SANS SUITE 45/ Jour 8 : Le restaurant
Nous repérons tout de suite la table de nos amis, et leur adressons un signe de la main. En effet, la serveuse nous a immédiatement pris en charge et elle nous conduit dans un petit salon discret, près des espaces vides que d'autres clients ont déjà quitté.
Lukas, en homme riche qu'il est, commande une bouteille de champagne. Je lui rappelle que j'ai la voiture et nos amis à ramener à une cinquantaine de kilomètres de là, et, exaspéré, il lève les yeux au ciel. Avide de conserver une ambiance amicale, je n'ajoute rien et me plonge dans l'étude du menu. Surtout que je me sens mal à l'aise, et j'avoue ne pas en mener large ; je ne sais pas quoi lui dire. Sur quel sujet commun pourrions-nous disserter ? J'attends qu'il prenne la parole :
— Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? Ne me réponds pas : la même chose que toi !
— J'hésite entre une grosse salade et...
— Encore ? Sors un peu de tes habitudes et change ! Prends autre chose. D'autant plus que c'est toi qui paie, cette fois.
Mince ! Je n'avais pas pensé à cela. Pourtant, il nous a offert un dîner au restaurant à plusieurs reprises et il serait normal que je lui rende la pareille. Je repense à mon budget, déjà largement dépassé. En plus, il a commandé une bouteille de champagne ! De l'eau plate aurait été parfaite et surtout beaucoup moins cher ! Je me repenche sur les plats proposés en cherchant le moins onéreux. Mince et remince ! Il faut qu'il comprenne que je ne suis pas riche comme Crésus, ou comme lui !
— J'ai une proposition à te faire, j'annonce.
Son sourire malicieux refait surface.
— Proposition honnête ou indécente ?
— On ne peut plus honnête, désolée. Tu sais que je ne suis pas en mesure de t'offrir le genre de repas auxquels tu es habitué, avec champagne, caviar, magret, et cetera. Par contre, je suis consciente de t'en devoir un. Donc, je cuisinerai pour toi, mais ce soir, nous partageons l'addition.
— Que feras-tu si je refuse ?
— Je m'enfuirais et te laisserais déguster ce précieux breuvage tout seul. Qu'en dis-tu ?
— Tu m'es redevable, certes, réflechit-il. Cependant, il y a d'autres moyens de t'acquitter de ta dette. Je m'engage à régler la note si tu parviens à me surprendre. Avec indécence, cela va sans dire, et avant la fin du repas. Réfléchis vite et bien.
Pas de soucis. L'idée est déjà là. J'espérais juste l'éviter. Il me cherche, il va me trouver, même si je dois sévèrement prendre sur moi.
Je déplace mes couverts pour les poser plus près des siens, agis pareil avec ma chaise et m'installe à ses côtés. Très près. Les frissons m'envahissent quand je frôle son bras et son parfum envoûte mes sens.
La serveuse choisit ce moment pour refaire apparition. Mon changement de place l'a sans doute surprise car elle nous demande si tout va bien avant de prendre la commande.
— Nous n'avons pas encore fait notre choix. Merci de nous laisser dix minutes de plus, la renvoie Lukas.
Elle fait demi-tour, mécontente. Je comprends que des clients retardataires tels que nous, qui se permettent de prendre tout leur temps la mettent au supplice. Elle se demande à quelle heure elle va pouvoir se reposer avant d'attaquer le lendemain une nouvelle longue journée.
Bref, le menu. Lukas me rappelle à l'ordre. Il attend la réalisation de mon défi. Il va devoir patienter encore un peu car j'ai bien l'intention d'être prête lorsque la fille reviendra. Ce qui n'est pas au goût de Monsieur Sullivan qui écarte les mèches de cheveux dans mon cou, pour caresser ma peau du bout des doigts. Il affirme m'aider à me concentrer. Ne me cherche pas, garçon. Il caresse lentement mon bras, avec délicatesse, comme s’il craignait de blesser ou de laisser des marques. J’ignore les frissons qui m’envahissent ; ils m’empêchent de rester focalisée sur mes buts : passer commande et me débarrasser de l’addition.
Ceci dit, agir avec indécence dans un lieu public pour se faire payer, peu importe le cadeau, me parait bien vulgaire. Pourtant, avec Lukas, ce genre de situation ne choque pas. Cet homme considère la vie comme un jeu, un éternel jeu, qui ne prend jamais fin. Tout est source d’amusement, de défi. C’est tellement naturel pour lui.
La serveuse revient ! Je lis les mots sur la carte, mais je n’arrive pas à en comprendre le sens. Mon esprit est embrouillé et les mots défilent sous mes yeux, incompréhensibles. Bavette d’aloyau, qu’est-ce que c’est ? Côte de bœuf avec un poids qui ne signifie rien pour moi, pour deux personnes ? Une côte de bœuf ne se partage pas ! Si ? La serveuse est là ! J’essaie tant bien que mal de mettre une image sur les noms des plats, mais mon cerveau refuse de coopérer. La seule chose qu’il a retenue, c’est « côte de bœuf » ! Ma bouche le suit, bien sûr !
— Côte de bœuf !
La femme hésite :
— C’est pour deux personnes, Madame.
— Je sais. Bleue, s’il vous plaît. Avec une sauce béarnaise. J’ai une grosse faim. Je… je suis enceinte ; je mange pour deux. Avec des frites !
Je crois que je suis folle, sous la coupe d’un homme à la moralité douteuse, qui fait de moi ce dont il a envie. Je suis même certaine qu’il a deviné mes intentions, car il affiche son sourire amusé quand il pose ses yeux rieurs sur la serveuse pour valider mon choix. Je l’entends vaguement parler de brochette alors que je ris sous cape de ma main posée sur sa cuisse, tout en haut, et de mes doigts qui dessinent de petits cercles sur le tissu du jean.
La serveuse repartie, Lukas ne peut retenir un sarcasme :
— C'est tout ce que tu as à me proposer ? Ça ne suffira pas à payer ton repas. Surtout une côte de bœuf !
— Ne t'inquiète pas, ce n'est que l'entrée. Votre brochette va rester, Monsieur Sullivan, car mon défi réalisé, vous n'aurez plus faim.
— Vous allez peiner à couper votre viande, ma chère, avec vos mains sous la table.
Mon auriculaire remonte de quelques millimètres pour se glisser dans l'aine de sa cuisse droite, où il frotte doucement l'étoffe. Je me penche vers le visage de mon voisin pour déposer un baiser sur ses lèvres et je m'assure d'une éventuelle réaction de sa part en empoignant son entre-jambes. Satisfaite du résultat, c'est déjà gonflé, je me réinstalle face à mon assiette et continue mon petit jeu de doigts. Je repousse sa main lorsqu'elle cherche à son tour le haut de ma jambe, m'en empare et la pose délicatement sur le set de table, près du couteau. Je poursuis mes exercices de doigté et tente d'accéder à l'aine opposée ; Lukas semble apprécier puisqu'il remue sur sa chaise en tirant sur son pantalon et écarte encore un peu plus ses jambes. Mes doigts atteignent presque leur destination quand il se redresse en se raclant la gorge. Aïe ! J'étais tellement occupée à épier les traits de mon partenaire que je n'ai pas vu la serveuse revenir vers nous.
Elle dépose nos assiettes, — ça sent rudement bon ! —, et attrape le liteau qui recouvre le col de la bouteille de champagne. Ne peut-elle pas s'en aller ?
— Merci, nous allons nous en occuper.
Lukas se contente d'un bref signe de tête et d'un grognement qui m'a tout l'air d'être un début de merci. Normal, j'effleure maintenant son sexe, toujours à travers le tissu.
— Je vous propose une courte pause, Monsieur Sullivan. Restaurons-nous, le dessert viendra plus tard !
— Quel dommage ! Ça commençait seulement à devenir intéressant.
— Petit joueur !
— Non, c'est toi la petite joueuse. C'est toi qui veux arrêter.
— En effet. Je te rappelle que je suis enceinte. Alors j'ai faim. Donc je mange.
J'aperçois son sourire amusé du coin de l'œil. Le coup de la femme enceinte, il n'est pas prêt de l'oublier ! Je prends mon couteau, ma fourchette, et j'entreprends de couper ma grosse côte de bœuf. Hop, un petit morceau enrobé de sauce béarnaise, direction ma bouche. Hum, qu'est-ce que c'est bon ! Je recommence la même opération, ravie de voir Lukas faire glisser la viande de sa brochette. Lui aussi coupe de petits morceaux avant d'ouvrir un sachet de ketchup. Quelques minutes de répit ! Mais non, je rêve...
Lukas tient sa fourchette de sa main gauche, tandis que ses doigts libres glissent sous ma robe, la remontant au passage. Je peine à vider ma bouche pleine de frites, croise fermement les jambes et m'assieds au bord de ma chaise, au plus près de la table. Enfin, je lui adresse un regard que j'espère foudroyant en lui ordonnant calmement de cesser de m'importuner.
— Que t'arrive-t-il ? Aurais-tu peur de faire trop de bruit quand je te ferai jouir ?
— Détrompe-toi, c’est toi qui va crier ; tu me supplieras d’abréger tes souffrances.
— J’ai hâte d’y être.
Il recommence à manger. Ouf ! Malgré tout, je n'ai aucune idée de la solution pour me sortir de ce pétrin.
Mon cerveau embrumé par mes réflexions et une situation totalement inconfortable ne m'empêche pas de surveiller Lukas du coin de l'œil. Justement, il vient de poser ses couverts. Il essuie maintenant délicatement ses lèvres et se lève. Mon cœur s'emballe à l'idée qu'il prépare encore une surprise douteuse. Au lieu de cela, il reprend les gestes de la serveuse en séchant la bouteille de champagne à l'aide du liteau et remplit nos verres. J'ai eu peur, il est tellement imprévisible ! Il va se rassoir, et mes craintes vont être remplacées par cette gêne qui me colle à la peau depuis que j'ai accepté son jeu de proposition indécente. Voilà, il est de nouveau près de moi, sur sa chaise. Je dois essayer de lui parler, lui expliquer que j'ai une boule au ventre en pensant que nous risquons d'être surpris à tout moment. Résolue, je me tourne vers lui :
— Lukas, je...
Je ne termine pas ma phrase car il a saisi mon visage de ses deux mains et m'embrasse avec ardeur. Comme d'habitude, je ne peux retenir un petit râle de plaisir.
Il s'écarte finalement, sans lâcher mes joues :
— Tu voulais me dire quelque chose ?
— Lukas, je ne peux pas continuer ce petit jeu ; je ne suis pas à l'aise. N'importe qui pourrait nous voir ou t'entendre.
— Je comprends, mais réfléchis ; quels regards indiscrets craints-tu ? Il n'y a pratiquement plus que nous dans le restaurant. Le peu de clients qui sont encore présents se trouvent suffisamment éloignés pour que nous ne soyons pas dérangés. Fais-moi confiance ; je ne suis pas plus exhibitionniste que toi, je te l’ai déjà dit. Pense à ton budget, ma belle.
En conclusion, il m'embrasse à nouveau, d'abord doucement, presque tendrement, puis de plus en plus profondément. C'est encore meilleur que la côte de bœuf ! Tellement agréable que je laisse le désir m'envahir. Je me rapproche un peu plus et entoure son cou de mes bras, tandis que les siens enserrent ma taille.
— Poursuis ce que tu avais commencé, Carly, et surtout continue de m'embrasser.
Ivre de multiples sensations, je m'exécute, accentuant encore l'ardeur de notre baiser. D'une main fébrile, je défais les boutons de son jean et presse avidement son érection à travers le boxer. Il sursaute en râlant timidement et recule son visage pour plonger son regard dans le mien. Ses pupilles sont dilatés, il transpire déjà.
— Tu me rends fou. Tu le sais, ça ?
Il me flatte pour que j’accède à ses désirs, et ça marche. Mes doigts cherchant à s'infiltrer sous la soie du sous-vêtement, il laisse tomber sa tête sur mon épaule et murmure :
— J'ai trop envie de toi.
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