blonde, enfin c'est le reste d'images qui demeuraient encore certaines dans sa mémoire, lorsqu'il pensait à cette soirée où le vin blanc et le rosé avait remplacé l'eau. Elle avait parlé de conception publicitaire, ou était-ce plutôt de design? Il le saurait bien trop tôt puisque passé les banalités sociales ils finiraient dans sa chambre pour se découvrir d'une autre manière. Elle demanderait ensuite à le revoir chez elle, puis tenterait de l'inviter au pic nique familiale avec ses oncles, tantes et grands parents. Cependant là était sa limite. Il déclinerait, ne répondant plus à quelques messages et le travail se ferait de manière autonome grâce à la cruelle magie de la communication moderne.
A l'intérieur comme à l'extérieure, de l'infiniment petit à l'immensité avait-elle dit dans une de ces dernières lettres, tout a une résonance avec le Un et le Un résonne dans le Tout. C'est cette magie de la nature qui fait que lorsque l'Autre pleure, je peux entendre sa souffrance. Comment parle cette souffrance en moi, puis-je l'accueillir sans la juger, en la regardant avec bienveillance? Ou fait elle en moi comme un écho qui vibre et crisse jusqu'à vouloir l'arracher ?
Tom avançait dans la zone piétonne de manière presque mécanique. Il connaissait parfaitement les lieux pour y venir régulièrement, presque comme un rituel pour ses rendez-vous. Il arriva devant Les Brasseurs, c'était Emy de service pour ce midi. Il s'installa à une de ses tables favorites, celle qui donne sur les passants avec vue sur la Grand place. Il pourrait ainsi voir le mouvement de la ville lorsque la conversation deviendrait ennuyeuse.
Encore une fois il s'échappa dans ses pensées pour méditer les mots de son amie de plume. Depuis les trois années qu' ils correspondaient, elle lui avait savamment prodigué de nombreux conseils sur les relations, l'amour, la vie , mais toujours elle disparaissait avec une pirouette littéraire lorsqu'il émettait le projet de se rencontrer. Il avait traversé plusieurs sentiments: le rejet, la curiosité, la colère, l'envie, le lâcher prise, pour finalement se contenter d'une sorte d'équilibre entre sa vie terrestre et les besoins de l'âme, sans que les deux ne se retrouvent vraiment ensemble.
C'est un parfum de fleur de Tiare de synthèse qui vint brusquement le sortir de sa torpeur. La blonde était là, à un mètre de sa table qui cherchait son prétendant d'un soir. Au moindre de ses mouvements, un mélange d'odeurs de crème, de lotions, de shampoing et de vernis à ongle ondulait dans l'air comme des vagues, fouettant les cellules olfactives des clients alentours. Tom en avait déjà la nausée. La blonde le reconnut à son tour et se dirigea vers lui, ramenant avec elle un tourbillon d'effluves.
- Tom c'est bien ça?
Lentement il déplia ses cils qu'il avait longs et deux yeux d'un bleu gris de mer après l'orage se posèrent sur la silhouette en face de lui. Parcourant le corps sensuel et généreux qu'ils avaient devant eux, ils s'attardèrent sur sa poitrine et l’ardeur était déjà là.
- C'est trop bruyant ici, veux tu que l'on aille chez moi ?
***
Tom
C'était toute sa chambre qui empestait l'odeur synthétique des îles du Pacifique. La blonde était partie assez rapidement après leurs ébats, laissant tout de même planer dans la chambre cette insupportable odeur mêlée à la transpiration. Quelques cheveux comme des petits bouts de paille parsemaient ça et là les draps indisciplinés, preuve d'une après midi mouvementée. Il se tenait là nu, la peau encore chaude d'un désir assouvi à la hâte. Il avança sa main pour lisser les draps tout en soupirant, se leva presque comme un automate, pour se diriger vers la vieille boîte de madeleines qui traînait sur son bureau. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait effectué ce geste, il l'ouvrit et comme chaque fois il entreprit de tout relire.
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