SANS SUITE 12/ Jour 3 : Les parties de jambes en l'air (2)
Leandra, à ma droite, se penche vers Sybille pour lui souffler quelques mots à l’oreille, puis elles pouffent de rire toutes les deux. La copine de John, je peux l’appeler comme ça, n’est-ce pas ?, se reprend et se tourne vers Angie pour répéter la même opération. La jeune femme regard examine attentivement son frère, les dents serrées pour ne pas éclater de rire.
— Ça lui irait bien ! articule-t-elle avec difficulté.
Elle laisse libre court à son fou rire, et toutes les trois s’esclaffent. Lukas fronce les sourcils, tandis que John scrute chaque visage, à la recherche d’une explication. Moi aussi, je les observe tour à tour, frustrée de ne pas être dans la confidence. Angie regarde à nouveau son frère, les yeux larmoyants d’avoir trop rit.
— Tu pratiques ?
Elles sont hilares, toutes les trois.
— Quoi ? Je pratique quoi ?
— Dis-nous, Carly, il t’a attachée ? insiste encore la vipère entre deux respirations.
C’était ça ! J’aurais dû m’en douter ! Je ne peux m’empêcher de les rejoindre dans leur délire, alors que le rouge me monte aux joues. Je crois qu’il vient de comprendre, car il sourit légèrement en me regardant, pas gêné le moins du monde.
— Christian Grey* ! Je n’avais jamais pensé à mon frère de cette manière, mais je reconnais que la comparaison est plausible. Alors, Lukas, tu pratiques ou pas ?
Il reste muet. Il réfléchit au moyen de changer de sujet, à moins qu’il n’étudie l’idée. J’aimerais que les filles fassent moins de bruit, car les gens aux autres tables commencent à se retourner sur nous.
— Non. Je ne pratique pas… ce… genre d’exercices. Mais le concept mérite réflexion.
Même pas en rêve, mon coco. Pas la peine de me faire les yeux doux avec un sourire éloquent. Tu vas devoir te trouver une autre partenaire, mains liées ou pas. Je sors mon joker et le laisse dans l’incertitude.
— Et toi Carly ? Pour avoir réussi à garder mon frère une nuit entière, te serais-tu soumise ?
Nouvel éclat de rire de la tablée. Seul John ne rit pas. Il semble complètement perdu et nous dévisage tous, un par un, sans comprendre.
— Qui est Christian Grey ? implore-t-il.
— Comment ? Tu ne connais pas Christian Grey ! lui répond Sybille, stupéfaite. Il a pourtant fait parler de lui !
Elle entame une explication somme toute rapide sur le personnage, mais Angie m’empêche d’écouter la suite en m’interpellant :
— Carly, tu dois avoir un petit truc un peu spécial, non ? À moins que tu sois parvenue à soumettre mon frère.
Tous les visages sont maintenant tournés vers moi. Les autres convives nous observent d’un air mécontent, et je suis particulièrement mal à l’aise. Lukas et John sourient, complices et vicieux. Leandra est embarrassée pour moi, et les deux autres femmes m’encouragent à répondre.
— Excusez-moi.
La serveuse apparaît à point nommé et je profite de cette occasion pour m’enfuir aux toilettes, où me suivent mes deux amies. À mon grand soulagement, elles s’enferment à leur tour dans une cabine, sans reparler de la discussion qui m’a poussée à quitter la table. De crainte qu’elles ne changent d’avis et remettent ce sujet sur le tapis, je regagne la salle sans les attendre. Ils sont en pleine conversation, tous les trois. Tant mieux, qu’ils se distraient et m’oublient.
— Angie, lâche-moi un peu ! Ce n’était rien de plus que des parties de jambes en l’air !
— Oups… murmure John en souriant sadiquement.
Il est le premier à remarquer ma présence. Le rouge a quitté mes joues pour laisser place à un blanc livide. Lukas grimace quand ses yeux se posent sur moi et il baisse la tête. Poussée par la rage, je m’empare de ma coupe de champagne et la lui jette à la figure avant de traverser la salle à grandes enjambées en direction de l’ascenseur. Je croise mes amies qui s’arrêtent, hébétées. Un bruit de vaisselle cassée, derrière moi me fait sursauter et m’oblige à me retourner ; c’est Lukas, qui dans sa précipitation à me rattraper, a emporté un pan de nappe, faisant tomber son verre dans son assiette.
— Carly ! Attends !
Mon index appuie frénétiquement sur les boutons d’appel de l’ascenseur jusqu’à ce que les portes s’ouvrent enfin, et je me précipite à l’intérieur. Mon doigt s'énerve sur le zéro qui doit mener au rez-de-chaussée, comme si ma vie en dépendait. Lukas est encore loin au moment où les panneaux métalliques commencent à coulisser et je souffle, soulagée ; il n’a aucune raison de me poursuivre, aucune explication à me donner. Ses mots sont parfaitement clairs. Mince ! Son pied se pose sur la glissière, tandis que sa main remue devant les capteurs. Ces derniers fonctionnent à merveille. Les lourds pans de fer font marche arrière, dévoilant l’homme que je tente de fuir. Il pénètre dans la cabine et me découvre appuyée au fond du sas, piégée, impuissante.
— Carly, je suis désolée. Ce n’est pas… Je ne voulais pas… essaie-t-il avec précipitation.
— Laisse tomber, Lukas. S’il te plaît. N’en rajoute pas, je l'implore d'une voix faible.
— Je me suis mal exprimé. Je… tente-t-il encore, les sourcils froncés.
— Tais-toi ! Pas ici. Dehors, s’il te plaît.
— Ok.
D'un pas, il s'appuie contre la paroi, près de moi, et fixe l'ouverture en silence.
Je voudrais monter dans ma voiture, retourner à la villa, me laver et me coucher avec un somnifère. Seulement, je dois attendre Leandra et Sybille. Je n’ai pas de somnifères, de toutes façons. Indécise quant à la direction à prendre, j'hésite sur le trottoir. Lukas se positionne face à moi, plante un regard grave dans le mien et saisit mes mains. Je me délivre avec brusquerie et recule.
— Carly, il faut vraiment qu’on parle, affirme-t-il sur un ton implorant.
— Non, Monsieur Sullivan, qui que vous soyez. Vous avez été parfaitement clair. Vous avez raison : qu’est-ce que cela pourrait bien être d’autre que de vulgaires parties de jambes en l’air ! De la baise, hein. C’est un terme que vous connaissez bien, votre ami John et vous !
— Laisse-moi t’expliquer…
— Non.
Les autres sortent à leur tour. Ils hésitent à nous rejoindre alors je m’approche d’eux.
— On s’en va, les filles.
Lukas ne suggère plus, il ordonne :
— Non, vous n’allez nulle part. Vous allez remonter et terminer votre repas. Angie, tu voudras bien régler la facture ?
— Non. C’est toi qui as décidé de nous inviter. Je ne comprends pas pourquoi tu préfères discuter avec elle plutôt qu’apprécier le cadre du restaurant et ton repas.
— On en reparlera plus tard, Angie. Pour l’instant, contente-toi de faire ce que je te demande ; je te rembourserai les frais !
Il m’entraine le long du Lez qui traverse la ville. Il semble soucieux, nerveux :
— Il y a toujours autant de monde ici ? Où pourrait-on aller pour être tranquille ?
— À l’hôtel, pour une partie de jambe en l’air, je réponds, sarcastique. Non, je plaisante. Ça ne te fait pas rire ?
Il pince les lèvres et a l'air déçu :
— Pas du tout.
— La plage, peut-être. Il fait nuit, il doit y avoir moins de monde, je suggère, mais je regrette instantanément ma réplique, consciente du beau parleur auquel j'ai à faire.
Fort, heureusement, pour une fois, il partage mon avis :
— On ne peut pas aller dans le sable. Je te rappelle que nous sommes attendus au casino.
— Non, Lukas. Ta sœur et toi êtes attendus au casino. Je n’ai rien à faire là-bas.
Il soupire mais n’insiste pas.
— Je sais où nous pourrons discuter. Viens.
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