Michel
Je n’ai pas trouvé la force de prendre la parole aujourd’hui, lors de ta cérémonie d’adieux. Maman l’a fait, ses mots sonnaient juste et son discours m'a ému. Néanmoins, je tenais à être là pour te dire au revoir, te rendre hommage. Habituellement peu soucieux de mon look, j’ai pour toi troqué mes guenilles bohèmes contre un costard. Endimanché le Mamat ! Tu ne me reconnaitrais pas...
Tu pars trop tôt, comme ta sœur Marcelle et beaucoup d’autres. Saloperie de cancer ! Ce soir, je ne trouve pas le sommeil. Alors, je prends la plume et t’envoie ces quelques mots. Pas de discours en vue, non… Trop tard ! C’est juste entre toi et moi, dans le jardin de tes voisins qui nous ont accueilli à bras ouverts. Merci à eux. J’allume un joint d’herbe, en m’imaginant naïvement que la fumée, tourbillonnant en nuées bleutées vers l'infini des nébuleuses célestes, te portera mon message. T’écrire ce que je n’ai pas eu le temps de te dire. Fumer encore et encore, comme pour ne pas que cette journée s’arrête. Cette journée t’appartient, elle est à toi. C’est avec toi que je veux la terminer. Allez tonton, encore un verre ! On joue les prolongations, rien que toi et moi : « Santé ! A la tienne ! », comme ils disent. Quelle ironie ! Toi qui as tant souffert…
Je ne t’ai que trop peu connu… Je m’en rends compte trop tard et ça me bouleverse. Ta mort me pète à la gueule tel un pétard à mèche que je n’aurais pas vu s’allumer ! Car moi, petit con baroudeur, toujours sur la route ; combien de fois suis-je passé à proximité d’Orange en me disant :
« Un petit coucou à Doudouce et Michel, en passant ? Bon, la prochaine fois parce que sinon, on ne sera pas à Béziers aujourd’hui. Ou bien, Francis et Jo nous attendent pour dîner ce soir. Ou encore… Bla,bla,bla… »
Et merde, trop tard ! Ce n’est la faute de personne. Juste la vie qui passe trop vite et qui nous file entre les doigts à l’instant où l’on s’y attend le moins, dans un moment d’insouciance où l’on se dit qu’on a le temps.
Il y a une quinzaine d’année, le jour de la cérémonie d’adieux à Marcelle, je me souviens t’avoir écouté déplorer que cette famille presque trop grande ne se réunisse au complet qu’à ce genre d’occasions, à quelques exceptions près. Au comptoir d’un restaurant de l’avenue de Paris, sirotant un café-calva après y avoir déjeuné avec toute la smala, ta mélancolie m’avait profondément touché. On se connaissait peu, c’est vrai, et tu semblais en souffrir profondément.
« Patron, la petite sœur, s’il vous plait ! »
Puis, nous avions refait le monde, parlé de tout et de rien, nous enivrant un tantinet. Un beau moment de vie. Le seul qu’on ait vraiment partagé tous les deux. Deux terriens se livrant l’un à l’autre dans le confessionnal fruité du père Magloire. Pour un instant d’éternité, nous ne voyions pas plus loin que le fond de nos verres. J’ai beaucoup repensé à notre conversation de ce jour-là, aujourd’hui, et c’est à retardement que tes mots prennent tout leur sens.
L’image que je garde de toi est celle d’un Tonton, un vrai, au sens propre du terme. Pas flingueur, mais presque… Sage et bienveillant. De bon conseil, sans être moraliste. Toujours bien sapé, tiré à quatre épingles. Petite moustache taillée nickel, cheveux peignés, chemise repassée dans le pantalon, rien qui dépasse… Impeccable ! La classe à l’italienne ! La tchatche et le charisme du camelot en plus. Tu forçais l’admiration et inspirais le respect. Un vrai Tonton, j’te dis...
Te voici libéré de toute souffrance physique, et, bien que l’athée que je suis ne croit pas en quoi que ce soit qui nous attende après, sait-on jamais, au cas où : Repose en paix. Pas la paix du Christ, non, je n’y accorde aucun crédit. Mais le repos du juste… Tu t’es assez battu contre cette foutue maladie !
03:28 Allez, j’en roule un p’tit dernier, le temps de relire ces quelques lignes. J’aurais bien le temps de dormir demain sur la route du retour, passager que je suis… La nuit est à nous mais, je te l’ai dit, cette journée t’appartient ! Les jours de saint Rufin n'auront plus tout à fait le même goût désormais.
Adésias Tonton…
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