Dog's Portrait I.

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Soudain, Eichi-l’œil-ouvert.

Aux aguets, croise le matin.

Prend un moment, puis autre, pour se réveiller, pour réaliser : nuit finie, mal barré. L’a survécu à un nouveau jour et là, le temps de remuer l’os, va falloir s’en bouffer. Pas le goût pas l’envie pas la vie. Et pas de forces non plus, merde, pas le froid pas de foi au fond, et le fond, ouais, ça, il connaît le fond.
Puis y’en a beaucoup trop, de ces « Pas », et aucun qui voudrait le conduire ailleurs, loin du quartier, loin de ces merdes qui pondent, qui poussent, bordel sous les pavés.

Eichi aime pas le matin.
Laisse tracer.
Immobile, gentil chien, pas bouger.
Matte la baraque en ruine, les murs rouillés. Le matelas humide au tissu qui vieillit et se crade, une odeur de corps qui pourrit sous le sien quand il fait Le noir, pis dès qu'y dort.
Et chaque fois, le froid secoue, trop tôt pour qu’il fasse jour, mais il faut bien que ses yeux voient, et revivre, ouais, ouais, mais toutes ces fois, putain... !

Non.
Vraiment, Eichi aime pas, le matin.

Traîne un peu, la patte, reste-au-sol. Les minutes l’étouffent et ça file alors il se lève, se tape loin de la fenêtre, volets toujours clos, des carreaux presque plus et c'est pas plus mal parce que la maison, moche, laide à chialer, de toute façon.


Devant la porte, Eichi passe un temps. Bloquée de son mieux, avec une chaise qu’en a plus trop la gueule. Pas qu’y compte sur elle pour le protéger - y compte sur rien, Eichi - mais si le vieux décidait de venir lui foutre une raclée durant une pionce, ça ferait assez de boucan pour le réveiller.
Jamais venu, jusque là.
Et chaque jour qu’y broie sa paume sur la poignée, Eichi fait mine de prier.
Sait pas comment.
Mais longtemps.
Et y garde les yeux fermés.

« Mon dieu, fais qu’il soit mort. »


Eichi et ses jambes trop longues dorment dans le cellier. Seule pièce de la maison qu'a deux sorties : la vraie et la "de secours", comme les endroits où on a peur que ça flambe. Eichi a jamais vu d’incendies ou de volcans, mais il se dit que la bouche du vieux, celle qui crache, celle qui le crame, l’haleine qui sent la cendre et le mauvais vin, qu’il lui vomit si fort à la tronche que ça finit entre ses lèvres, brûle tout à l’intérieur et l’embrase, la bouche du vieux lui fait aimer ces deux sorties. Et mille fois par jour, à se faire cogner, Eichi prend feu.

12 ans, et toute sa vie qui se consume.
Chandelle.
Camelote.


Ici, c’est pas vraiment grand. Assez pour qu’on se croise pas trop, qu’on s’évite facilement. Y’a des bouts de charpente qui servent à pas se voir, et le sol, à peine, même pas pour s’enterrer.

Ouais, Eichi songe. C’est pas grand et c’est l’enfer.

Salon à droite.
Le coin du vieux.
Ronfle puis boit.
N’importe quoi quelle heure quand.
Regarde juste l'écran.
Pige queude.
Comprend pas.
Deux mômes.
Une crevette, huit ans, les yeux déjà vitreux, puis Eichi, qu’est abimé, pogné de partout.

Bouge pas, jamais, s’empiffre, un sac déformé.

Raclure.

Mériterait de crever.


Eichi y pense très fort.
Cramponné.
De son bout de couloir, y peut voir le fauteuil racorni, que le gros et les années écrasent, poussent contre le plancher dégueulassé. Eichi fait un pas, encore, se planque à l’embrasure.

Bâtard biture branleur de brasier fais qu’il soit mort qu’il soit mort qu’il soit mort mort mort mort mort.

Pendant quelques secondes, rien qui bouge. A la télé, des gens brillent. Eichi se dit que tout ça, c’est pas vrai, ça peut pas. La vie, y sait ce que c’est. Et jamais vu de couleurs, jamais. Peut-être quelques-unes, planquées sous les bouteilles bien vidées et la bière par terre, versée, qui colle aux semelles, l’empêche de foutre le camp, le cloue, l’englue au terrier. Peut-être planquées, ouais. Mais Eichi a pas envie de chercher.

Mort mort mort…

Figé.
Un truc dans l’air se suspend, et un "j'y crois !" qui gonfle, lui accroche le cœur.

Ouais, cette fois. Peut-être bien que cette fois…

"Et dans quelques minutes, les informations de 8h. Le projet de remaniement gouvernemental a été rejeté par… "


Graisse. Masse. Puis, éructe, remue.

Vivant.

Tout retombe et Eichi jure.

L'est vivant.
Fait chier.
Putain, fait chier.

Le vieux s’ébroue, le fauteuil gémit.
Eichi se barre, rage sous le bras.

Ca s’écroulera. Le gros, la bicoque qui le retient mais qui tient pas, le sale et les bouts de verre, qui se plantent, partout, percent la peau, trouent les mains, que tout s’écroulera, et lui en-dessous, tout en bas du bas, dans le reste puis dans le tas. Les daubes avec les daubes. Ouais.

Voilà.


Cuisine.
Un peu moins le boxon, on peut marcher. Carrelage pas trop gris, pas trop cané, juste dans les coins un peu pétés. Faut dire qu’y’a rien à y foutre. Manger, même pas : frigo vide, placards au bec ouvert, trous béants dans le bois, qui laissent affamé. Eichi y jette pas un œil. L’habitude. Sait que c’est creux, hein, on l'encule pas comme ça. Des siècles que le vieux croupit dans le salon, et personne pour bringuer de l’argent ou remplir les bides. Alors la tête d’épingle au coin de son ventre est devenue un tunnel et depuis qu’il fait trois pommes, Eichi a faim. Ça se traîne, ça grossit, ça prend de la place et du galon.

Se dit qu’un jour p't'être - ce serait marrant ! - ce trou va le bouffer.

Colle sa bouche au robinet, y cueille l’eau trouble, se rince puis recrache. Tout ici a le goût de charogne, d’un truc qui malade et moisit. Et c’est pareil, une fois loin du seuil, partout, où qu’il se taille, ça le suit.

Eichi mâchonne sa colère, la roule sous la dent, s’en nourrit pour boucher le puits, au fond de ses entrailles. Ça aussi, ça le brûle, comme ces poubelles où se pressent les paumés et les ordures. Un bout de braise dans l’hiver.
Eichi hausse les épaules : l’été, pas sûr que ça existe, ça non plus. Tout meurt, tout se fane même quand on en crève, et de quoi, peu importe, ouais, vraiment… Peu importe.

Le jour est haut, maintenant, et Eichi veut pas qu’il fuit sans lui, trop vite pour suivre et le courir ensuite comme on course les filles, leurs cuisses entre le soleil et puis quand tout part, parce que la journée, ça a la taille des cigarettes, ça se tire, ça se tient et tout le temps la retenir encore, dans les doigts, par la main, la retenir, jusqu’à la fin, la fin.

Ouais.
La faim.

Eichi sort. Sait qu'y doit faire vite : si le vieux a pas clamsé, c'est qu'il dort pas et ça, ça veut dire bonjour aux poings. L'a encore mal de la veille et avec son oeil tout bleu, là, y voit plus bien.

Couloir salon y repasse dépasse, il fera chaud et humide sur l’ensemble du pays et tout de suite le programme, bouche qui tète l'alcool signal s’éloigne vite la lumière là-bas dans le dos son nom Eichi Eichi t'es là merdeux hein viens là gamin se magne l’entrée la porte Eichi t'es là

Dehors.
De l'or, presque.
Tous les jours pareil et pourtant, ça flambe dans les mains.

La dalle mais libre et ce rien, sous le bide, on s'en bat, y'a tellement dans les jambes, dans ce caillou rouge et dur, là, très en haut des reins...


Pour 20 heures, Eichi se tire d'ailes ailleurs.
Sais jamais où.
Mais c'est là où il est bien.

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